Flavien fait face aux défis (Épis. 42/46)
Comme prévu, Flavien va à la rencontre des personnes œuvrant à la CONAF. À l’égard des préjugés, et des conseils avisés, il est parfois difficile de faire amende honorable. Il est confronté, somme toute avec bienveillance à ces derniers. Mais l’adage explique aussi que ce n’est pas au vieux singe que l’on apprend à faire la grimace. D’autant que l’ensemble de la vie est pareil à chemin semé d’expériences, que nous acquérons au fil des saisons. L’aventurier doit faire des choix, les assumer, et parfois ménager sa monture s’il veut aller jusqu’au bout des choses.
« Avec Ignacio, nous avons convenu que nous irons à El Camote mercredi, c’est le seul endroit à peu près accessible qui me permettra de voir quelques espèces emblématiques. » Cependant Flavien souhaite aussi se rendre à Puerto Frances, à l’extrême est de l’île. Ignacio joue de ses contacts. La réponse ne se fait pas attendre, une guide propose le nycthémère à 140 €. Ce qui ne plait pas, mais alors pas du tout au lavaucéen. « C’est des malades ! Je ne vais pas payer cette fortune pour suivre quelqu’un sur des chemins toute la journée. »
Parti seul, sur un coup de tête
Les idées s’entrechoquent. Flavien se questionne. « Ignacio ne veut pas que j’y aille seul. Il a peur que je me perde. » Le tracé selon les dires de chacun est peu balisé, peu indiqué, voire inexistant. Si bien que lorsqu’il sort bureau, il est indécis, tiraillé. « J’ai l’impression qu’ils me prennent pour un bleu », argumente Flavien. Sauf, qu’il est déjà 10 h 30 et le trajet en question comporte 32 km, aller et retour. Une décision doit-être adoptée. « Je me dépêche de remplir mes deux gourdes. Me voilà parti sur un coup de tête », quitte à subir quelques remontrances admet-il.
Au bout d’une heure, Flavien dispose que le sentier est quasiment invisible. Les bovins brouillent les pistes, en créent des dizaines d’autres, ce qui pourrait être amusant dans de dissemblables circonstances. « En plus, je n’ai pas la trace sur mon GPS. » C’est alors qu’il sort de sa poche une carte papier touristique, et la combine avec celle des reliefs de son portable, au feeling souffle-t-il.
« Parfois je trouve des piquets en bois qui marquent le chemin et parfois je les perds. L’un des buts de cette randonnée est de découvrir le dernier pied au monde de Dendroseris neriifolia, qui est supposé se situer au bord de la voie. » Il suit méthodiquement les différentes sentes. Au bout de deux heures de marche, il est enfin récompensé. Il continu heureux en direction de la Piña.
Lieu où il est censé dénicher d’impressionnantes falaises, donnant sur la partie sud de l’île. Elle est la plus inaccessible compte tenu du relief et des forêts impénétrables que chacun y trouve. Sauf qu’un détail s’ajoute. « Le soleil tape très fort et je suis déjà à ma deuxième gourde. Ne croisant aucun point d’eau, cette histoire commence à m’inquiéter. » Mais il poursuit son périple. Dans une myrtisylve en bon état, il effectue sa pause déjeuner… il est 14 h 30. (Crédits : Flavien Saboureau)
Il ne reste que trois quarts de kilomètre à parcourir, une broutille. « C’est un jeu d’enfants », se réjouit l’aventurier. Sur ce coup-là, son flair est momentanément en panne. Une myrtisylve s’est effondrée. Il doit alors enjamber, se baisser, escalader les troncs enchevêtrés pour avancer. « Je dois faire du 1 km/h grand maximum ! Qui plus est, impossible de se repérer ici », grommelle-t-il dans sa barbe fraîchement taillée. Au beau milieu du talweg menant à la falaise, Flavien grimpe encore et toujours… Après une heure d’acharnements, il arrive fort heureusement à destination. « Les efforts en valaient la peine, la vue est époustouflante. »
À la vitesse d’un escargot
Devant lui, ne le dites pas à sa maman, 400 m de falaises tombent à pic, avec en plus du vent. « Il est rafraîchissant, ça fait du bien ! » Au sein de ce lieu, unique en son genre, la survie des plantes endémiques se joue à leurs adaptations. La plupart se sont expatriées dans l’à-pic, pour échapper à l’abroutissement des lapins et chèvres. Elles sont peu nombreuses, et exclusivement cantonnées à cette petite vallée, commente Flavien qui ouï l’un de ces cabris sans réussir à le localiser. « Ces falaises ressemblent à celles de la Pearl à Amsterdam, c’est à s’y méprendre », se remémore-t-il.
Dans son élan, il file vers Puerto Frances où la vallée est plus encaissée. « J’espère y trouver un filet d’eau ». C’est au final un simple refuge inoccupé qui fait face à la mer. Il possède sa propre plage de galets, la commune d’Entrecasteaux en quelque sorte !
Le ruban d’argent qui coule disparaît à ses yeux avant de se jeter en plein océan pacifique sud. « Je remonte donc un peu le talweg pour retrouver sa trace et remplir mes deux gourdes désespérément vides… ». Il a eu chaud dans les deux sens du terme. Cependant, l’eau souillée par les bovins est avec ce temps ensoleillé, chaude. « Le savant mélange pour attraper une bonne tourista. »
Il se voit dans l’obligation, après l’avoir filtrée, d’ajouter un cachet de chlore dans chacune d’elles. « Il faut patienter une heure avant de pouvoir de nouveau s’hydrater. » C’est le meilleur moyen de tester sa force mentale. « Le chemin du retour est plus simple maintenant que je sais où je me suis perdu », s’amuse-t-il. Mais comme hier, la machine montre des signes de fatigue. « À quelques encablures de l’arrivée, mon quadriceps me rappelle une nouvelle fois à l’ordre. Je change de rythme si je veux profiter des prochains jours. »
(Crédits : Flavien Saboureau)
La vitesse amoindrie permet de profiter et de découvrir des petits trésors. « Pour terminer en beauté cette journée pleine d’inattendus, un rocher de basalte m’offre Notholaena chilensis. Une fougère reviviscente endémique qui n’est connue qu’à trois lieux sur l’archipel et donc dans le monde. J’arrive éreinté. Demain doit être consacré au repos si je ne veux pas accroître ma blessure au quadriceps. »
Une douleur persistante
Ce matin du 27 février 2024, la douleur à la cuisse est toujours présente et prégnante. « Même si c’est frustrant je décide de ne pas faire de gros efforts. » Rien de tel que d’être en terrasse d’un café. Il descend doucettement en centre-ville à sa recherche. « J’aimerais y écrire les quelques cartes postales achetées il y a deux jours. » Cette journée de repos est l’occasion pour déguster ces fameuses langoustes qui font la réputation de l’île, d’autant que la dernière remonte au temps de l’île d’Amsterdam.
« Je réserve une table au restaurant, El Mirador, pour ce soir. C’est ici d’ailleurs que j’écris mes cartes postales, avec une vue imprenable sur la baie de Cumberland, où est coulé le Dresden. »
Ne rien faire disait-il. « Ce matin, je trouve un moniteur de plongée qui m’emmènera faire du snorkeling cette après-midi pour seulement 25 €. » Les textes couchés sur papier glacé, il adopte la direction de la poste, où il fait tamponner une carte historique achetée auparavant.
Des burgers de poissons fait maison au déjeuner, il s’achemine vers les bureaux de la CONAF le ventre plein. Il planifie et organise sa conférence avec, dans un coin de sa tête le rendez-vous avec la faune marine. « Je quitte précipitamment les locaux, le vaisseau risque de m’attendre pour aller plonger », s’affole Flavien après avoir jeté un coup d’œil sur sa montre.
Avec la préparation, il ne grimpe dans le bateau qu’à 17 h et navigue jusqu’à l’autre bout de la baie. « L’eau est à 20 °C, mais l’extérieur étant plus frais, l’entrée dans l’océan est presque glaçante, mais revigorante. » Pour une fois Flavien découvre un milieu d’une incroyable richesse où ses savoirs sont comme ceux d’un touriste. « Je ne me suis pas beaucoup renseigné, je suis donc un peu perdu avec toutes ces espèces qui me sont inconnues. »
Il se rassure avec quelques espèces en commun avec Amsterdam comme les impressionnantes sérioles. « J’ai la chance de furtivement nager avec une otarie de Juan Fernandez », s’émerveille le baroudeur. Une douche prise, le gastronome file au restaurant El Mirador.
(Crédits : Flavien Saboureau)
« Bien que la langouste soit de plus grande taille, le goût est très similaire à l’amstellodamoise. Accompagnée d’une bière brassée dans le petit village de l’île, on ne peut faire plus locale », martèle Flavien voyant arriver la gourmandise de fin de raps. Devinez sur quel type d’entremets ses yeux se sont posés. « Le dessert est une glace à base maqui (Aristotelia chilensis), l’une des invasives les plus problématiques sur l’île, mais quel délice ! Je rentre sous une pluie d’étoiles avec la peau du ventre bien tendue. » Cette journée de repos, très agréable, souffle-t-il, a permis de réaliser quelques activités qu’il ne me fallait surtout pas rater avant le départ. À suivre…