
Rencontre au sommet de botanistes (41/55)
Un simple lever ou coucher de soleil panache une journée bien fade. Flavien va au-devant d’un nycthémère, bien qu’ordinaire dans un lieu hors du commun, se révèle grandiose. La palette des nuances et des coloris de la nature fait briller les yeux de l’aventurier du bout du monde. Puis la rencontre de deux aficionados laisse las la troisième. Encore que l’envolée lyrique soit vivement teintée, seuls les passionnés écoutent. Entre le Mount Ngāuruhoe et les lacs d’émeraude (Ngā Rotopounamu), Flavien en prend plein les yeux.
« Si j’avais su l’incroyable journée qui m’attendait, je me serais levé encore plus tôt », raconte Flavien. Bien qu’il effectue un petit geste de la tête. Le réveil sonne à 6 h 15. Pile l’heure à laquelle les précouleurs du lever de soleil sont à leur apogée.
Une journée haute en couleur
Avant que le soleil n’effleure la terre néo-zélandaise, le mont Ngāuruhoe se dresse telle une énigme, dans le ciel nocturne. Il semble respirer, prêt à accueillir la lumière comme on reçoit une confidence. Le bleu indigo, profond, presque liquide, coule autour du cône volcanique et en souligne les arêtes. Il vient se délaver, devenant bleu-gris, pareil à une timide clarté hésitante. Le Ngāuruhoe apparaît alors plus proche, presque intime. C’est l’instant où l’on retient son souffle.

Le nuage lenticulaire qui coiffe le Mount Ngāuruhoe devient rose.
C’est l’ombre de la Terre qui peint le ciel. Cet arc subtil que les Maoris nomment la robe du matin. Le Ngāuruhoe en retrait, observe discrètement. Quand les jaunes doux et les pêches diaphanes s’invitent, tout vibre. Puis, sans prévenir, les couleurs s’enhardissent. Les oranges profonds, les corails, les rouges cuivrés enflamment comme la forge céleste derrière la montagne. Le Ngāuruhoe se découvre en noir absolu dans cette brume incandescente.
L’aube se brise, le soleil paraît. À l’ouest, le Taranaki sort des nuages. La nuit fut humide, tente et sac de couchage sont trempés. Les nuages empêchent que les choses sèchent. « Je range le tout. J’espère que ça séchera ce soir, la moisissure est le pire des ennemis du trekkeur. »
(Crédits : Flavien Saboureau)
À sept heures, Flavien vire en tête. Premier campeur à prendre la route du Tongariro. « Pour commencer, un col aux alentours de 1600 mètres d’altitude, c’est-à-dire 400 au-dessus ! Une bonne mise en jambe », s’amuse l’aventurier. Mais, il y a un monde fou, nous sommes le samedi 1er février 2025, en période de vacances scolaires d’été.
Quand le superbe existe
Le départ de la randonnée s’effectue sur des pontons de bois aménagés. « C’est pour ne pas abîmer les coulées de lave qui n’ont que quelques décennies », explique le naturaliste. Au fur et à mesure de la montée se découvrent des espèces — Veronica spathulata ou Veronica hookeriana. « Arrivé au col, se dévoile une immense caldeira plate qui me fait fortement penser à la Plaine des Sables, à la Réunion. »
Un moment suspendu attend Flavien. « Une magnifique communauté végétale à Rytidosperma setifolium et Gentianella bellifidolia, occupe des hectares de lapilli. C’est tout simplement superbe… des paysages comme je les aime. » L’ascension se poursuit. Des randonneurs occasionnels peinent… Tu m’étonnes, souffle le naturaliste. « Sur la caldeira, une dizaine d’individus s’amasse. C’est trop pour moi. »
Il quitte le sentier pour rejoindre le sommet du Mount Tongariro à 1967 m d’altitude. Mais à mil quatre cents mètres de l’endroit où il se trouve. L’aller-retour dure près d’une heure, sans personne à croiser. Les paysages, en partie grâce aux rochers d’un ocre intense, sont époustouflants. « Les trois volcans du coin sont complètement dégagés. Quel paysage lunaire ! Je prends mon pied ! » (Crédits : Flavien Saboureau)

Flavien est à la recherche de l’Edelweiss du Nord — Leucogenes leontopodium — mais « malgré cette montée en altitude, sa recherche reste veine ». En redescendant, la langue de Molière chante. C’est un couple de Parisiens que Flavien interpelle. La discussion s’amorce. Mais, Flavien prend congé en leur disant : « On risque de se recroiser, je m’arrête à toutes les plantes ».
Une passion dévorante
Comme attendu, le trio se reforme au niveau du Red Crater, dont l’incroyable couleur rougeâtre est saisissante atteste le baroudeur. « Au cours des échanges, ils me demandent mon métier », commente Flavien. Et la magie des voyages refait son apparition.

Frédéric est lui aussi un très grand passionné de botanique. Flora, à force de côtoyer un botaniste, commence à engranger de nombreuses connaissances à ce sujet. « Il ne nous en faut pas plus, nous voilà à débiter un nombre incalculable de noms latins à la minute. »
À force de les entendre disserter en latin sur la moindre fougère, elle sent monter en elle cette teinte de désarroi — l’esprit couleur sauge fanée. Flora préfère allonger le pas plutôt que de s’égarer davantage dans leurs paroles.
Il est spécialisé dans Arecaceae, les Cactaceae et les agrumes. Ce n’est pas forcément le violon d’Ingres de Flavien. Mais, ils trouvent tellement d’anecdotes à se raconter que Flora a déjà parcouru un chemin considérable. « Il n’en revient pas que j’ai pu voir Juania australis sur Robinson Crusoé. » (Crédits : Flavien Saboureau)
Frédéric et Flavien s’échangent de nombreux tips, astuces et tuyaux pour s’y rendre. Tout en descendant jusqu’aux magnifiques Emerald Lakes, ils discutent, échangent, rient. Mais la beauté des lacs souffle la conversation comme on éteins une bougie. « Les lacs d’un bleu-souffre dont les flancs sont constellés de fumerolles, témoignent de la très forte activité volcanique. » Une première contemplation pour l’aventurier. « Je suis émerveillé. C’est la première fois que j’observe ce genre de formation. » Flavien laisse Flora et Frédéric le temps d’immortaliser cet endroit malgré la foule nombreuse autour. À suivre…

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