Pérégrinations

L’exploration botanique de Crusoé (Épis. 41/46)

Ce matin, Flavien est excité comme une puce. Il est enfin sur l’île mythique, celle de Robinson Crusoé. Souvent entre le côté romanesque d’un livre et son adaptation au cinéma, certains lecteurs peuvent être déçus. Flavien quant à lui se focalise sur la flore. Déjà durant le voyage en bus de nuit entre Puerto Montt et Santiago du Chili, il ne pouvait s’empêcher de feuilleter quelques documents. Si bien que dès le réveil, il s’écrit : « je ne traîne pas, j’ai hâte de découvrir cette fameuse flore ! »

Le globe-trotter est-il pressé ? La réponse est un grand oui. Après avoir voyagé en direction de l’île de Robinson Crusoé, à plus de 600 km au large des côtes Chiliennes, il foule l’une des trois îles de l’archipel Juan Fernandez. C’est à cet emplacement, durant quatre ans et quatre mois que le marin et aventurier Écossais Alexander Selkirk a vécu isolé. Histoire épique qui, peu avant 1719, a inspiré Daniel de Foe pour écrire le fameux roman. « Je prends la direction du Mirador Selkirk, le spot le plus connu pour la beauté de sa vue. Il serait aussi l’un des meilleurs endroits pour faire de la botanique », s’étonne Flavien.

À l’abordage de la flore

Tous les chemins s’effectuent accompagnés d’un guide. Tous sauf un, celui pour se rendre au Mirador Selkirk. Détail de l’histoire qui explose dans la tête de Flavien : Selkirk aurait surveillé la traversée de bateaux depuis ce lieu. Flavien s’enhardit quand il repasse, par hasard, devant le fameux Abutilon. Trente secondes plus tard, le colibri se pointe. « J’ai hésité à prendre mon téléobjectif, je crois que j’ai bien fait ! »

Colibri, oiseau, Crusoé

Après 15 min de shooting, il retourne à son sentier. La dernière grosse randonnée a marqué Flavien. Cette trace monte véritablement. « En 2,7 km il faut grimper 550 m », souffre Flavien. La pente est donc de 20 %. Le mont Ventoux affiche, à l’entrée de la forêt une moyenne sur 9,5 km de 9 %, dont un passage à 13 %. Revenons à nos moutons.

Les constatations vont bon train. « Au début, malgré Erigeron fernandeziana qui fait de la résistance, les milieux de basse altitude sont envahis par Aristotelia chilensis et Rubus ulmifolius. Plus je monte plus ces deux invasives laissent placent à une autre, Ugni molinae », se désole-t-il. Après un peu de marche, c’est au-dessus de 400 mètres, que les premières forêts intéressantes se dévoilent au botaniste.
(Crédits : Flavien Saboureau)

« Sous les Nothomyrcia fernandeziana, Drimys confertifolia et Zanthoxylum mayu, les nombreuses espèces de fougères endémiques sont omniprésentes : Thyrsopteris elegans, Blechnum schotii, Pteris berteroana, etc. » Mais c’est bien l’arrivée au mirador que Flavien marque le pas. « La vue est tout simplement incroyable. » En direction du sud, il observe l’aéroport et la pointe de l’île, quand au nord la Bahia Cumberland et le village de San Juan de Bautista se dessinent. À l’est comme à l’ouest les crêtes escarpées attirent les espèces qui se laissent deviner, les Juania australis et autre Robinsonia gayana…

Première hésitation

« Je ne peux résister », se convainc Flavien. Aventurier et baroudeur, voire équilibriste pour le plus grand plaisir de sa maman, il tente d’avancer coûte que coûte, pour une plante. « J’essaye de m’y rendre en m’accrochant comme je le peux aux Ugni molinae. J’espère y voir Eryngium inaccessum que je ne tarde pas à trouver, mais un unique pied. »

Il est tout juste midi, quant à 16 km de sa position, une beauté lui fait de l’œil : la pointe de l’île.

L’hésitation suspend le temps. Les conseils avisés qui lui sont prodigués participent au flottement. « On m’a dit de ne pas m’y rendre tout seul. Il me faut au moins huit heures pour parcourir les 32 km et revenir, sachant qu’il me restera encore une heure pour rejoindre le village », partage Flavien.

Cela ne dure qu’un instant. Les colonies d’otaries qui lui sont promises prennent le dessus sur les incertitudes et conseils. « Me voici parti à descendre la montagne de l’autre côté. » Avantage et inconvénient se mélangent. « Le chemin est bien tracé et plat, mais fastidieux », soupire-t-il. (Crédits : Flavien Saboureau)

Chili, fleur, montagne

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Le beau temps est omniprésent, entrecoupé de passage nuageux. « La vue sur l’inaccessible sommet, le Yunque, s’offrant quelques instants, mérite vraiment mes efforts », assure-t-il. Comme une pièce de monnaie, les deux côtés de l’île sont indissociables, mais parfaitement différents. « De ce côté, elle change radicalement de visage. Les terres sèches et érodées sont dues à la quasi-absence de précipitations estivales et aux bovins, qui sont ici en liberté. » Une des conséquences est que l’Acaena argentea recouvre presque seule ces milieux, relate Flavien.

Cinq heures de marche

La monotonie du tracé est agrémentée, à de nombreuses reprises, de l’observation du faucon de Juan Fernandez. Le chemin englouti peu avant 16 h, Flavien arrive à l’extrémité de l’île. « Je ne peux pas être plus proche de celle de Santa Clara. Les sommets de Robinson sont dans les nuages alors que c’est le plein soleil ici. » Pressé par le temps, il patiente quelques instants qu’ils se découvrent, mais il doit rentrer. « J’ai pratiquement cinq heures de marche, d’autant que j’aimerai me rendre dans la Bahia Carvajal pour voir l’unique plage de sable et sa colonie d’otaries. »

L’escalier en bois est complètement écroulé, la descente n’est pas très recommandée. Elles ne sont pas habituées à rencontrer un être humain. Les centaines d’individus affalés, profitant de la chaleur du soleil, se carapatent à son arrivée. Je m’y attendais, pense-t-il à haute voix.

À pas feutrés, il rase le sol. Les falaises les protégeant, il ne peut se placer idéalement, sans les déranger pour les photographier. « Je suis aussi et surtout ici pour en prendre plein les yeux, et les narines… »

Attentionné sur ses gestes et son positionnement, aucun mâle ne l’a, fort heureusement, chargé. Comparés à la Bahia del Padre, les jeunes sont plus âgés de plusieurs semaines. Il se questionne d’une si grande différence à seulement quelques centaines de mètres d’écart. (Crédits : Flavien Saboureau)

Otarie, plage, Juan Fernandez

Presque une heure vient de s’égrainer, il est tant de remonter. L’aventurier avance comme un robot. Sauf qu’une telle vitesse de marche pressée réveille quelques douleurs endormies. « Mon quadriceps droit me rappelle à l’ordre », souffre-t-il en silence. Sur le chemin du retour, il a la joie de surprendre un hibou des marais. Vers 20 h, il est au Mirador et se restaure rapidement. « Avant la dernière descente, je mets ma lampe frontale ». Soixante minutes plus tard, sans l’avoir allumé et de justesse, il arrive exténué. « Je cuisine tant bien que mal des pâtes avant de prendre ma douche et d’aller me coucher ».

Chi va piano, va sano e va lontano

Conscient des efforts produits la veille, il flemmarde un peu au lit. Le départ ne s’effectue qu’à 9 h 30, en direction de Plan del Yunque. « C’est un parcours aménagé par la CONAF dans une myrtisylve de moyenne altitude, somme toute à peu près bien préservée », explique-t-il. Entre trente à quarante-cinq minutes de marche sont nécessaires, au départ du village. Il observe des espèces qu’il n’avait pas encore vues, mais aussi, et surtout ses premières vraies myrtisylves. L’heure de midi sonne à son estomac, quand il est au village. « Je prends un ceviche avec du poisson, 100 % local. »

Crête, plante, robinson

Après une petite pause ensoleillée, il file de l’autre côté de la baie, au Mirador Salsipuedes. Le chemin pentu ne stoppe pas une envie pareille. En trente minutes, la vue sur le hameau se découvre à travers ses prunelles d’enfant.

Les milieux naturels sont disparates, malheureusement car les forêts traversées jusque là sont toutes exotiques (Eucalyptus sp.) constate le baroudeur. « La seule superbe surprise du coin c’est Wahlenbergia berteroi, une magnifique plante saxicole de la famille des campanules. »

Mais une autre belle se laisse désirer, elle est inaccessible au premier venu. « Je dois me frayer un chemin dans la végétation de plus en plus dense, j’avance très difficilement. » Au-dessus de 500 m d’altitude, les crêtes sont envahies par Ugni molinae. Bien qu’ils ne facilitent pas le déplacement, c’est bien plus aisé que de devoir passer dessous et dessus les arbres effondrés.

Puis, les efforts payent. Un superbe et unique pied de Dendroseris pinnata s’est niché sur le contrefort au milieu des Ugni. « Je descends légèrement pour immortaliser cette magnifique endémique sortie de nulle part. »

Au total, il dénombre trois individus cette après-midi. Si Flavien n’observe pas de nouvelles espèces, il remarque un tableau digne d’une écriture romanesque. « De belles reliques de forêts primaires où les Colibris du Chili et les Cachudito se disputent la place », poétise l’aventurier du bout du monde.

(Crédits : Flavien Saboureau)

Arrivé à une altitude de 580 mètres, Flavien redescend par l’endroit même où il est monté. Pour pouvoir avancer, il est nécessaire d’avoir du carburant à brûler. Ce midi, ce sera donc une pizza. Demain, il retrouve les agents de la CONAF pour savoir ce qu’il faire seul sur l’île. Mais les différentes expériences vécues à son âge sont une chance incommensurable. Car tout un chacun possède un chemin de vie unique. À travers les cinq continents, la majorité ne voyage que par les récits des explorateurs, ou d’émissions telles Ushuaïa. « Deux années après avoir passé mes 24 ans sur l’île d’Amsterdam, je profite d’un nouveau printemps sur ce caillou. Un rêve de gosse. » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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