
Qui entend le mieux, la chauve-souris ou le hibou ?
Les deux produisent peu ou pas du tout de bruit durant leurs pérégrinations. L’une vole à l’aveugle, guidée par ses ultrasons captés par ses oreilles, l’autre repère une souris, via ses aigrettes sous la neige sans la voir. Entre la chauve-souris et le hibou, le combat du roi de la nuit se joue à l’oreille. Mais qui des deux appréhende le mieux les sons dans l’obscurité la plus totale ? Un face-à-face sensoriel aux confins de la perception animale, que nous ne pouvons entendre seulement via la technologie des microphones.
La nuit n’est jamais silencieuse. Elle bruisse, chuchote, respire. Là où nos sens sont troublés, d’autres s’éveillent. Ainsi, dans cette obscurité que nous discernons comme vide, voire effrayante, deux figures règnent en souveraines : la chauve-souris et le hibou. L’une vole sans voir, l’autre frappe sans être vue. Toutes deux entendent ce que nous ne percevons pas.
La chauve-souris, ou l’art de voir avec les oreilles
Entre ces virtuoses du silence, qui possède réellement l’ouïe la plus performante ? La question paraît si simple, sans l’être pour autant. Car entendre n’est pas qu’une affaire de volume ou de portée. C’est une manière d’interpréter le monde, d’interpréter notre monde. Intéressons-nous d’abord à la chauve-souris. Ces mammifères nocturnes ont développé un outil d’une précision inégalée : l’écholocation.

En émettant jusqu’à 200 cris ultrasoniques chaque seconde, comme la Myotis lucifugus, elles cartographient leur environnement. Ces sons frappent les objets — un mur, une branche, un insecte en plein vol — puis reviennent vers sous forme d’échos. Son cerveau, qui agit avec une rapidité prodigieuse et phénoménale, transforme ces retours sonores en une image mentale précise de son environnement. C’est un sonar qui fonctionne « à toute berzingue », dirait Lorant Deutsch. La plus grande allure enregistrée est de 160 km/h. Le principe est simple à expliquer, mais vertigineux à réaliser.
À ce rythme, la chauve-souris distingue la taille, la vitesse, la trajectoire d’un moustique dans le noir le plus total, là où nous avons de la peine à trouver notre chemin chez nous.
(Crédits : Marcel Langthim/Pixabay)
Des recherches montrent que Myotis lucifugus sont capables de détecter des proies de quelques millimètres à plusieurs mètres de distance. Cela est possible, car leur spectre auditif est colossal. Il évolue de 20 000 à 120 000 Hz. Quand celui de l’être humain est compris entre 20 à 20 000 Hz, et varie en fonction de l’âge. Leurs oreilles sont mobiles, sensibles, et parfois asymétriques, pour mieux localiser l’origine des sons. Autrement dit, la chauve-souris vit dans un monde sonore qui nous est presque entièrement étranger. Pour elle, la nuit n’est pas noire : elle est structurée, texturée, lisible.
Le hibou, ce sniper silencieux
Le hibou, lui, ne crie pas pour entendre. Il écoute patiemment et passionnément. Son ouïe est dite directionnelle et ultra-sensible. Grâce à la position asymétrique de ses oreilles, comme la chauve-souris, il peut localiser une proie en trois dimensions, en analysant les minuscules différences de temps et d’intensité avec lesquelles le son parvient à chaque esgourde.
Un hibou entend une souris, un mulot gratter sous cinq centimètres de neige. Son cerveau transforme alors ces données en une image mentale ultra-précise. Ce qui lui permet de fondre sur sa proie sans avoir besoin de la voir. D’autant que ses plumes sont adaptées au vol silencieux. Ce qui ne perturbe pas sa propre écoute en déplacement.
Le génie du hibou repose sur une particularité anatomique rare. Ses oreilles — comme tous les rapaces nocturnes — plus précisément les aigrettes, ne sont pas positionnées au même niveau. L’une est légèrement plus haute que l’autre, mais pas seulement.
Le silence frappe quand on s’y attend le moins
Les canaux auditifs sont orientés différemment, l’un vers le haut, l’autre vers le bas. Grâce à cette dissymétrie, les sons émis par une proie mêlant graves et aigus sont amplifiés. Les sons graves localisent la proie sur une ligne horizontale, de gauche à droite. Les sons aigus localisent la hauteur à laquelle se trouve la proie.
Ce traitement du signal cartographie en trois dimensions la position précise de la proie, ne lui laissant que peu de chance.
Des expériences scientifiques ont montré qu’un hibou peut fondre sur une souris dissimulée sous plusieurs centimètres de neige, sans jamais la voir. Il n’entend pas seulement le déplacement de l’animal, mais aussi les micro-variations produites par ses mouvements dans le sol. Le son devient alors une véritable image mentale, tridimensionnelle, d’une netteté étonnante.
(Crédits : Pixabay/Pexels)

À cela s’ajoute un autre chef-d’œuvre de l’évolution : ses plumes. Leur structure particulière casse les turbulences de l’air, rendanLes deux produisent peu ou pas du tout de bruit durant leur pérégrination. Mais qui des deux capte le mieux les sons dans l’obscurité la plus totale ? Un face-à-face sensoriel aux confins de la perception animale, que nous ne pouvons entendre seulement via la technologie des microphones.t le vol presque inaudible. Le hibou ne parasite jamais sa propre écoute. Il est à la fois radar, calculateur et projectile. Une arme imparable qui se clôture par les serres acérées. Une dernière chose pour ne pas mettre la zizanie dans un couple de hiboux, même si vous trouvez sa femme, chouette, n’oubliez pas qu’elle conserve le nom de hibou. Sinon son mari pourrait vous voler dans les plumes.
Deux systèmes, une même finalité
Comparer la chauve-souris et le hibou, c’est comparer deux manières de vivre. La première scrute le monde à coups d’ultrasons. Elle provoque l’information. La seconde reçoit et laisse le réel venir à elle, dans le plus grand mutisme. La chauve-souris excelle dans la navigation, l’analyse fine des formes, la détection rapide du mouvement. Le hibou domine dans la précision directionnelle et la chasse discrète. L’une métamorphose le son en vision dynamique. L’autre transforme l’écoute en certitude. Aucun des deux ne « voit » mieux que l’autre. Ils voient autrement.

Alors, si entendre symbolise détecter des fréquences extrêmes et analyser l’espace dans le noir complet, la chauve-souris est sans égale. Par contre, si entendre signifie capter le moindre frémissement, soubresaut et localiser une proie sans trahir sa position, le hibou est le maître incontesté. La vérité, est comme souvent. Il n’y a pas de hiérarchie, seulement des adaptations.
Dans ce monde animal, le mammifère qu’est l’être humain paraît dépassé en tous points. Que ce soit face à l’abeille, le chat, le furet, la puce, le requin… l’évolution de l’espèce humaine a-t-elle laissé de côté des sens et ressenti des siècles passés ?
Et l’être humain dans tout ça ?
Face à ces deux icônes de la nuit, l’être humain apparaît passablement désarmé. Notre audition se limite à un spectre étroit. Qui est de plus dépendante d’un environnement calme.
Tandis que la chauve-souris construit le monde par le son et où le hibou lit l’espace dans le silence. L’être humain s’adapte au fil des ans par la compensation technologique. Ainsi fleurissent microphones, radars, sonars, imagerie acoustique.
Nous n’entendons pas mieux, juste autrement. Notre force n’est pas sensorielle, mais interprétative. Nous avons appris à traduire ce que nos sens ne peuvent saisir seuls, à prolonger nos limites par la science. Nous ne sommes ni sourd, ni aveugle… quoique. Notre espèce explore la nuit avec des outils, là où l’animal l’habite.
Cette comparaison entre la chauve-souris et le hibou met en exergue une chose essentielle : le monde ne se limite pas à ce que nous percevons.
(Crédits : Margarita/Pexels)
L’invisible n’est pas vide. Il est hors de notre portée sensorielle, de notre propension à l’entendre. À l’heure où nos vies saturent en bruits, alertes et écrans, ces deux sentinelles nocturnes nous offrent une leçon d’humilité. Écouter vraiment, ce n’est pas entendre plus fort. C’est apprendre à faire silence pour laisser le réel se révéler. Et si, finalement, le véritable superpouvoir n’était pas l’ouïe… mais l’attention ?
