Pérégrinations

Épidémie de cinétose à bord (10/55)

La transition de milieu solide à liquide est parfois difficile. C’est ainsi que le compagnon indésirable des périples sur l’eau, le « mal de mer », s’invite. Sur un bateau, le décor semble stable. Sauf que la cinétose naît du conflit entre ce que voient nos yeux, et ce que comprend notre oreille interne. Le résultat ne se fait pas attendre : nausées, vertiges, fatigue. Flavien n’éprouve pas cet étrange mal, habitué au roulis avec le Marion Dufresne lors de son voyage vers l’île d’Amsterdam.

Durant la nuit, « la mer commence à se former. » Dans la cabine 303, c’est Gabriel qui, le premier, fait les frais de cette agitation. « Je l’ai entendu se lever cette nuit pour aller vomir. » Pour le moment, Flavien ne ressent rien. Habitué ou accommodé, ce n’est pas pour cela qu’il est forcément épargné du mal de mer. Pour autant, il ne faut pas crier victoire trop tôt.

La cinétose de Flavien

Flavien et Fergus rejoignent le pont n° 5 pour observer l’arrivée du convoi maritime sur les îles Snares. « Ce minuscule archipel est l’un des très rares territoires de l’hémisphère sud à être épargné des mammifères introduits par l’être humain. Toute descente y est interdite. » Ça tombe bien, souffle l’apprenti marin, la mer de Tasman est déchaînée en ce matin du 20 décembre 2024.

Passerelle, bateau, bouée

Le chef d’expédition notifie l’impossibilité d’utiliser les Zodiacs pour longer les côtes. L’équipage et les croisiéristes ne sont pas surpris d’une pareille annonce. « Adieu la contemplation des quelques espèces endémiques comme l’emblématique Gorfou des Snares, endémique de ce minuscule archipel », se lamente tout de même l’aventurier.

Alors, comme de nombreux autres, il occupe l’avant-midi à se déplacer, tel un acrobate, de passerelle en passerelle. Il tente de photographier le maximum de variétés. La liste non exhaustive affiche : Albatros de Buller, Manchot, Albatros timide… « En tout début de matinée, des dizaines de milliers de puffins fuligineux partent à la mer pour se nourrir », raconte avec surprise et bonheur Flavien. Avec deux millions d’individus, ce petit archipel héberge la plus grande population mondiale.

(Crédits : Flavien Saboureau)

Le voyage suit sa route en direction de l’archipel d’Auckland. Mais auparavant, ils longent la White Chain et sa colonie d’Albatros de Salvin. L’Heritage Adventurer quitte la protection de l’île et reprend sa route. « La mer est très formée. Des creux de 4 à 5 mètres s’offrent devant nous, je commence à me sentir pataud », blanchit Flavien. Il se repose avant le repas annoncé à 12 h 30. « Je ne dors que trente minutes. Je regrette — sans le regretter — d’avoir traîné hier soir. » Les premiers jours en mer sont toujours éprouvants. Il faut laisser le temps au temps, que l’oreille interne s’habitue à cet incessant roulis.

À l’abordage d’Auckland Island

Le lendemain matin, le réveil est à nouveau bien matinal. « Il est 5 h 45, quand le réveil sonne. J’ouvre le rideau. Nous sommes dans la baie », constate Flavien. La pluie fine, qui a fait son apparition hier, est toujours présente. À 7 h, les passagers grimpent sur les Zodiacs. « Nous allons enfin faire nos premiers pas sur les îles subantarctiques néo-zélandaises. » Le petit déjeuner englouti, ils s’équipent en conséquence, puis une longue attente s’effectue dans le couloir avant l’embarquement. « Nous sommes dix par bateau. Nous prenons quelques vagues de plein fouet. » Flavien est satisfait d’avoir acheté une housse de protection pour son appareil photo. Car, c’est passablement humides, qu’ils accostent sur une petite plage de galets.

Le tracé est aménagé de caillebotis. Puis l’histoire du lieu est contée. « J’avoue ne pas avoir trop écouté, accaparé à photographier les quelques plantes se trouvant sur le chemin. » Telle la gentiane endémique d’Auckland, Gentianella cerina qui est en bouton. « J’espère qu’elle sera fleurie quand nous repasserons dans l’archipel, en particulier sur Enderby Island, à la fin de l’expédition. »

L’excursion emprunte un semblant de sentier pour rejoindre une autre plage où les zodiacs les récupèrent. De retour à bord, étape obligatoire via la « mudroom » pour laver bottes et cirés. Le manque de sommeil affecte le baroudeur. Une présentation sur l’histoire d’Auckland se propose. « Je suis un peu fatigué. La mer s’est reformée, alors j’en profite pour faire un petit roupillon. » Cet après-midi, ils embarquent à nouveau pour la plus dure des randos de l’expédition, paraît-il.

(Crédits : Flavien Saboureau)

Île, pluie, zodiac

Le bateau se rapproche au maximum des possibilités de navigation. « Il faut quand même faire quinze minutes de Zodiac, autrement dit de tape-cul dans le royaume de Neptune, pour parvenir au pied de l’ascension de l’après-midi », note Flavien. L’accostage est tout aussi sportif. Ils arrivent sur les basaltes recouverts d’algues, mais le front de mer offre ses premières mégaherbes (Anisotome latifolia, Bulbinella rossii), sourit-il. « L’endroit est incroyable, complètement reculé, au fond d’une baie. »

Le paparazzi en action

Le groupe entame deux heures de procession en direction d’une colonie d’albatros timides. « Je ferme la marche, car je n’arrête pas de déclencher mon appareil photo. Les espèces nouvelles et endémiques sont partout (Gentianella cerina, Plantago triantha…). » Les végétations sont principalement représentées par Ozothamnus, Myrsine divaricata, Polystichum vestitum, Hebe elliptica et la plus rare Hebe benthamii.

Fleur, unique, découverte

Arrivé aux alentours de 200 m d’altitude, Flavien affiche son plus beau et large sourire. « Je suis heureux de tomber sur la minuscule Abrotanella, une Asteraceae qui ne paye pas de mine… Puis une autre, Danamenia vernicosa. »

Quelques instants passent quand, au pied de la colonie d’albatros, s’expose l’unique pied fleuri de Pleurophyllum speciosum. « Incroyable ! C’est la troisième espèce à ne pas rater du voyage. »

Puis, durant une demi-heure, Flavien n’est pas seul à contempler la colonie d’albatros timides. À cet instant, de nombreux souvenirs amstellodamois lui reviennent en mémoire.

(Crédits : Pleurophyllum speciosum/Flavien Saboureau)

« Les albatros nichent sur des corniches végétalisées, comme dans les falaises d’Entrecasteaux, mais ici sur des mégaherbes : Anisotome, Bulbinella et Stilbocarpa polaris », explique Flavien à mots couverts. Les cris sont semblables à ceux des albatros à becs jaunes : « Quel plaisir ! » Au loin, se devine également le bruit des albatros fuligineux à dos clair, qui remémore les instants passés à Del Cano. Alors que tout un chacun pourrait être blasé après tant de pérégrinations, ce n’est pas le cas de Flavien. L’aventurier du bout du monde profite à fond du moment, avec un paysage incroyable, bien différent d’Amsterdam.

Toujours en fin de peloton, « je peaufine et améliore mes photos avant de reprendre les Zodiacs », tout en descendant. Une fine pluie s’est invitée pour le retour. Elle leur fouette le visage, tandis que les vagues formées leur « cassent » le dos étant assis sur les boudins des Zodiacs. « Je suis arrivé sur les îles subantarctiques en hélicoptère, en petit avion et désormais en Zodiac. Je me rends compte des incroyables opportunités qui ont pu s’offrir à moi ces quatre dernières années. Tant d’efforts récompensés, même si ceux-là m’auront coûté cher… »

À bord du Heritage Adventurer, le déjeuner se déguste alors qu’il sort des baies calmes proposées par l’archipel. Ils regagnent l’océan Austral et ses vagues parfois monstrueuses. « Pendant le repas, certaines d’entre elles dépassent la hauteur de la salle de restauration. Le Canadien souffre des conditions… et régurgite son repas sur la table. Il en disperse sur également Sophia et le Néo-Zélandais, les pauvres… » (Crédits : Flavien Saboureau)

Flavien, selfie, Nouvelle-Zélande

Faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Nous changeons de table et en rigolons pendant les deux heures du déjeuner. » Avant de revenir dans la cabine et de savourer une douche amplement méritée, « je réalise la biosécurité des affaires utilisées ». Un bref instant, la contemplation est de mise. « Il est temps de se poser, de se rendre compte de l’incroyable journée passée », acquiesce Flavien. Désormais, direction l’île de Macquarie, à plus de 600 km de là, où ils arriveront dans quarante-huit heures. Demain sera une journée entière en pleine mer. À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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