Les violences faites aux Femmes (2e partie)
Un évènement judiciaire va ébranler la France, il y a quarante-trois ans. Le procès d’Aix-en-Provence en 1978, qui fut électrique et symbolique à bien des égards, a marqué l’Histoire en ouvrant la réflexion, plus que nécessaire sur une nouvelle définition du viol. Alors que les actrices contemporaines de ce monde ont déferlé avec les mouvements #Metoo et #Metootinceste, les affaires #Weinstein comme #Epstein, ne cessent de révéler de sombres chapitres supplémentaires.
C’est l’histoire de deux jeunes femmes qui changea à jamais le regard de la société française. Imaginez-vous, au mois d’août 1974, vous, de la même manière que beaucoup de personnes, filez affichant le sourire de circonstance vers le soleil et le sable fin des plages. Le choix de la destination est le vôtre, comme le fut celui d’Anne Tonglet et de sa compagne Aracelli Castellano. Ce couple de touristes belges souhaite rejoindre un camp naturiste de Sugiton, mais le mauvais temps les oblige à bivouaquer dans sur la calanque de Sormiou, près du port de Morgiou dans les Bouches-du-Rhône. C’est alors qu’un jeune homme les interpelle, elles l’éconduisent fermement, il recommencera le lendemain, pour le même résultat. Accompagné d’Albert Mouglalis, ouvrier de 24 ans, et Guy Roger, maçon de 29 ans, père de cinq enfants, Serge Petrilli, serveur âgé de 22 ans reviendra dans la nuit du 21 au 22 août 1974, une fois la soirée terminée au bar le Nautic. Avec la ferme intention de se venger dira-t-il aux gendarmes.
Le procès des trois auteurs présumés commençait, le mardi matin 2 mai 1978, devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, présidée par M. Marcel Fourgeaud. Les trois hommes, représentés par Mes François Tubiana, Gilbert Collard et Jean-Claude Simoni, plaidaient non coupables en face d’un jury composé de sept hommes et deux femmes. Les deux femmes affirmaient, quant à elles, avoir été violées. Les avocats de la partie civile étaient la défenseure des droits des femmes Gisèle Halimi et Agnès Fichot.
Josyane Savigneau, journaliste couvrait le procès pour Le Monde : « Je n’avais plus l’énergie de réagir, indique Anne ; aucun son ne sortait de ma bouche […] Mais nous avons dû “subir”, contrairement à ce que semble nous faire dire le procès-verbal de nos déclarations au juge d’instruction. […] Aracelli Castellano, enceinte après les faits de cette nuit-là, avortera quelques semaines plus tard ».
Malgré des débats extrêmement houleux, une ambiance nauséabonde à l’extérieur, les trois prévenus seront condamnés. Serge Petrilli à six ans de réclusion criminelle pour viol, Guy Roger et Albert Mouglalis n’écoperont que de quatre ans chacun pour « tentative de viol ». La circonstance aggravante de viol en réunion ne sera pas retenue, mais le regard juridique sur ce crime vient (enfin) de changer en France.
En 1975, il y aurait eu 22 000 viols en France, mais seules 1 600 femmes ont porté plainte. « Les femmes ne veulent plus se taire, les femmes veulent crier qu’elles en ont marre, elles en ont marre d’être violées, elles en ont marre d’être battues ». Il faudra attendre 1980 et la proposition de loi de la sénatrice Brigitte Gros, pour qu’il soit puni de 15 ans de réclusion criminelle. « Pour la première fois, a honte a changé de camp, devant tout le monde », martelait Anne Tonglet.
Le verdict fait un effet domino, il incite de nouvelles femmes à prendre publiquement la parole, dans les jours et semaines qui suivirent le procès, pour témoigner de leur propre viol. « Avant ce procès, personne n’en parlait. C’était tabou, explique Jacqueline Rémy, une toute jeune femme lorsque le procès commence. Il ne fallait pas se plaindre. Même les familles des victimes refusaient de l’entendre. Et si on allait au commissariat, les policiers ricanaient, le plus souvent. »
Les deux textes sont fusionnés et longuement débattus au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Il faudra finalement attendre le 23 décembre 1980 pour que la loi soit promulguée. Elle établit le viol comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou surprise » dans l’article 222-23 du Code pénal. Cette nouvelle définition élargit donc le viol à tous les cas de pénétration sexuelle, et le réprime plus fortement par quinze ans de réclusion criminelle contre cinq auparavant. D’autres dispositions sont aussi adoptées : le huis clos n’est plus obligatoire, les associations peuvent se porter parties civiles et le nom des victimes ne doit pas apparaître sans leur accord. Des avancées comme autant de victoires pour ce « procès du viol » devenu historique.
Libération de la parole
Les plaintes pour violences sexuelles recueillies en 2019 croissent de 240 % depuis 2010 (2,6 fois quand la victime est majeure, 2,2 fois lorsqu’elle est mineure). Ce sont 56 000 victimes de violences sexuelles enregistrées en 2019, dont 55 % de mineures. L’augmentation, plus marquée depuis 2018, peut être liée avec l’évolution du dépôt de plainte, ce dans le contexte de l’affaire Weinstein et des différents mouvements, tel #MeToo, favorisant la libération de la parole.
2010-2012 | 2013-2015 | 2016-2018 | ||
Nombre de victimes déclarées | Violences sexuelles Violences physiques dont dans le ménage | 183 000 961 000 328 000 | 208 000 982 000 311 000 | 307 000 862 000 268 000 |
Taux de prévalence (en %) | Violences sexuelles Violences physiques dont dans le ménage | 0,4 2,2 0,8 | 0,5 2,2 0,7 | 0,7 1,9 0,6 |
Taux de plainte (en %) | Violences sexuelles Violences physiques dont dans le ménage | 5,7 22,4 10,3 | 8,2 20,5 7,7 | 20,3 19,4 9,0 |
La hausse des violences sexuelles enregistrées devant les services de sécurité résulte d’un double mouvement : les personnes déclarant avoir subi de telles atteintes sont plus considérables et elles portent plus fréquemment plainte. Ainsi, le nombre d’individus de 18 à 75 ans s’affirmant victimes de violences sexuelles augmente de 13,7 % entre les périodes 2010‐2012 et 2013‐2015, puis de 47,6 % entre 2013‐2015 et 2016‐2018, dans le contexte particulier de l’affaire Weinstein et du mouvement #MeToo. Sur le même laps de temps, le taux de plainte pour violences sexuelles a quasiment quadruplé entre 2010-2012 et 2016-2018. Il en résulte que quatre victimes sur cinq ne se sont pas rendues auprès des institutions de sécurité, dont les motivations sont effrayantes.
De plus, les victimes de violences sexuelles sont en très grande majorité… des femmes. Sur la période de 2010-2012 et 2016-2018, près de quatre d’entre elles sur cinq sont de la gent féminine, quant à celle comprise en 2013 et 2015, le taux bondit à plus de 85 %.
À suivre …
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