Pérégrinations

Il ne faut pas être manchot (15/55)

Pour arriver sur l’île d’Enderby, cela se mérite. Mais le jeu en vaut plus que la chandelle. Débarrassée des espèces introduites par l’Homme, elle est désormais un refuge pour la faune en danger d’extinction. C’est d’ailleurs l’un des derniers jours de Flavien sur l’Heritage Adventurer, un retour aux sachets lyophilisés, à la solitude de la tente programmée. Mais pour le moment, rien ne sert de penser à ce qui va arriver demain, donc Flavien profite de l’instant présent, de la faune et de la flore de l’île d’Enderby.

Les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas. « Si nous n’avions pas vu le soleil la veille, ce jour-là, c’est bien différent. » Les rais de lumière jouent avec les voiles. Ces instants magiques que la poussière met en lumière. Les rayons de soleil se frayent un chemin à travers les rideaux des cabines. « Cette journée commence sous les meilleurs auspices », se réjouit Flavien d’un large sourire. Ils sont attendus à l’embarquement sur les zodiacs pour huit heures pétantes. « Aujourd’hui, nous visitons Enderby Island… Pardon, l’île d’Enderby, l’une de celles qui composent l’archipel Auckland ».

Onze espèces de manchots en trois ans

Bien que l’ensemble des croisiéristes foule à nouveau ce sol — nous sommes déjà venus la semaine dernière — l’émerveillement est au rendez-vous. Si bien qu’à peine débarqués sur la plage de sable, la plus grande horde de lions de mer de Nouvelle-Zélande du monde s’offre aux visiteurs. L’espèce est en danger d’extinction. Malgré qu’elle soit la plus imposante des colonies, elle n’excède pas 200 individus. « C’est déjà impressionnant quand on connaît la taille que peuvent atteindre les mâles. »

Trek, Enberdy, nature

Cette île étant un refuge dénué de toute présence humaine, la faune et la flore soufflent. C’est alors que sept manchots à œil jaune se montrent, presque timidement. « Cette espèce très craintive. C’est le plus rare des manchots, il n’en resterait que 2500 à 3000 individus », relate Flavien. Il est calé dans le domaine, car depuis qu’il bourlingue sur les mers et océans du monde, « c’est la onzième espèce de manchot que je vois en moins de trois ans, incroyable… » Celui-ci est particulier, c’est le plus grand à nidification hypogée.

Chacun pose son gilet de sauvetage, avant de s’élancer sur une nouvelle balade, longue de 10 km à minima. Ils débutent sur les sentiers aménagés où ils rencontrent à nouveau des albatros royaux juchés sur leurs nids. « Ils sont tellement proches que nous faisons des détours pour ne pas les déranger. » (Crédits : Flavien Saboureau)

Partis du sud, le groupe arrive rapidement aux falaises au nord de l’île. L’observation de dizaines d’albatros fuligineux à dos clair enchante les marcheurs. Leur site de nidification privilégié se trouve être les corniches rocheuses des falaises et les pentes abruptes. Si le reste du sentier est peu ou prou balisé, c’est les innombrables détours qui vont peser à la fin de la journée. « Nous devons garder une distance de cinquante mètres avec les manchots à œil jaune, explique Flavien. Et ils sont nombreux sur la côte. »

Une autre apparition ravit l’aventurier du bout du monde : les mégaherbes. De multiples, Anisotome latifolia sont fleuris, souffle-t-il.

Des règles strictes sont appliquées sur l’île d’Enderby. « Il est interdit de s’asseoir ou de poser le genou à terre. Nous mangeons donc installés sur une veste », admet-il. Ces dernières qui devront être désinfectées de retour sur l’Heritage Adventurer. Après la pause, ils se faufilent à travers la végétation à Poa litorosa. Puis les pléthores et énormes Stilbocarpa polaris les freinent véritablement.

Mais ce n’est rien face aux lions de mer, ici chez eux… Et territoriaux. « Les mâles sont très agressifs. » Ils doivent, pour passer, intercaler leurs sacs entre eux deux. Alors que Flavien et ses compagnons d’infortune s’introduisent dans les forêts à Metrosideros umbellata, le naturaliste observe de plus près la perruche endémique et le bellbird (Korimako). « Un oiseau au chant dingue », claque-t-il. (Crédits : Flavien Saboureau)

Flore, île, nature

Nous finissons notre boucle sur la plage à lions de mer, sept heures plus tard. Il existe des soirées, des secondes où vous souhaitez profiter de l’instant. Il ne se passe rien d’exceptionnel et pourtant. Vous vous trouvez au bon moment, au bon endroit. C’est un de ces moments où Flavien se retrouve avec ses pensées en cette fin d’année 2024.

Dernière journée à bord

L’équipage est aux petits soins pour leurs protégés, si bien que pour cette ultime journée complète sur le bateau, les grasses matinées sont de rigueur. « À 10 h, nous avons toutes les informations pour le débarquement de demain. » Vers 13 h 15, juste après le repas, tous s’installent à bord des Zodiacs pour un dernier voyage. « L’accostage sur l’île Snares est interdit, mais en faire le tour est possible », explique-t-il. Un périple de deux heures assis sur un boudin pneumatique.

Zodiac, mer, voyage

« Nous n’avions pas pu, aux premiers temps de l’expédition compte tenu d’une mer trop démontée. Aujourd’hui, avec une houle inférieure à deux mètres, ça s’annonce sous les meilleures auspices », claque Flavien.

Le paysage est tout simplement incroyable, avec l’ambiance que procurent les averses… Et les espèces au rendez-vous. « Nous nous rapprochons de plusieurs colonies du Gorfou des Snares, endémique de cette petite île, sans aucun doute l’emblème. » Ils sont partout, sur terre comme en mer. « Deux passereaux endémiques, le tomtit et le fernbird des Snares, se montrent », s’émerveille-t-il. Tandis qu’ils observent une des deux plantes endémiques, Stilbocarpa robusta, Flavien ecarquille les yeux. « Olearia lyallii et Brachyglottis stewartiae, très rares sur les quelques autres îles où elles existent, abondent ici… On voit même quelques floraisons », se réjouit l’aventurier.

(Crédits : Flavien Saboureau)

Les albatros de Buller délicatement posés à la surface, tels les damiers du Cap, semblent composer un tableau éphémère de Jean-Jacques Audubon. Les otaries de Nouvelle-Zélande ajoutent cette touche particulière à cette parenthèse enchantée déjà incroyable. L’émotion de ces instants laisse planer un silence que seul le Zodiac déchire dans son retour vers l’Heritage adventurer. « Il faut du quelques minutes pour se remettre de ce cocon temporel », acquiesce-t-il, en vérifiant si les photos, de ce manchot qu’il ne reverra sûrement jamais, sont réussies.

Pour immortaliser ces jours, capter la lumière d’un souffle, « je m’octroie un moment isolé sur le pont arrière pour profiter une dernière fois de ces moments sur l’océan austral ».

Ils étaient dix… Dix Young Explorers, qui, avant de manger couchent sur papier numérique un daguerréotype de groupe. « Je saisis l’occasion de faire une photo avec Lindsay et Chris, les guides les plus sympas. »

Le dernier repas, à la table du capitaine, s’éternise. « J’en profite bien avant, les lyophilisés des jours suivants… » Le leader de l’expédition remercie les dix Young Explorers pour l’énergie et les connaissances partagées aux croisiéristes.

Puis, une ultime fois, Flavien s’arrive à la bibliothèque où il rend les livres empruntés. (Crédits : Flavien Saboureau)

duo, bateau, océan

Mais avant de partir, il fait don de ses chaussures de ville à Fergus qui les voulait. « Je ne vais pas me trimbaler des souliers qui me seront inutiles pendant près de deux mois. » Quelques jours avant le retour, il faut que je pense à en commander de nouvelles pour ne pas devoir me promener en sandales à mon retour, sourit-il. À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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