Arrivé à bon port (dernière partie)
Le 234e jour de l’année, dimanche 22 août 2021 « je soulève le rideau, le soleil levant dévoile la base de Port-aux-Français, la petite capitale des TAAF ». C’est aussi le nycthémère où Flavien, frustré de n’avoir pu se rendre sur Crozet quelque temps auparavant, a la chance de pouvoir descendre sur terre. Donc, après le petit déjeuner, « je m’habille chaudement, puis je me rends à l’entrée de la DZ où j’attends mon nom, avant de monter dans l’hélicoptère vers 9 h 15. »
La France située au sein de l’hémisphère nord s’accroche aux soubresauts d’un été moribond, aux dernières chaleurs, aux ultimes barbecues, avec en point de mire, la rentrée des classes. Les journées raccourcissent de pis en pis, l’automne pointe petit à petit son nez. Le 22 septembre 2021 (à 21 h 21), il s’affiche au calendrier, fier comme Artaban, annonçant prématurément l’hiver. Dans l’archipel des îles Kerguelen, la saison défavorable court de juin à octobre. Ainsi, la base de Port-aux-Français s’est couverte d’un joli manteau blanc, « actuellement il fait 1 °C dans l’air, quant à l’eau seulement 3 °C, avec un vent qui souffle autour de 20 à 30 nœuds ».
Privilège de photographe, ses quatre collègues lui ont cédé la place à l’avant afin d’immortaliser l’instant fugace du transport. Il faut dire que la distance entre le départ du Marion Dufresne et l’arrivée sur camp s’effectue en trente petites secondes. « Le trajet reste bref, mais à peine le temps de redonner notre gilet de sauvetage que le DisKer et les agents de la Resnat nous accueillent. » Puis le chef de district de Kerguelen (DisKer) entame son discours de bienvenue au foyer de la base, à Totoch. Le verre et les cookies attendent patiemment la fin de l’allocution, tandis que les murs affichent, à qui veut bien les voir, les mémoires des précédentes missions. Une toute petite demi-heure suffit pour que les agents de la Réserve naturelle (ResNat) « nous prennent en charge et nous emmènent dans leur bâtiment » accompagné de Franck, le directeur, Clément le gérant et Antoine responsable de la biosécurité (procédure de décontamination visant à limiter l’introduction d’espèces allochtones invasives). « Jusqu’à midi, ils nous exposeront les différentes problématiques qu’ils ont et comment ils ont pu y répondre au cours de leur hivernage. »
La pause repas finit « nous aidons au débarquement des vivres ». Le ballet des chalands enclenche la musique. Ces bateaux à fond plat emportent les conteneurs à portée de grue. Elle porte la précieuse cargaison avec délicatesse aux pieds du « manitou » pour les derniers mètres. L’aéronef, tel un métronome, marque la cadence, effectuant des rotations, encore et toujours, avec d’autres provisions. « Il y en a des tonnes », s’esclaffe Flavien. Ainsi, la trentaine de paires de mains n’est pas de trop pour convoyer patates, pommes, fromages, litres de lait, surgelés, carottes, kiwis, oranges… aux lieux de conservations que composent réfrigérateur et congélateurs. La base de Port-aux-Français bouillonne de vie.
Comme dans un rêve
En très peu de temps, toutes les victuailles sont rangées. Deux agents de la réserve, dont l’ornithologue, organisent une excursion, en direction de la villégiature des manchots papous et éléphants de mer. « Nathalie, botaniste me montre quelques plantes, Ranunculus biternatus, Ranunculus pseudotruliifolius, et Crassula moschata. En avançant, nous passons devant la statue de notre dame du vent, qui symbolise l’endroit de la base où il souffle le plus, et il faut dire que l’emplacement est bien choisit », claque-t-il.
Les souhaits se réalisent au fur et à mesure. Près d’une plage où des amas d’algues se sont échoués, des milieux humides, bien en retraits, sont peuplés du fameux canard d’Eaton. « Cet oiseau que je voulais absolument voir est endémique de Crozet et de Kerguelen. Sur des récifs à quelques dizaines de mètres, un manchot papou, seul, se laisse photographier quelques secondes avant de plonger. Juste à côté, une otarie de Kerguelen, qui se confond dans les rochers, prend la pause », s’émerveille Flavien. La troupe continu son chemin longeant le littoral, quand viennent à se contempler Juncus scheuchzerioides, Deschampsia antartica et la fameuse Leptinella plumosa.
Puis une rencontre plus que surprenante pour tout un chacun : « un renne se montre, malheureusement j’ai envie de dire. Cette espèce, introduite il y a des décennies, cause de nombreux dégâts sur les milieux humides et les fell-field (désert pierreux), explique l’aventurier. Juste avant de faire demi-tour, un pacha de plus d’une tonne, se repose sur un lit d’algue, à ses côtés deux femelles. » Tels des paparazzis, les visiteurs d’un jour campent de longues minutes à immortaliser l’instant. A travers son caillou, il observe, fige Callitriche antarctica et de tout petits pieds de Pringlea antiscorbutica, le botaniste est heureux. Cette dernière, emblématique de l’archipel, coincé entre deux grillages, a pu échappée aux lapins introduits également par l’homme. Tradition de la marine, sur les navires, personne ne parle de « lapin », mais de bête à longues oreilles (BLO). « À peine rentré à la base, l’hélicoptère nous accueille pour nous ramener sur le Marion. Une journée comme on en voit que dans les documentaires télévisés, un rêve. »
Après l’euphorie, la mélancolie
Du 23 au 26 août 2021, les quantièmes lui semblent monotones. Au mouillage dans le golfe du Morbihan, juste en face de la base de Port-aux-Français. La semaine débute par une rencontre fugace entre Flavien et un dauphin de Commerson, dont « seuls 97 individus sont connus ». En vain, il cherchera à le revoir…
En fin d’après-midi, le mauvais temps s’annonçant pour la nuit, le chaland, l’« Aventure II » (après avoir œuvré aux différents déchargements) navigue deux heures et demie pour se réfugier dans une zone plus calme du golfe du Morbihan, le bras Jules Laboureur. Opération effectuée lorsque des vents de directions sud-ouest soufflent à plus de 35 nœuds (env 65 km/h), mais aussi quand ils proviennent de tous secteurs supérieurs à 50 nœuds (92 km/h).
Les prévisions météorologiques se réalisent, le mardi 24 août 2021 la tempête présente toute la journée, avec des bourrasques constantes de l’ordre de 50 nœuds. Durant la nuit, le baromètre « enregistre la plus basse pression mesurée depuis mon départ », 965 hectopascals. Durant toute la journée, ou presque, le bateau navigue en décrivant un hippodrome dans le golfe du Morbihan. « Nous sommes si proches de certaines îles situées à l’ouest du golfe… j’apprécie la chance d’être ici, pourtant il n’y a rien à faire, ce besoin incontrôlable de descendre à terre renforce de sentiment de frustration qui m’est impossible de gérer… » Le départ est annoncé. La neige est réapparue en milieu de matinée lorsque Flavien dévorait les dernières pages du livre sur les explorations botaniques.
Ce jeudi 26 août, les températures chutent, avec un 0 °C dans l’air et une eau à seulement 2,9 °C. Le début d’après-midi coïncide avec l’intervention de Marie-Julie, psychologue des TAAF. elle a présenté de manière préventive les différents risques de vie sur base. Comme dans tous films, les occupants du bateau en partance, agitent les bras en guise d’au revoir, ici aux hivernants laissés sur Port-aux-Français, dont Pauline, l’autre VSC. « Le vent souffle fort, il fait bien froid ce soir. En traversant le golfe du Morbihan, je regarde les paysages dans le coucher de soleil. Puis notre sortie s’effectue par la passe royale, où des nuées de prions, composés de millions d’individus nous attendent, conte Flavien impressionné. Je comprends mieux pourquoi Kerguelen et Crozet sont les territoires où l’on retrouve le plus de biomasses au km2 dans le monde… »
À quelques encablures d’Amsterdam
Ce vendredi 27 août 2021 débute par une formation théorique sur la sécurité et la médecine distillée par la docteure. Ensuite, Flavien enchaîne par la routinière « biosécurité » primordiale pour la descente sur Amsterdam qui s’annonce (enfin) dimanche matin. La mise en application donne différents exercices similaires à la prévention et secours civique de niveau 1 (PSC1), avec l’apprentissage des gestes de premiers secours. Ils permettent d’augmenter sensiblement les chances de sauver des vies et de rendre plus efficace l’intervention des secours. Pour plus de renseignements, il suffit de contacter l’union départementale ou régionale de sapeurs-pompiers, le SDIS. Les associations agréées de sécurité civile (AASC) proche de chez-vous, comme la Protection civile, la Croix-Rouge et bien d’autres encore. Juste avant de se restaurer, il écrit quatre nouvelles cartes postales du bout du monde.
« L’après-midi, je profite du redoux qui arrive avec notre remontée vers le nord, pour photographier quelques albatros à tête grise ». Un repas sous signe d’une célébration se déroule dans une pièce à part « où, l’on partagera des bouteilles de rouge payées par Alain, dont c’est l’anniversaire. » Alors que les dernières bouchées parviennent tout juste dans l’estomac de chacun, le capitaine du Marion Dufresne, M Eyssautier, offrira à tous un verre de punch, entrecoupé deux parties de baby-foot. Flavien clôture la soirée studieusement. Il amorce un diaporama sur la faune et la flore rencontrée depuis le commencement de cette traversée, qu’il finira le lendemain matin, et enverra aux membres de l’aventure.
Tous les préparatifs pour le débarquement doivent être terminés dimanche. Une journée faste qui débute par « une ultime machine » à laver le linge avant d’arriver sur Amsterdam, car « il faut au maximum économiser l’eau sur l’île ». Puis, Flavien range sa chambre, apprête ses valises. Une formation est dispensée sur le plan de gestion de la réserve naturelle. « Après avoir photographié mes derniers oiseaux à bord du Marion je vais payer mes dettes à la poste du bateau et au bar. » Une fois le linge sec et rangé, il descend ses grosses valises dans les cales, afin d’être acheminées lundi 30 août 2021 par héliportage. L’ultime intervention est diligentée par la responsable de la direction des pêches et des questions maritimes (DPQM), sur les quotas et techniques autorisées sur Amsterdam et sa fameuse langouste.
Premiers pas sur Amsterdam
Des phrases d’aventurier sont restées célèbres à travers les siècles, l’une d’elles était prononcée le 21 juillet 1969, à 2 h 56 : « C’est un petit pas pour l’homme, un bond de géant pour l’humanité ». Neil Armstrong avait posé son pied gauche sur notre satellite, la Lune. Un autre plus proche des Français, reconnaissable à son bonnet rouge, Jacques-Yves Cousteau. « J’ai trouvé ma lune dans les profondeurs de la mer. »
Quel sentiment ressent une telle personne qui part effectuer une exploration d’un lieu peu ordinaire ? C’est la question posée à Flavien Saboureau : « J’avais l’impression d’être à l’intérieur d’un documentaire, tout était nouveau. J’en apprenais tous les jours, aussi bien sur l’extérieur qui m’entoure, que sur moi. Un rêve éveillé pendant lequel j’avais le temps de profiter et de prendre du recul. L’arrivée sur l’île aura été l’occasion de relâcher toute la pression accumulée depuis janvier et des multiples formalités pour parvenir jusqu’ici. Il m’aura fallu de nombreux jours pour réussir à prendre mes marques, et ne pas être trop perdu dans cet univers où peu de choses sont ordinaires. »
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