Pérégrinations

L’ascension de l’emblématique El Camote (Épis. 43/46)

Ça y est ! En ce mercredi 28 février 2024 ça fait cent jours tout pile que Flavien est parti de la maison familiale de Lavausseau. Pour résumer son voyage, cette journée ne se passe pas comme annoncé. L’aventurier du bout du monde imagine, planifie, envisage jusqu’au moment où le grain de sable vient s’immiscer dans la machine. Mais avec le recul, c’est une chance de vivre une vie où l’imprévu se présente. Elle procure un maximum d’expériences et de souvenirs. D’autant que le hasard faisant bien les choses, une journée de plus où son quadriceps peux se reposer.

Flavien a rendez-vous à 9 h avec Ignacio pour partir en direction d’El Camote. « La cuisse est en meilleur état et son propriétaire est surmotivé, je suis prêt à 8 h 30. Ce qui est loin d’être dans mes habitudes… », reconnaît-il. Mais, car il y a un mais, cinq minutes plus tard Ignacio m’annonce qu’il s’est fait mal hier lors de sa séance de musculation et que l’on ne pourra pas y aller. « Quelle déception ! » Un quart d’heure s’égraine, quand il se met à pleuvoir. Heureusement pas comme le déluge meurtrier de Valence, en Espagne. Ici, les locaux disent « està caillando sopaipillas ». Des mets qui sont dégustés lors des précipitations d’hiver. Cette météo console et atténue sa frustration.

Ne pas faire son cabri

La matinée se passe, comme tout un chacun dans la salle d’attente de son médecin traitant, les yeux fixés sur le portable. Flavien recherche diverses informations sur quelques plantes qu’il pourra croiser. Il bout d’impatience en silence. « L’après-midi est ensoleillée. Je ne peux pas rester plus longtemps à ne rien faire alors que je suis sur l’un des épicentre de la biodiversité mondiale. »

L’expérience sert toujours, à un instant où à un autre. « Pour ne pas créer de tension avec la CONAF, je décide de ne pas faire le cabri. Je reprends la direction du Mirador de Selkirk, où il me semble avoir loupé quelques espèces samedi. »

Là-haut il convoite dans la végétation deux types de Robinsonia. « Avec les énormes Thyrsopteris, la végétation est impénétrable et je me griffe de partout. »

Au prix de nombreux efforts « je ne tarde pas à trouver ce que je suis venu chercher. » Qui plus est, alors que je retrouve mon souffle dans une trouée de flore, se présente devant moi Ugni selkirkii. Une myrtacée en danger d’extinction, car fortement concurrencée par sa cousine invasive. « Je la photographie sous toutes ses coutures », comme à la Paris Fashion Week.

(Crédits : Flavien Saboureau)

« Je reprends le chemin et pars faire le sanglier ailleurs. » C’est alors qu’il remarque son tout premier colibri de Juan Fernandez en pleine forêt primaire. « Loin d’être effrayé de ma présence, j’ai le loisir de l’observer butiner les fleurs de l’endémique Rhaphithamnus venustus. » C’est après avoir regardé comment est constituée la fleur que l’on comprend mieux la longueur de son bec. Bien qu’il faille rentrer, Flavien profite une dernière fois de l’incroyable vue qu’offre le mirador Selkirk. Le fameux gourmet s’essaye dans un nouveau restaurant en mangeant du poisson frit au Bahia.

C’est le bon jour pour El Camote

Ce matin est le bon. « À 9 h 45 nous partons en direction de la Plazoleta Yunque avec le 4×4 pour rejoindre le pied du sommet de l’île. » C’est à partie de cet endroit que débute le « pseudo-sentier » vers El Camote. Sur l’itinéraire, ils récupèrent des agents de la CONAF qui doivent aller travailler à la Plazoleta.

« À quinze dans le pick-up, il avance prudemment sur la piste qui ressemble plus à un chemin de VTT de descente… », explique Flavien accroché à son siège. Le périple, pour la cinquième ascension d’Igniacio, s’effectue en compagnie de Gonzalon le pépiniériste, Gaël un jeune de la communauté et le naturaliste Lavaucéen. « Nous parcourons une magnifique myrtisylve où de très nombreux Arthropteris grimpent à l’assaut des Nothomyrcia », décrit Flavien.

L’équipage est en pleine montée quand Dicksonia berteroana survient. « Jusque là il y a assez peu d’invasives, c’est la forêt la mieux préservée que j’ai traversée sur l’île. »

Un moment suspendu apparaît aux alentours de 530 m d’altitude. « Ignacio me regarde et me désigne, sans un mot, celle que je cherchais, le Lactoris fernandeziana, la plante emblématique de l’archipel. » Comme David auparavant, ils sont obligés de patienter que Flavien s’active avec son caillou accroché au zinc. « Après d’innombrables clichés, nous repartons à l’assaut de la montagne. » (Crédits : Flavien Saboureau)

Dès lors les ronces, les Aristotelia apparaissent, ce qui complique sérieusement l’avancée… Heureusement Ignacio connaît bien le chemin, car il faut avouer que les anciennes traces de passages sont au milieu de toutes ces espèces de fougères. Impossible à repérer sans être un initié. Comme à chaque instant, sans être surfait, Flavien à la chance de s’émerveiller. « La vue est incroyable. Le temps est magnifique, le Yunque dégagé et il y a peu de vent, on a bien fait de reporter d’une journée », sourit le jeune homme.

Une promesse est une promesse

Les nouvelles espèces sont de la partie. Avec Ignacio, ils repèrent quelques pieds de Colletia au creux de falaises inaccessibles. « C’est la première fois qu’il voit cette espèce depuis trois ans qu’il œuvre ici, il est heureux comme un gosse. Pour moi tout est presque nouveau… »

Falaise, Chili, plante

À quelques heures de la conférence qui se tient à 18 h, ils mangent, et dénichent quelques autres plantes dans les falaises, « où je me fais quelques frayeurs, et nous redescendons. »

Deux heures passent lorsque la salle se prépare à la conférence sur l’île Amsterdam. En échange du logement alloué gratuitement, il présente un sujet de son choix aux habitants du village. Une affiche avait été placardée deux jours avant. Dix personnes seront de la partie.

Après avoir mangé une pizza, l’équipage se rejoint autour du zinc d’un bar. « J’avais promis de payer une bière à Ignacio et Gonzalo s’ils trouvaient le fameux Lactoris, parole tenue ! » (Crédits : Flavien Saboureau)

« Il est minuit passé quand je rentre pour dormir mon ultime nuit dans le logement. » Les dernières heures s’approchent de plus en plus pour Flavien. D’ici quelques jours, il va retrouver les bruits de la civilisation, de ceux qui font notre quotidien, qui marquent et nous imposent un rythme insensé, à l’inverse du suave tempo de la nature. Mais la transition s’effectue doucement en repartant dès demain vers des visages connus à Santiago du Chili. À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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