Pérégrinations

Los Dientes de Navarino (épis. 20/46)

Le jour J est arrivé. Depuis plusieurs mois Flavien en rêve. « Maintenant c’est le départ pour le fameux trek des Dientes de Navarino, le plus austral de tous. » Il est réputé pour sa difficulté, qui réside surtout dans sa météo imprévisible. Pour le moment le soleil est au beau fixe et j’irai même jusqu’à dire qu’il fait chaud, pense le randonneur. Après s’être inscrit sur le tableau du camping, où les randonneurs se renseignent (en plus des carabineros), il prend la direction du départ du trek, à 3 km de route et de piste de là.

Flavien se présente au départ du trek. Une nouvelle fois, des gardes de la CONAF (l’équivalent de l’ONF) le mettent en garde sur les risques encourus. « Ils me demandent de faire demi-tour si j’ai de la neige jusqu’aux genoux. » Rassurant… Effectivement certains se sont retrouvés à avoir des congères sur les tentes même en plein mois de janvier. L’été austral se déroule du 7 novembre au 4 février en saison astronomique et du 1er décembre au 28 février en saison climatique. Donc Flavien se trouve en plein été à cette période du calendrier.

La découverte du Tipula kuscheli

Pas moyen de reculer, après tant de chemin parcouru. « Je trace dans la forêt, mais le dénivelé est là ! » Un beau 500 m de dénivelé positif pour rejoindre le Cerro Bandera. C’est le sommet dominant la ville de Puerto Williams et le Beagle. « Là-haut, j’observe Tipula kuscheli, un cousin de l’île Navarino et dont les observations se comptent sur les doigts d’une main. » Ses ailes sont réduites pour résister au vent qui règne.

L’aventurier continu son chemin dans les éboulis, direction plein nord. « J’enchaîne deux cols de 790 et 743 m d’altitude où il faut, même un 3 janvier, traverser des névés. » Le temps se couvre, mais n’est pas menaçant… pour le moment.

Le chemin est surplombé par le Picacho. Il culmine à 1111 mètres. Le sommet de l’île, dont l’ascension ne peut s’effectuer qu’en hiver. La mauvaise qualité de la roche une fois le dégel initié, explique la dangerosité.

« À l’horizon, à quelques dizaines de kilomètres de là, les îles du Cap Horn se distinguent extrêmement bien, le pied », claque Flavien. Le sentier serpente dans les pierriers et le long des torrents avant qu’il n’arrive au lac des Dientes, « où je compte bivouaquer ». (Crédits : Flavien Saboureau)

Le spot est protégé par un énorme rocher et un Nothofagus d’une taille respectable à cette altitude. « Il est 18 h et je ne tarde pas à monter la tente ». Riche idée, car un petit quart d’heure plus tard, il se met à pleuvoir. « Je remplis mes gourdes et je rentre à l’abri. » Mais le temps peut changer du tout au tout.

Une armature de la tente casse

« Vers 19 h, juste avant le repas, des coups de vent, comme j’en ai rarement vu, secouent la tente dans tous les sens. » En plus d’être aventurier, il faut s’essayer aux arts du spectacle. « Je fais l’équilibriste à plusieurs reprises pour essayer de maintenir les toiles et les arceaux depuis l’intérieur. J’enfile mes chaussures et sors pour vérifier la tension de la toile et des haubans. »

Puis, Flavien use de qualités insoupçonnées « J’en profite pour rehausser les murets de pierres sèches qui m’entourent jusqu’à hauteur de hanche. » Malheureusement cela ne suffit pas. Une dizaine de minutes passe quand ce qu’il redoute se produit. « L’une des armatures de la toile interne lâche et ma tente se retrouve toute détendue, avec ces conditions c’est la panique à bord… »

Il faut un plan d’attaque. Après avoir réfléchi longuement et rapidement, il sort. Bravant d’improbables rafales, le couperet tombe : impossible de recoudre. « Je perce une partie de ma toile (chose à ne pas faire normalement…) et me sers d’un des haubans pour retendre la toile interne. Ça semble fonctionner ! »

Les régimes de rafales s’étendent alors qu’il se prépare de quoi manger. « Quelle galère de faire du feu à l’intérieur tout en maintenant la toile. » (Crédits : Flavien Saboureau)

Heureusement que le rocher était là. « J’ai du mal à trouver le sommeil », souffle-t-il. Il faut attendre minuit pour que le vent se calme. « C’est un peu comme lors de la tumultueuse traversée du canal de Magellan, le vent se dissipe la nuit arrivée. Quelle soirée ! » Il espère, en s’endormant que la réparation de fortune tienne le reste du voyage… Dans la nuit, il se réveille à 3 h 45. Il a le plaisir de constater que le calme revenu, que le ciel est complètement dégagé.

Trempé jusqu’aux os

Ce jeudi matin, le vent n’est plus qu’une histoire ancienne, mais la pluie a fait son apparition. Du fait du ciel dégagé, les températures ont baissé. Conclusion, un épais brouillard s’installe. « À 9 h je pourrais être prêt, mais je suis venu pour voir les paysages et je suis en avance sur le programme, alors j’attends. » La tente est démontée et posée sous un énorme rocher, « j’espère qu’elle va sécher ».

« Quelques minutes plus tard, je m’abrite en m’allongeant sous ce rocher, car la pluie redouble d’intensité. » Une heure, il patiente. À 10 h la pluie et l’épais brouillard se dispersent. Ils dévoilent d’un coup, les sommets qui l’entourent dans une atmosphère très humide.

« C’est le moment d’y aller avant que ça recharge et que je doive encore attendre dans cette position désagréable. »

L’emplacement de sa tente est désormais sous 2 cm d’eau. À peine 15 min après le départ, l’air est chargé d’humidité. « Il n’en faut pas plus pour que j’enfile le pancho. » Il passe ainsi devant de nombreux lacs sans vraiment profiter de la vue.

Deux heures s’écoulent, sous cette pluie. Flavien est affublé de ses guêtres, d’un sursac, d’un ciré… « Malgré tout l’attirail que j’ai enfilé, je ne suis pas loin d’être trempé jusqu’à l’os. » Comble du bonheur, l’étanchéité de ses chaussures lâche. (Crédits : Flavien Saboureau)

« C’est pareil à la journée à Port Stephens », acquiesce-t-il. Sauf que ce soir il n’y a pas chambre sèche et chaude à l’arrivée. « Je passe un col à plus de 740 m sans aucune visibilité. Je m’oriente grâce aux cairns et au GPS. » Il souhaite être proche de l’arrivée dès ce soir. « La fin est particulièrement compliquée », paraît-il. Sauf, qu’un petit détail est à passer avant, un col de 850 m. Il espère profiter des paysages d’altitude. Un autre détail ne l’enchante pas du tout. « Le potentiel passage de névés dans le brouillard ne me tente pas forcément non plus. »

Une après-midi bien monotone

La pluie ne cesse d’honorer Flavien de sa présence. Si bien qu’à midi, le repas se déroule dans une humidité ambiante, qui le dissuade de faire une sieste. Il potasse ses cartes pour trouver un coin pour bivouaquer. « Je trouve un spot de bivouac au pied du fameux col. Je vais tenter de m’y rendre en espérant que personne n’ait eu la même idée que moi. »

De toute façon, jusqu’à maintenant, il n’a pas croisé une seule personne. Lui qui veut voir des paysages à couper le souffle, c’est le brouillard qui est à couper au couteau.

« Dans le brouillard et les milieux humides, l’après-midi est monotone, je ne trouve pas de nouvelles plantes à me mettre sous la dent. » Peu de surprises au niveau des végétaux. « Je crois avoir fait le tour des communautés végétales de l’île Navarino et de la Terre de Feu en général. »

Puis, en milieu d’après-midi une silhouette se détache dans le décor sublime. « J’aperçois au loin quelqu’un qui semble me talonner. » L’avance de Flavien est telle qu’il arrive en premier au point nommé. (Crédits : Lac Navarino/Flavien Saboureau)

« Malgré tout j’arrive avant lui, bien qu’il ne semble pas avoir voulu s’y arrêter, au spot de bivouac. » Sur les recherches de ce matin, Flavien avait remarqué que la zone de bivouac, un simple promontoire plat, n’était pas au bord de l’eau. L’anticipation du remplissage de gourdes tombe à pic. Ce n’est pas cette eau qui le préoccupe, mais celle qui tombe du ciel depuis ce matin. « J’en ai ma claque d’être sous la flotte ! Il tombe des cordes. » Peu importe, il monte la tente. « Ma réparation de fortune semble tenir et il me faut que 5 min chrono pour réussir à me mettre à l’abri. »

Après la pluie, le froid

Il est 17 h 15. L’attente interminable débute, seul avec la percussion des gouttes sur la toile. « Cela me fait penser à de longues après-midi sous les orages sur le GR20. » Prévoyant, Flavien a pris le soin de mettre le sac de couchage à l’intérieur d’un sac poubelle ce matin. « J’enfile en plus le sursac étanche de survie pour ne pas humidifier mon duvet. J’ai beau avoir mis le footprint en dessous de ma tente, le sol est loin d’être sec… »

Une journée qui se termine sur une note humoristique. Les gourdes sont belles et bien remplies, mais pas assez pour faire la vaisselle. « Le comble », sourit Flavien.

Alors, ce soir il faut mettre un peu de chaleur dans l’assiette. « Je me fais de nouveau un lyophilisé, Chili con carne cette fois. » La pluie quant à elle cesse sur les coups de 21 h. Elle laisse sa place au froid.

« Hier matin, la météo a annoncé 4 °C au niveau de la mer pour cette nuit. Et je suis à plus de 400 m, le sursac ne sera peut être pas de trop finalement. »

Seule inquiétude, la densité des précipitations nocturnes. « C’est un coup à ce qu’il neige et il paraît que ça ne fait pas semblant ici. »

(Crédits : Armeria curvifolia — Plumbaginaceae/Flavien Saboureau)

« Les Français d’Angers, rencontrés il y a quelques jours, me disaient avoir abîmé leur filtre à cause du gel. Ni une ni deux, je le sèche et dormirai avec. Plus qu’à espérer que mes conditions météorologiques soient plus clémentes demain ». À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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