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Un réveillon aux pâtes carbonara (épis. 15)

Dans deux jours, Flavien fête Noël à l’autre bout du monde, seul face à la nature. Il aura son cadeau bien avant la date : un renard de Magellan. Après les réjouissances, les plats à la carte sont copieux : des névés, un dénivelé positif, des chemins presque vierges de tout passage. La nostalgie le tient, c’est son troisième Noël sans sa famille autour. Pour autant, il peut se vanter d’avoir pris le petit déjeuner avec des flocons de neige illuminant le ciel.

« À midi, sur le bord de la lagune j’aperçois un renard de Magellan, le fameux dont Darwin parle dans son récit ! » Le culpeo se positionne près de la zone de pique-nique. Il doit être coutumier du fait, pense l’observateur. Trêve de plaisanteries, « je ne traîne pas. J’attaque la grande randonnée avant 13 h. » Le sentier demeure introuvable durant les premiers kilomètres. Précautionneux, il use de son GPS pour tracer sa voie, afin d’éviter les grosses courbes de niveau.

Une verticalité incroyable

Les personnes qui tentent ce trek ne sont pas nombreuses. « J’arrive dans une tourbière où je réussis à discerner une sente, il n’y a pas beaucoup de monde qui fait ce trek… » pense Flavien. Les heures s’enchaînent. Le forcené se trouve nez à nez avec quelques cairns. Ces « tas de cailloux » indiquent le chemin à suivre dans les endroits où un balisage « classique » n’est pas pratique ou voyant.

Avant d’attaquer le dénivelé positif, quelques torrents sont à traverser. Un refuge, pas mentionné sur les cartes de Flavien se découvre.

« Je passerais bien une nuit ici, mais il n’est que 16 h 30, il faut que j’avance si je veux réussir à faire le trek en 3 jours. »

Quelques dizaines de pas engloutis « je découvre le col qu’il me faut passer pour rallier l’autre vallée où je compte poser ma tente. »

Il semble infranchissable, surtout avec les nombreux névés subsistant en cette fin d’année. « En me rapprochant, ça semble faisable. » Il poursuit en direction des 250 m positifs, d’une verticalité incroyable.

« J’attaque les névés de côté, en pas chassés, pour éviter de dévaler la pente. Là-haut ça caille, mais la vue commence à être sympa. J’enchaîne un col voisin à plus de 800 m après avoir traversé un éboulis très grossier. » (Crédits : Flavien Saboureau)


Il est 18 h quand il s’attelle à la descente. La hantise de ne pas trouver de bivouac plat et sec augmente. « Je trouve un spot idéal près d’un torrent, ce qui me permettra d’avoir de l’eau pour la cuisine », se réjouit-il. Le temps se couvre, le froid tombe. « Je croise les doigts pour qu’il y ait un fin manteau neigeux au réveil. Je protège les côtés de la tente au cas où je m’endorme très tôt. Cette journée pleine d’incertitudes m’a épuisé. »

Réveillon de Roi pour Noël

« Il est 21 h 41. Je viens de finir de manger mes pâtes carbonara lyophilisées. À la maison tout le monde doit être sorti de table, les enfants avec leurs cadeaux. » Pour marquer le coup, des branches de Nothofagus betuloides et Chiliotrichum diffusum sont à l’entrée de la tente. « C’est la première fois que je fête un réveillon seul, pas dingue comme situation, mais je n’avais pas le choix si je voulais faire ce trek avant de partir d’Ushuaïa. » C’est le troisième réveillon de rang sans sa famille, les deux précédents étaient sur Amsterdam.

Installé sur son bivouac à 550 m d’altitude, il tombe quelques flocons de neige durant son petit déjeuner. « C’est sûrement la seule fois où j’en ai vu le jour du réveillon », s’amuse-t-il.

La tente se plie malgré l’humidité des quelques flocons. Il descend plein ouest. « La sente se distingue à peu près, mais la traversée d’une rivière me pose quelques soucis », assure-t-il.

Arrivé au point prévu, impossible de trouver quelconque sente ou indication. Le GPS sort de son sommeil. « J’essaye de le suivre, mais je ne suis pas assez assidu et je me retrouve à littéralement escalader une forêt de lengas ».

Elle a brûlé, il y a quelques années. Sur les 300 m de dénivelé positif « je m’échine à m’arrimer aux troncs, parfois trop cramés… » (Crédits : Flavien Saboureau)


Après deux heures de concentration pour se dépêtrer de cet amas de branches, il retrouve un semblant de sentier, il est 14 h. L’estomac crie famine. « Il fait faim depuis quelque temps », lâche-t-il. À peine arrivé où il prévoit de pique-niquer, un condor le repère. « Il se rapproche en tournoyant à une cinquantaine de mètres par moment. Cela dure cinq minutes, incroyable ! » Flavien mange sur le pouce. Cette mésaventure lui fait perdre beaucoup de temps sur sa prévision. « Le paysage est remarquable, un semblant de cirque me fait face. »

En direction du col du papillon

Désormais, direction le Paso Mariposa, à 920 m. Il s’engage dans la vallée. Voyant les quantités de neige restantes, « je commence à appréhender de ne pas avoir de crampons. » Surtout qu’il n’y a pratiquement aucune trace. Traversant trois ou quatre névés d’une centaine de mètres, son arrivée au col s’effectue sous un soleil radieux. « Finalement, bien que molle, la neige était bonne pour pouvoir y aller sans crampons. »

« Il n’y a presque pas de vent en ce 24 décembre, les conditions sont idéales pour la plus alpine des étapes. » Il redescend jusqu’au Paso Valdivieso, et profite du spectacle de condors profitant des courants ascendants. « Je suis à 620 m, et le bivouac espéré est à 250 m, il y a encore du chemin », souligne Flavien. D’autant que la tocante sonne 17 h 30.

Il suit le cours d’un torrent de montagne. « Les berges sont recouvertes par de magnifiques coussins de sphaignes, dans lesquelles poussent des lengas aux formes incroyables. » C’est un des plus beaux paysages qu’il a pu observer. Il touche enfin au but. Le site de bivouac indiqué sur son GPS. La zone est inondée compte tenu du travail des castors. Il s’emploie à trouver en vain un lieu idéal. « Je ne trouve rien de plat et sec alors je continue mon chemin entre les nombreux troncs abattus par les castors », se désole Flavien. (Crédits : Flavien Saboureau)


Il est déjà 20 h, le soleil passe derrière les montagnes. « Je suis un peu stressé de ne pas savoir si je vais trouver une zone de bivouac. » Finalement, quelques dizaines de minutes plus tard, sa bonne étoile lui sourit. Enfin un endroit plat. Il est situé dans un méandre de rivière. « Ouf ! Je peux souffler et commencer à monter la tente avant que la pluie annoncée demain ne fasse son apparition. » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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