
Périple dans la « Petite Patagonie » (32/55)
Ce matin Flavien prend le temps de s’offrir du temps. La nuit, bien que passée dans un camping, est agréable. Un sommeil court, mais réparateur sur un matelas qui tient la route, grâce aux rustines. Cette journée est légère en activité. Tant et si bien que Flavien traîne. Au menu, le plus haut col de la Nouvelle-Zélande, Island Saddle. Petit détail, il se trouve au bout d’une piste… de 40 km. Il est accessible, selon les autochtones, à tous les véhicules, en théorie.
La tente rangée, les affaires chargées, place à la conduite en direction d’Island Saddle. « J’ai demandé au gérant du camping si c’est envisageable de le faire sans 4×4. Il réponds que oui », explique l’aventurier du bout du monde. La confiance ne tient qu’à peu de choses. « Je me suis mis en tête que je peux le faire avec ma berline. » Elle en a vu d’autres désormais, pense-t-il… « Le début est bien rugueux, mais les trente kilomètres qui suivent sont largement carrossables. Il m’arrive même de monter à 50 km/h », s’enorgueillit Flavien.
Le No Man’s Land néo-zélandais
« Plus j’avance dans ce “no man’s land”, plus la météo s’améliore, plus le paysage devient steppique. » Flavien affiche un sourire non dissimulé au volant. « Je suis heureux d’avoir osé. J’ai envie d’appeler ce coin-là petite Patagonie, tellement j’ai l’impression de revoir les paysages argentins. » Il admet à mots couverts par le ronronnement de sa berline : « Si on me montrait une photo, je serais bien incapable de faire la différence, si je ne différenciais pas les plantes. »

Après plus d’une heure à soulever de la poussière, à croiser des motos, il fait escale au col, à 1370 m d’altitude. « La température a chuté, le vent a forci… Encore de quoi me rappeler des conditions qui me seraient presque familières. » Cette fin de matinée est occupée à photographier, dans le pierrier qui juxtapose le col, Lobelia roughii et Wahlenbergia cartilaginea.
« Je passe près de deux heures à user ma semelle dans ce paysage minéral pour trouver les deux espèces en fleur. L’une est précoce, l’autre est tardive. Une mission impossible menée à bien. »
Durant tout ce temps, il conserve ses quatre couches de vêtements. Puis, vers 14 h, « je regagne la voiture pour casser l’habituel casse-croûte fait de pain, de fromage et de banane, mais pas en même temps. » (Crédits : Flavien Saboureau)
L’objectif est réussi alors le baroudeur se pose et profite du paysage. Il contemple ce tableau qui se dessine. Ce rêve en couleurs s’imprime sur une toile appuyée sur le chevalet. Parfois, une moto peint avec délicatesse une empreinte blanche sur cette œuvre éphémère et imaginaire. « Sur le retour, je m’arrête au bord du lac Tennyson. »
Le nom fait déjà américain, mais c’est sans compter sur les Néo-Zélandais et leurs 4×4 traînants leurs jet-skis, constate Flavien. Mais c’est un autre détail qui attire son regard.
« Le lac est d’une couleur incroyable et ses berges constellées de vipérines en fleur. Les steppes quant à elles regorgent de Gentianella corymbosa en fleurs, quel tableau ! Pour couronner le tout, Aciphylla aurea, une ombellifère géante, ponctue le paysage qui inspirerait plus d’un artiste à mon humble avis. »
Le mode touriste est enclenché.
Il reprend le même chemin qu’à l’aller, mais « à la cool, car je sais que ça passe. Il fait beau, j’ai le bras accoudé sur la portière, la fenêtre est ouverte… La vie est belle, non ? » (Crédits : Flavien Saboureau)

Il hésite à poursuivre ses investigations florales. Mais sans s’être renseignée sur l’état de la piste pour accéder au lieu, les nuages qui chargent le sommet, sachant que la pluie est annoncée pour ce soir, la sagesse le fait renoncer. « Je rentre à Hanmer Spring. » Comme à son habitude, il achète une glace et, via le spot de Wi-Fi, détermine le programme de la soirée. « Pour terminer mon road-movie, direction la péninsule de Banks, à plus de… trois heures de route, une fois encore. »
Visibilité maximale de cinq mètres
Flavien laisse derrière lui les collines boisées et les eaux tranquilles des sources thermales d’Hanmer Spring. La route s’étiole à travers des vallées ouvertes, avant de grimper vers des plateaux plus sauvages, balayés par le vent. Au fur et à mesure que la mer se rapproche, le paysage se transforme et annonce l’entrée dans la péninsule de Banks, où la nature semble inchangée depuis des siècles, intacte et majestueuse.
Arrivé sur l’isthme au soleil couchant, le baroudeur n’a pas réservé de lieu où dormir. « Je me gare sur un parking, à côté d’une table de pique-nique. » Des pâtes au pesto à la frontale, il décide de ne pas s’arrêter là. Il monte dans sa voiture, pour grimper sur les crêtes de la péninsule, à plus de 650 m d’altitude. « La frontale bien vissée, je suis excité à l’idée de rencontrer un gecko ou un weta. »
Les investigations effectuées justifient le lieu où il se trouve. « Mais je ne suis pas habitué à la recherche nocturne, chose plus courante chez les zoologistes. » Il débute sa chasse au trésor, à l’interface des affleurements rocheux et des buissons. Pour le moment, il fait chou blanc.
Je ne vois pas à cinq mètres
« Franchement, j’aurais dû venir repérer le terrain de jour. » Les falaises et dévers ne sont pas rassurants, même pour un aventurier. « La frontale est à fond, mais la brume qui s’amène ne m’aide pas, je ne vois pas à cinq mètres. »
Soudain, un bruit. Un truc bouge dans un buisson. C’est un minuscule gecko. « Le temps d’attraper mon appareil photo, il se laisse tomber, et disparaît dans la végétation », explique-t-il frustré. Il tourne la tête sur la gauche. Et là ! « Un énorme weta est posé sur un rocher. »
« Quelle montée d’adrénaline en quelques minutes ! Je suis aux anges ! Ça me rappelle la découverte du kiwi. » Il est heureux comme un gosse, car, en tant que naturaliste botaniste, la recherche de la faune n’est pas sa spécialité.
« Je le photographie sous toutes les coutures. » Flavien surexcité poursuit son investigation en espérant trouver un gecko, en vain. Dans un ultime coup d’œil, là, dans un buisson, il repère un énorme phasme. (Crédits : Flavien Saboureau)

« Il se révèle que c’est une espèce assez rare (Hemideina ricta), endémique de la côte est de l’île du Sud. Pas mal pour le premier phasme que je rencontre de ma vie », se félicite-t-il. Le sourire illuminant la nuit, il s’en retourne à sa voiture. « Je suis fier d’avoir pu trouver ce weta, emblème de la Nouvelle-Zélande et tellement difficile à dénicher. » Il se dirige vers sa voiture pour y passer la nuit sur son habituel siège passager. Les bras de Morphée grands ouverts l’accueillent prestement, après cette incroyable journée qui ne s’annonçait pas si riche en événements. Comme quoi la persévérance est un trésor que seul le temps sait enrichir. À suivre…
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