Pérégrinations

De l’île de Robinson Crusoé à Valparaíso (Épis. 44/46)

Il est 8 h 45, en ce premier mars quand Flavien sort de sa chambre qui est d’ores et déjà rangée. Les ultimes images se gravent à jamais dans sa mémoire, alors qu’il déambule dans les rues. Surtout que par enchantement, il croise une à une les personnes qu’il a eu la chance de côtoyer une semaine durant. L’embarquement dans le bateau est prévu pour 10 h 15. C’est une dernière fois qu’il navigue ainsi sur l’océan pacifique sud. Ensuite, l’aéronef décollera pour le déposer sur le sol chilien, quelque six cents kilomètres plus tard.

Il file logiquement vers les bureaux de la CONAF pour dire au revoir aux agents, et en particulier à Ignacio, Gonzalo est quant à lui malade ce matin-là. « À 9 h j’avance tranquillement vers le port où je dois prendre le bateau pour l’aéroport à 10 h 15. » Il reste tel un enfant une bonne trentaine de minutes devant son Abutilon fétiche. Comme une sensation de vouloir graver une dernière image de calme et de bonheur du fameux colibri.

À toute berzingue… sur l’océan

Chemin faisant, Flavien se rapproche du port. « Je rencontre de nombreuses personnes croisées durant ce séjour, à l’image du postier, que je salue une dernière fois. C’est marrant de connaître tant de monde au bout d’une seule semaine, le charme de ces villages insulaires… », s’émeut-il derrière sa barbe.

L’aventurier habitué à se mouvoir, tel un électron autour de son atome, fait les cent pas sur le ponton. « Je traîne en attendant l’heure », observant la vie quotidienne de gens dans ce lieu peu ordinaire. Certains montent leurs bateaux sur cale pour effectuer des réparations quand d’autres transportent des langoustes en scooter. « L’animal dans une main et l’autre sur le guidon, il n’y a qu’ici que l’on voit ça. »

Avec toutes ces belles dernières images en tête je peux partir l’esprit tranquille, pense-t-il à voix haute. « J’aimerais rester bien plus longtemps. Toutes les espèces rencontrées me confortent dans mon absence de frustration, le pire des sentiments pour moi. »

« À huit dans la barcasse, gilets de sauvetage enfilés, nous traçons à toute berzingue plein ouest. » Afin de pouvoir photographier la mythique grotte de Robinson Crusoé, il demande à un couple de pouvoir changer de place. « Lui est français, quelle surprise. Moi qui pensais être le seul de l’hexagone ici. »

Le bateau va bien plus vite, combiné au vent la traversée est sportive. L’occasion d’observer une ultime fois ces falaises tout aussi impressionnantes que celles d’Amsterdam. Les passagers débarquent à Bahia del Padre. Comme à l’aller la faune locale est présente, en nombre beaucoup plus important que lors de son arrivée. « Avec le cri de ces centaines de juvéniles, je ne me suis jamais autant senti à Amsterdam que depuis mon départ de cette dernière île. » Le temps est compté, Flavien ne dispose que de trois cents petites secondes pour immortaliser le moment.
(Crédits : Flavien Saboureau)

Le 4×4 nous amène à l’aérodrome avec la charrette chargée de nos bagages. « N’ayant que sept sièges dans le véhicule, le Français s’installe dans la charrette. Une scène hors du temps, j’aurais bien voulu être à sa place. » Durant vingt bonnes minutes, les voyageurs patientent que l’avion atterrisse. « Les pilotes, comme l’appareil, sont identiques au trajet aller, seule différence le décollage est bien moins impressionnant », souffle-t-il.

Flavien sombre dans les bras de Morphée

Tenant son carnet de voyage, la semaine passée ne lui laisse que peu de temps pour le remplir. « Je compte sur ce vol pour rattraper mon retard, mais à peine ai-je écrit une journée que je tombe dans les bras de Morphée », s’étonne Flavien. Moi qui ne dors habituellement pas beaucoup dans les aéronefs, je devais être sacrément fatigué remarque à son réveil, les oreilles le faisant souffrir. « Quand j’ouvre les yeux, nous ne sommes plus au-dessus de l’océan. Mes oreilles douloureuses me susurrent que nous descendons. »

Vingt minutes plus tard nous atterrissons sur cette piste, loin de notre aérodrome au charme unique. Le Français le questionne sur l’endroit où il compte aller. « Vers Valparaíso dans l’après-midi, il fait beaucoup trop chaud ici à Santiago », répond l’aventurier.

Les incongruités refont surface. « Et voilà que les synchronicités font leur retour ; ils y habitent depuis 7 ans ! Ils suggèrent de m’y amener. » Flavien réfléchit quelques secondes, car il doit récupérer ses affaires laissées chez Clémentine et Gonzalo… « Je n’hésite pas longtemps et j’accepte leur proposition. » Ils retrouvent leur voiture et nous voilà partis en direction du Pacifique. En chemin, ils passent par les fameuses forêts brûlées récemment, dont les incendies ont malheureusement produit tant de victimes en février 2024.

(Crédits : Flavien Saboureau)

Grotte, Robinson, roman

« Lui est breton, reporter pour Arte ou France 5. Je lui glisse alors l’idée de faire quelque chose sur Amsterdam. » Bien qu’en direction du Pacifique, Flavien ne perd pas le nord. Le hasard, s’il existe, fait toujours bien les choses. « Il a fait l’école de l’IFCAM, à Ménigoute, à quelques kilomètres de la maison, incroyable… » L’auberge repérée par Flavien se trouve dans un quartier peu fréquentable selon leurs dires. « Ils m’emmènent dans le quartier du Cerro Conception et m’indique une digne de ce nom. »

À la découverte de Valparaíso

C’est alors l’occasion de découvrir cette ville très colorée et caractérisée par ces quarante-deux Cerros habités. « Je ne tarde pas à trouver une auberge à 11 000 pesos la nuit en plein cœur du plus beau quartier de Valparaíso. Indécis sur la suite il y a encore quelques heures, les aléas du voyage font bien les choses. » Elle est la troisième ville du pays. Sa population atteint 300 000 habitants et quasiment le million avec son agglomération.

Elle mélange les genres, du trolley au funiculaire, Valparaíso se divise en quarante-deux cerros. Les « ascensores » sont classés au patrimoine de l’UNESCO.

Le cerro, colline en français scinde la ville en différent mode de vie, du plus chic au moins aisé. Le cerro Panteón doit son patronyme à la construction des cimetières. Chaque religion est régie par ses propres codes. Ainsi celui des Disidentes, comme son patronyme le suggère fut créé à l’attention des personnes de confessions non catholiques. Le Cerro Polanco attend le mois de novembre 2012 avec le projet socioculturel Graffestival pour connaître enfin un renouveau.

La belle surnommée « Valpo » par ses habitants, oscille entre maisons richement colorées et des fresques murales, la couleur y est omniprésente.

Elle se découvre à travers ses « ascensores » pour grimper sur les Cerros et sillonner la ville. L’église de la Matriz et la place Santo Domingo, la place Echaurren et rue Serrano, Prat Pier, les places Sotomayor et Justicia, le quartier du musée maritime, Cerro Alegre et Cerro Concepción… sont autant de lieux magiques à arpenter. Ils en existent tant d’autres.

Les deux collines, Alegre et Concepción font partie intégrante du Quartier Historique défini par l’UNESCO. Elles jouissent logiquement de leurs renommées pour attirer visiteurs, hôtels, boutiques, restaurants, cafés et autres types d’affaires et de commerces s’articulant autour du tourisme. Mais résumer Valparaíso ainsi est maladroit. (Crédits : Luis Eduardo Bastias/Pixabay)

En si peu de temps, Flavien ne peut qu’effleurer cette ville hautement colorée. Après avoir pris ses marques, il se dirige vers les rues adjacentes à la découverte de l’incontournable street art local. Il dîne, ou soupe selon tout un chacun, dans ce qui serait l’équivalent d’une brasserie, explique-t-il. « Je ne rentre pas trop tard pour réfléchir à ce que je peux faire demain. » Pourquoi ne pas visiter le Cerro Bellavista ? Il ne tient pas son nom au hasard, encore lui. Au cœur de l’amphithéâtre, elle offre une vue splendide et incomparable l’Océan Pacifique et le reste de la baie. C’est le berceau artistique de la ville, avec la maison-musée du célèbre poète Pablo Neruda condamné à l’exil politique. À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

One thought on “De l’île de Robinson Crusoé à Valparaíso (Épis. 44/46)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *