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Rien ne se passe comme prévu… (épis. 9)

Dimanche 10 décembre : « aujourd’hui n’aura pas été la plus exceptionnelle des journées du voyage », le ton est donné. La levée du corps est à 7 h 15, l’aventurier connaît l’heure d’arrivée de l’avion, dans exactement quarante-cinq minutes, sauf que… il patiente 30 min pour que Jen, le voisin de Shelley et Peter, vienne le chercher dans sa cabane, faite de briques et de brocs. Il lui annonce que l’aéronef ne peut pas atterrir à Port Stephens, sans la sécurisation de la piste. Les habitants s’affairent auprès des moutons.

Jen a un fort accent et parle très vite, j’ai du mal à le comprendre sourit Flavien. Ce qui est sûr est que mon avion ne peut pas se poser à Port Stephens. « Il semble froid », remarque Flavien. Mais lui propose de discuter autour d’un bon café. Il grimpe dans la JEEP, et les voilà partis en direction de Hill Cove Point, « ma cabane était à Hill Cove Top ». Le settlement est divisé en deux « bourgs ». Durant le trajet, il apprend que personne ne vit dans le Top, « j’étais le seul à dormir sans ce patelin ».

Seul au monde

Arrivée à bon port, « je rencontre sa femme dont j’ignore toujours le prénom… » Nous contactons à de nombreuses reprises la FIGAS et Ann, la vieille dame qui doit m’accueillir a Port Stephens. Aucune solution aéroportée n’est trouvée. Jen suggère de m’amener en 4×4. Il faut traverser West Falklands du Nord au Sud, ce qui représente trois heures de trajet. « Il ne peut pas aujourd’hui, mais me propose demain ».

Lui qui paraissait si froid semble sourire désormais. Je ne suis pas contre, mais ça lui fait 6 h de route aller et retour pense tout haut Flavien. Ça a l’air lui faire plaisir, il dit qu’il verra la nouvelle piste qui a été créée. « Après avoir calculé avec sa femme, il ne semble pas avoir été à Port Stephens depuis 14 ans ! »

« Ça va me coûter cher de lui payer le gasoil ». Après tout c’est l’occasion de visiter l’archipel d’une autre manière, qui dans les deux cas n’est pas décarbonée. Et puis ce n’est qu’à Port Stephens que l’on peut observer Plantago moorei et Nastanthus falklandicus dans le monde !

Pour le retour, je semble avoir compris qu’un médecin repart de Port Stephens en direction de Stanley, la capitale, mardi ou mercredi, ça me va. Je ne crois plus que ces dates soient respectées, « rien de ne se passe comme prévu ». Mon avion pour la Patagonie est annoncé samedi. Le timing est assez large. (Crédits : Flavien Saboureau)

Pendant ce temps il déguste son thé. Avant que Jen le ramène à son palace, pardon sa cabane, Flavien demande à utiliser leurs toilettes. « Je n’ai plus d’eau et mon PQ est trempé avec l’humidité de ces derniers jours », martèle-t-il. L’oubli de renfermer le papier hygiénique dans un sac étanche se paye cash. Le plein de la gourde effectué, les deux hommes prennent le chemin du retour. Jen lui montre comment accéder à la forêt plantée dans le bourg du haut, c’est une des seules attractions « touristiques » du secteur. « J’irai y faire un tour quelques heures plus tard. »

Des arbres plantés il y a près de 80 ans

« Je suis impressionné par la grandeur des arbres ». Selon les dires de son épouse, ces centaines, voire peut-être des milliers d’individus ont été plantés durant les années 40 et 50. Ce sont principalement des épicéas, des peupliers et des pins. Les premiers étant décimés par les scolytes. « Bien entendu, je ne comprends pas qu’on puisse faire d’une espèce exotique une attraction », souffle l’aventurier. Pour éviter une frustration, il se tait.

Rentré dans sa cabane, et après s’être restauré, il s’offre une sieste. Le temps, jusque là brumeux semble s’éclaircir sur le littoral. « C’est le moment d’aller voir la petite colonie de cormorans impériaux sur l’ancien ponton du village. » Faire d’une pierre deux coups !

« Cela fait bientôt quatre jours que je ne me suis pas douché et avec l’humidité ambiante ce n’est pas agréable de se sentir moite », observe Flavien. Il positionne son sac sur son dos et le voilà parti pour Hill Cove Point, à seulement 2 km de marche. Après une heure passée à observer la colonie sur le ponton, direction la maison de Jen. L’objectif de pouvoir, s’ils le permettent, prendre une douche.

« Des agneaux élevés dans leur jardin sont plus vifs que moi. Les voilà qui rentrent avec moi dans la maison. Une scène marrante pour les remettre à l’extérieur… »

(Crédits : Flavien Saboureau)

La délivrance lorsqu’ils acceptent volontiers que je prenne une douche. Ils semblent gênés par le fait que leur douche ne soit pas propre. « S’ils savaient à quel point je m’en fiche. De l’eau chaude c’est tout ce qui m’importe ! »

Flageolets, pâtes et cartes postales

Une discussion d’une quinzaine de minutes, Jen propose de me ramener : « quelle bonne idée ! » À peine de retour à la cabane, il se met à pleuvoir des cordes. « J’en profite pour commencer à écrire quelques cartes postales que j’ai achetées sur New Island. Je ferai cuire quelques flageolets avec des pâtes ». La nourriture commence à manquer, j’espère que l’on croisera une supérette demain soupire-t-il.

Rien n’est sûr ! Jen indique qu’on trouvera une station essence sur la route, alors pourquoi pas. Le repas terminé « je profite d’une éclaircie pour aller traîner sur la plage de galets à quelques centaines de mètres de là ». Bientôt trois semaines qu’il est parti, c’est l’occasion de faire un point sur son voyage.

Demain, lundi 11 décembre et 21e jours d’aventure, Jen récupère Flavien dès 7 h. Ce soir, il ne tarde pas à rejoindre Morphée. Levé dès potron-minet, soit à 6 h, « j’ai une heure pour me préparer. Je suis large », se réjouit-il.

C’était sans compter sur les 15 minutes d’avance de Jen… Me voilà à devoir quitter ma cabane à la va-vite. Je monte dans le pick-up et nous voilà partis pour 2 h 15 de route finalement.

Le temps est pluvieux. Quand la brume se dissipe, l’observation de paysages dénudés et d’interminables lignes droites s’offrent à Flavien. Chose intéressante, l’essence ne coûte que 80 centimes ici… (Crédits : Flavien Saboureau)

« Nous arrivons à Port Stephens vers 9 h 15 après 84 miles de piste. Je commençais à avoir mal à l’arrière-train, il était tant d’arriver », s’amuse Flavien. Après avoir donné 60 £ à Jen, c’est l’heure de rencontrer Ann, 83 ans, qui avec son mari sont propriétaires de la ferme depuis de nombreuses années.

Le luxe de dormir dans une vraie chambre

L’avion du retour est prévu demain, alors direction le terrain. « Avant de parcourir les 5 km qui séparent le settlement de la côte, où je suis censé trouver les plantes, je prendrais un thé. » Il patiente quelques dizaines de minutes, que la pluie cesse. Flavien s’équipe : coupe-vent, ciré, sursac, pantalon de pluie, guêtres et chaussures goretex… « Je ne peux être plus waterproof… » Parti sous la bruine, la pluie se remet à tomber 30 minutes plus tard. « Je me fais une raison. Je ne resterais pas sec toute la journée. Il m’a fallu plus d’une heure pour trouver la première plante, heure fatale à l’étanchéité de mon équipement. »

Au bord d’une falaise, un rocher en porte à faux lui sert d’abri pour faire chauffer son déjeuner : le dernier sachet de fondue savoyarde déshydraté. « Je prends la direction du Nord, par les pertes escarpées du Stephens Peak et tomberai sur quelques coussins du plantain de Moore, l’une des plantes les plus rares de notre planète. »

Une centaine de clichés plus tard, il continue son chemin. « Dans la baie que je surplombe, j’observe une grande colonie de Papous. » Sans le téléobjectif par peur de le détériorer avec ce temps, il fait quelques photos de la colonie avec le macro. « Les poussins sont particulièrement bien portants ici, ils grandissent incroyablement vite… » Quelques manchots royaux sur œufs se mélangent dans la colonie. Il reste quelques dizaines de minutes, mais à bientôt 16 h, il se résigne à rentrer. Le temps ne s’est pas arrangé. Trempé depuis quelques heures « il commence à sérieusement cailler ». (Crédits : Nastanthus falklandicus/Flavien Saboureau)

Vu le temps, Ann m’offre une chambre et de quoi prendre une douche. Plus tard nous prendrons le repas et « je suis surpris de voir que nous sommes dix à manger ! » Des jeunes venus du Chili, d’Afrique du Sud et d’Angleterre sont là pour tondre les moutons et sont affamés. « Ann nous sert un repas comme je n’en ai pas vu depuis longtemps, avec une incroyable quantité de nourriture (il ne faut pas être végétarien par contre). La peau du ventre bien tendue j’irai me coucher après avoir aidé Ann à faire la vaisselle, tous s’étant évaporés. » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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