Le combat sportif et sociétal d’Alice Milliat
Impressionnant, lorsque l’on voit l’évolution des us et coutumes, tant au niveau sociétal que sportif, prenons l’exemple de l’éducation physique et de sa pratique. Les premiers Jeux olympiques de l’ère moderne datent de 1896. Aucune athlète féminine n’est conviée, car pour Pierre de Coubertin « le véritable héros olympique est l’adulte mâle individuel, le rôle des femmes étant […] de couronner les vainqueurs ». En 1900, des tournois de tennis et de golf féminins sont organisés en marge de la seconde olympiade.
« Citius, Altius, Fortius », signifie : plus vite, plus haut, plus fort. C’est le prêtre dominicain Henri Didon qui est le premier à exprimer ces mots lors de la cérémonie d’ouverture d’une épreuve sportive scolaire en 1881. Pierre de Coubertin y est présent. Il les adopte pour en faire la devise olympique. « L’Olympisme est une philosophie de vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple, la responsabilité sociale et le respect des principes éthiques fondamentaux universels », harangue l’article premier de la charte olympique.
Sauf qu’à l’époque, on pensait qu’avec leur faible constitution, un effort violent pourrait rendre les femmes stériles ou les tuer. Alors qu’elles donnent naissance à l’humanité depuis la nuit des temps, et lorsqu’on connaît la douleur provoquée par les contractions pendant un accouchement, cela prête à rire, vraiment.
Pour Alice Milliat, modeste fille d’épiciers née aux XIXe siècles, les JO doivent être ouverts aux athlètes féminines. Elle n’est âgée que de 19 ans, lorsqu’elle quitte sa ville, Nantes pour devenir préceptrice dans une famille aisée de Notting Hill, quartier huppé de la capitale britannique. De par cette expérience, elle parle couramment anglais, mais apprend d’autres langues, qui selon les sources varient de trois à sept. Peu après son arrivée à Londres, elle rencontre son futur mari, Joseph Milliat, employé de commerce, et Nantais comme elle.
Le couple se marie en juillet 1904 au consulat de France. À l’occasion du décès de la mère d’Alice, ils rentrent en France en 1907. Quelques mois plus tard, elle se retrouve veuve à seulement 24 ans, et sans enfant. Elle décide donc de partir à Paris, où elle trouve un poste de sténographe-interprète. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, que les choses bougent. Elle se rapproche alors de l’un des premiers clubs féminins de l’Hexagone, le Fémina Sport. Il est créé en 1911 par Pierre Payssé, ancien champion du monde de gymnastique, afin de poursuivre sa pratique de l’aviron. En 1915, Alice Milliat en devient la présidente.
Elle demande au comité international olympique d’organiser des épreuves féminines aux Jeux, en vain. Elle provoque en nommant les premiers Jeux olympiques féminins… condamnés suivant l’annonce par le CIO. « Malgré nos sollicitations pressantes et réitérées, le Comité olympique a toujours refusé d’adjoindre l’athlétisme féminin aux Jeux olympiques, riposte-t-elle. Nous allons prouver que nous sommes capables de conduire nous-mêmes nos destinées. »
Le 20 août 1922, défiant les responsables du CIO, Alice Milliat organise une compétition qu’elle osera appeler « les premiers Jeux olympiques féminins » au stade Pershing à Paris. Pas moins de 77 sportives de France, des États-Unis, de Tchécoslovaquie, de Grande-Bretagne et de Suisse s’affrontent devant plus de 20 000 spectateurs. « Les gradins de la vaste arène étaient combles, et la grande tribune où on avait dû refuser du monde se drapait de toutes les claires couleurs des robes que le beau temps enfin revenu avait fait arborer aux spectatrices », rapporte, en première page, Rodolphe Darzens pour Le Journal du 21 août 1922. En athlétisme, lors de compétition plusieurs femmes s’effondraient à la fin de l’épreuve de 800 m en 1928, déclarée trop dangereuse, elle sera interdite jusqu’en 1960.
Dans un dernier baroud d’honneur, la Française écrit en 1935 au comité international olympique : « La FSFI […] demande au CIO d’exclure toutes manifestations sportives féminines des JO. Le CIO doit reconnaître la FSFI comme organisme international souverain pour la continuation de ses Jeux quadriennaux dont le cadre devrait être élargi pour admettre les sports féminins ayant figuré aux JO et ceux susceptibles d’être adjoints. […] La FSFI constate que le CIO a tendance à restreindre de plus en plus la participation féminine aux JO dans tous les domaines. Dans ces conditions, elle estime qu’il lui appartient de reprendre l’idée d’organiser des Jeux féminins mondiaux comportant tous les genres d’activité sportive féminine… » Las des attaques, elle jette l’éponge, et à la veille de la guerre, elle retrouve son métier d’interprète. Elle poursuit son existence dans l’anonymat le plus complet, jusqu’à sa mort, le 19 mai 1957, à l’âge de 73 ans, sans avoir réussi à concrétiser le combat de sa vie, de son vivant.
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