
Qui sent le mieux : le chien ou le requin ?
L’un vit à nos côtés, reniflant nos chaussettes, notre entrejambe en créant un moment gênant, ou suivant la trace d’un rongeur égaré. L’autre hante nos imaginaires marins, prédateur furtif capable, dit-on, de flairer une goutte de sang à des kilomètres. Le chien et le requin partagent un don sensoriel exceptionnel : l’art de sentir le monde. Mais qui possède vraiment le meilleur odorat ? Le chien renifle un gant oublié à trois kilomètres, le requin détecte une goutte de sang dans l’océan. Mais lequel des deux domine réellement l’univers des odeurs ? Le flair terrestre ou le nez marin ?
Derrière cette question, une exploration fascinante des sens extrêmes et des mondes qu’ils révèlent. À l‘heure où la lutte contre le narcotrafic, pister des personnes recherchées ou disparues occupe les forces de l’ordre, le flair possède une importance de plus en plus primordiale. Mais pour autant, entre les vérités tronquées et les légendes urbaines, il faut du flair pour distinguer le vrai du faux.
Ce chien à du flair, vous ne trouvez pas ?
Impossible de parler d’odorat sans évoquer nos fidèles compagnons à quatre pattes. Toujours la truffe dans un trou, prêt à gratter. Ce nez est le fruit d’une longue évolution, il a transformé son nez en une véritable machine à décoder les odeurs. Son museau abrite entre 220 et 300 millions de récepteurs olfactifs, quand nous, pauvres êtres, nous nous contentons de 5 à 6 millions. Mais comme tout un chacun, nous avons des capacités plus ou moins développées. Ce que nous nommons talents. Certains se distinguent : le Saint-Hubert est le champion des pistes, lorsque le berger allemand est un policier qui a du flair.

Leurs prouesses dépassent notre imagination. Ils retrouvent la trace d‘une personne disparue plusieurs jours après son passage, identifient un criminel dans une foule, ou détectent des maladies, comme certains cancers, l’hypoglycémie ou l’imminence d’une crise d’épilepsie.
Leur secret, un système olfactif associé à un organe voméronasal capable de capter les phéromones. Ajoutez à cela un cerveau dont une large partie est dédiée à l’analyse des signaux chimiques, et vous obtenez un champion du pistage terrestre. L’air qu’il inspire se sépare en deux flux : l’un se dirige vers les poumons, l’autre — réservé à la détection — est dirigé vers une cavité spécialisée. Cet endroit où les molécules odorantes sont piégées, analysées, puis comparées. Une architecture subtile, décrite par la recherche scientifique, qui maximise le temps de contact entre l’odeur et les récepteurs.
Un flair à toute épreuve
Son reniflement crée un jeu de turbulences qui aspire en continu de nouvelles particules odorantes. Il agit telle une IRM 3D. Comme un athlète, le chien progresse avec l’entraînement. Ils distinguent donc des signatures complexes, identifient des mélanges où l’humain serait totalement perdu, et s’adaptent à des environnements saturés d’odeurs.
Ainsi, chaque reniflement n’est pas un simple geste instinctif : c’est une lecture du monde. Une lecture dont la finesse dépasse de loin nos capacités humaines, et qui n’a pas fini d’inspirer les chercheurs — car comprendre le nez du chien, c’est peut-être entrevoir les limites de nos propres sens. (Crédits : Charles/Pexels)
C’est l’un des champions incontestés du monde terrestre. Son bulbe olfactif, la zone du cerveau dédiée aux odeurs, est 40 fois plus développé que le nôtre, proportionnellement à sa taille. Certaines races, comme le Bloodhound (Chien de Saint-Hubert), peuvent suivre une odeur sur 300 kilomètres. Mais surtout, il ne se contente pas de sentir : il décrypte, il analyse, et associe chaque odeur à une information. Son odorat est interprétatif, contextuel et émotionnel.
Le maître des effluves marins
Sous la surface, un autre nez règne en maître. Le requin, prédateur millénaire, possède une réputation qui n’est pas usurpée. Une simple goutte de sang diluée dans 25 millions de litres d’eau — soit dix piscines olympiques — peut suffire à éveiller son appétit. Légende urbaine ou vérité ?
Ses narines, situées sous le museau, ne servent pas à respirer, mais uniquement à sentir. Pour s‘oxygéner, il doit être en mouvement perpétuel, et user de ses branchies comme pour la plupart d’entre eux. Chaque narine est scindée en deux canaux, permettant une détection directionnelle ultra-précise. C’est en comparant le temps d’arrivée de l’odeur dans chaque conduit que le requin remonte la piste olfactive.
En plus, son arsenal inclut les fameuses ampoules de Lorenzini, capables de détecter les champs électriques produits par les muscles et les battements de cœur de ses proies. Le combo des deux systèmes en fait un chasseur d’élite.
Ampoules de Lorenzini
Elles sont décrites pour la première fois au XVIIe siècle par l’anatomiste italien Stefano Lorenzini. Lesdits pores remplis de gelée se regroupent autour du museau et de la tête du requin. Chacun s’ouvre et se connecte à un canal menant à un bulbe sensoriel riche en cellules électroréceptrices. Ces cellules sont capables de détecter des champs électriques incroyablement faibles, jusqu’à cinq nanovolts par centimètre (0,000 000 005 Volt) un niveau de sensibilité qui dépasse l’entendement. Ce que la roussette (Scyliorhinus canicula) est capable de faire.
Concernant la goutte de sang détecté par le requin reste une légende urbaine. Il ne peut ni détecter une goutte d’eau dans 25 millions de litres d’eau ni sentir une goutte de sang à plusieurs kilomètres. Seulement « dans des conditions optimales, de nombreux requins peuvent détecter le sang à partir d’un quart de mille de distance (463 mètres) ».
(Crédits : Daniel Torobekov/Pexels)

Cependant, ce qui peut déclencher un stimulus, c‘est une goutte de sang ou une explosion d’acides aminés provenant d’un poisson blessé. Cette incitation amène le requin à en chercher l’origine en nageant à contre-courant. Au dur et à mesure qu’il se rapproche, le requin perçoit petit à petit des signaux visuels et auditifs. Pour clore la légende urbaine, « des études scientifiques ont montré à plusieurs reprises que de nombreux requins ne trouvent pas le sang humain particulièrement attrayant. »
Deux mondes, deux stratégies sensorielles
Le chien interagit, comprend et communique via son odorat. Son nez est connecté à son intelligence sociale. Le requin lui chasse, survit et navigue au pif. Son odorat est efficace, mais plus instinctif. Chacun a donc développé un odorat parfaitement adapté à son environnement.

Alors, qui gagne ? Le chien, avec ses centaines de millions de récepteurs et sa polyvalence, ou le requin, capable de percevoir une trace infime dans l’immensité liquide ?
Mais peut-on vraiment les comparer ? L’un respire l’air, l’autre filtre l’eau. L’un comprend une émotion, l’autre traque une goutte de sang.
Là où le chien identifie, le requin localise. Deux stratégies, deux mondes. Mais avec l‘être humain, cela devient un trio et trois manières de sentir la vie. L’humain perçoit les odeurs comme des signaux, le chien les interprète comme des histoires et le requin les lit comme des coordonnées.
(Crédits : Dagmara Dombrovska/Pexels)
À l’heure où les technologies biomimétiques s’inspirent de plus en plus du vivant — capteurs chimiques, drones renifleurs, robots sous-marins —, comprendre ces différences n’est plus seulement un exercice. Et vous, que feriez-vous de ce super-pouvoir ? Flairer la vérité ou sentir le danger avant qu’il n’arrive ?
