dimanche, mars 17, 2024
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De Lavausseau aux terres australes

C’est un long périple que Flavien Saboureau (23 ans depuis le 25 février) entreprend le 18 juillet 2021. Cet enfant de la cité des tanneurs (86) a parcouru un chemin empli d’expériences. L’aventure le mène cette année à Amsterdam, pas la capitale néerlandaise, mais l’île des terres australes et antarctiques françaises (TAAF). De son bout d’hortillonnage aménagé au domicile familial au Jardin botanique de Nantes où il est employé, je vous emmène en voyage le découvrir à travers la flore qu’il affectionne.

Très jeune, il est passionné par des travaux de minutie. Il ne le sait pas encore, mais cette caractéristique sera déterminante dans son futur. Après Émeric et Ophélie, il est le petit dernier, forcément chouchouté, comme dans tous les clans. Son cursus scolaire demeure classique, jusqu’au voyage en terre saintaise où il obtient son bac, avec mention très bien. « Je voulais être paysagiste », chantonne-t-il. Ainsi, il migre à Angers pour suivre les cours du BTS aménagement paysager, encore mention très bien. Poursuivi par ses études, il décrochera une spécialisation en botanique dans la ville de Besançon, à Chateaufarine. Pointilleux sur les termes, il effectue auprès des siens des ajustements, pour les non-initiés : « La plante ne fait pas forcément moins d’un mètre, elle peut-être une mousse comme un arbre. La fleur est la partie de la plante. Les gens font souvent l’amalgame, comme ma maman, mais ce n’est pas grave », sourit-il.

Il faut parfois être au ras du sol pour voir la grandeur d’une plante, la contempler avant de pouvoir la photographier. (Crédits : DR)

Il n’est pas latiniste, mais appréhende petit à petit sa gymnastique. « Il est la nomenclature commune qui range les plantes dans des cases. Nous parlons le même langage, ce qui est bien. Le Latin permet la compréhension de bien des choses, comme, par exemple, le séquoia sempervirens qui signifie toujours vert ». L’évolution suit son chemin quand il participe au concours national de reconnaissances des végétaux. La consécration arrive en 2017, avec le titre de champion de France dans la catégorie « Aménagements paysagers ». « Felix qui potuit rerum cognoscere causas » est une locution latine qui lui sied (N.D.L.R. Heureux celui qui a pu pénétrer le fond des choses). De fil en aiguille, il travaille au Jardin botanique de Nantes, depuis novembre 2019. « Je m’occupe des arbres et arbustes de climats tempérés et la nomenclature, l’étiquetage de 9000 espèces. » Puis survient, comme une graine semée, un sentiment d’éclosion. Le besoin d’effectuer un service civique, mais pas n’importe quoi, ni n’importe où…

À 2880 km de l’île de la Réunion

Après de multiple rendez-vous, tests, entretiens et une attente interminable… le couperet tombe enfin : « Pour ceux qui n’étaient pas au courant, et ceux qui y étaient, c’est officiel ! À partir de juillet, je pars avec la mission 73 sur ce rocher perdu au milieu de l’océan Indien, l’île d’Amsterdam, une des îles les plus reculées du globe, annonce-t-il fièrement sur Facebook. J’aurais en charge la réintroduction du Phylica arborea, un arbre en danger d’extinction qui, dans le monde, ne subsiste plus que sur 2 îles. » Il ne sera pas esseulé sur le caillou volcanique, la population sera au nombre de vingt l’hiver, et doublera l’été. Des scientifiques, ornithologues, botanistes, météorologues, sismologues, militaires, cuisiniers, électriciens, mécanos, et un médecin, sur une île de 54 km2.

Phylica arborea est la seule plante ligneuse arborescente indigène des TAAF sur l’île Amsterdam dans l’océan Indien. Elle est l’une des deux seules espèces arborescentes indigènes présentes sur les îles de l’archipel Tristan da Cunha dans l’Océan Atlantique. (Crédits : B. Navez — Nov 1999 — île Amsterdam)

Amsterdam se trouve dans l’océan Indien méridional par 37°50′ S et 77°35′ E est une des îles les plus isolées au monde. Située à plus de 3 000 km de tout continent, sans être le point Nemo, elle est éloignée de toute civilisation. Avec l’île Saint-Paul (8 km2 de superficie) localisée à 91 km plus au sud, Amsterdam se trouve au sud-ouest de la ride médio-océanique est-Indienne. Les îles sont très proches des 40e rugissants, et non loin des 50e hurlants et 60e déferlants. Les deux îles reposent sur un socle très étroit, qui sombre de manière abrupte à plus de 3 000 mètres. De formation très récente, Amsterdam est un volcan relativement simple constitué d’épanchements de lave et de projections de scories basaltiques.

Un périple digne d’un aventurier

Durant les dix-huit mois de son aventure, dont quatorze sur place, toute sa vie tiendra dans deux cantines métalliques d’un poids maximum de 110 kg. « Elles sont blindées de trucs comme des tablettes de chocolat, des gâteaux secs… avec un protocole de biosécurité strict », assure-t-il. L’exemple des chaussures est criant de vérité : « Passez l’aspirateur à l’intérieur de vos chaussures en enlevant les semelles. Puis, brossez à l’eau et au savon le dessus et la semelle de toutes vos chaussures afin d’éliminer toute présence de terre, de graines, d’insectes ou d’œufs. Enfin, rincez-les à l’eau claire, faites-les sécher, puis placez-les directement dans vos bagages. » La raison est toute simple, les espèces introduites sont la plus grande menace pesant sur la biodiversité des Terres australes françaises. C’est pour cela que sont interdits les produits frais (fruits et légumes), végétaux séchés et déshydratés, animaux vivants, végétaux viables et organismes vivants, et les fruits à coques non décortiqués. Quoiqu’il en soit, dans un peu plus d’un mois, le jeune botaniste s’envolera direction La Réunion. « Sur place, je commence par une semaine de formation et deux de quarantaine. Le 11 août nous embarquons sur le Marion Dufresne. »

Le « Marion Dufresne » à quai. Il est long de 120,5 et large de 20, 6 mètres, son tirant d’eau est de 6, 95 m. (Crédits : Antoine Dervaux)

La traversée s’effectuera en trois étapes. De la Réunion au Crozet sur cinq jours (3 à 4 d’escale), puis direction Kerguelen en deux jours (5 à 6 d’escale) et enfin quarante-huit heures pour atteindre Amsterdam (3 à 4 jours d’escale). Dans ces endroits, pas de ports, le débarquement des matériaux, matériels et passagers s’exécute par hélicoptère. Après le voyage, rien ne sera ordinaire. Coupé du monde durant d’une année et demie, cette aventure humaine et scientifique grandit et permet une connaissance intrinsèque de chacun. Les documents fournis, comme le guide de mission mentionne cette particularité des districts austraux. « Sur le plan psychologique, l’isolement géographique et une vie communautaire permanente constituent des contraintes qui peuvent s’avérer difficiles à supporter. N’oubliez pas que vous êtes volontaire. » En effet, la vie à long terme en petits groupes isolés de la civilisation et somme toute la relative promiscuité nécessite des efforts importants. Il est primordial d’essayer de comprendre ses compagnons dans leur divers comportement, et de « préférer le dialogue au conflit et d’éventuellement leur apporter un soutien ».

À la recherche de la fleur inconnue

« Mon travail existe depuis 2010, je serais le douzième à l’effectuer. C’est-à-dire récolter des graines, tenir une pépinière pour réintroduire des espèces », simplifie Flavien. Car rats et souris ont immigré en nombre dû à l’activité humaine précédente. « Ils mangent les graines, et les digèrent totalement. Leurs actions sans les missions feraient disparaître des espèces de la terre. » Leurs quotidiens seront intenses. « Ma journée type… pas le temps de s’embêter, principalement des relevés de la flore, de leur habitat, la phytosociologie. Pour les sorties, c’est comparable à celles de l’ISS, juste pour le travail. Nous serons chaussés de raquette pour déambuler hors des sentiers balisés, tout en évitant la végétation sensible comme la sphaigne. » Des missions diverses et variées, avec des enseignements supplémentaires. Pour autant, il existe des taches obligatoires nécessaires et vitales :

  • Une participation aux exercices de formation de lutte contre les incendies, qui sont organisés sur le district.
  • Une intégration au sein de l’équipe de sécurité, qui peut conduire à jouer un rôle, soit dans la préparation du matériel nécessaire pour lutter contre le feu, soit directement dans la lutte contre un éventuel incendie.
  • Une participation au service d’astreinte organisé par la base. Le personnel d’astreinte est ainsi tenu, environ une semaine sur trois ou sur deux (en cas de manque de personnel), de rester sur base afin d’être prêt à intervenir en cas d’incendie.
Les images, rencontres et souvenirs qui hanteront longtemps les rêves du jeune botaniste feront peut-être naître des vocations. (Crédits : Antoine Dervaux)

Sans moyen ordinaire de communication, et deux heures d’appels via satellite mensuelle, ils vivront aux rythmes de la météo. De plus, dans un espace ultra-protégé, ils devront garder une distance minimale de 10 m des colonies de manchots, Albatros, Pétrels géants, Otaries et Éléphants de mer, de 20 m des oiseaux sur nid, de la mise bas des mammifères marins, et des colonies de manchots papous, avec l’interdiction de s’approcher des colonies d’oiseaux fouisseurs. Flavien aura l’occasion de rapporter des clichés pris au téléobjectif pour compléter sa page photographique, comme de réaliser peut-être son souhait, découvrir une espèce inconnue.. « Le stress, j’évite de trop y penser, j’ai pas mal de papier à produire, avant le départ le 18 juillet. » Bon vent !

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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