Pérégrinations

À la recherche du canard… bleu (30/55)

Après la visioconférence d’hier soir, Flavien est aspiré par son téléphone jusqu’à tard dans la nuit. Mais, ce soir, enfin cette nuit, il dort dans un lit, le premier depuis neuf jours. Sauf que lorsque vous partagez une chambre à plusieurs, il arrive parfois des surprises. Le lendemain sa finalité est de rallier le mont Arthur, et chemin faisant de tenter d’apercevoir le canard bleu, surnommé par son cri : Whio. Il est un canard inféodé dont il ne reste que 3 000 spécimens sur Terre.

« Hier soir, je me suis couché tard », admet Flavien. L’aventurier semble avoir des valises sous les yeux ce matin. Il faut dire que la dernière fois qu’il a regardé son téléphone, il est deux heures. Comme un bonheur ne vient jamais seul, une femme d’un âge certain s’est mise à ronfler « comme pas possible », ajoute-t-il… « La nuit ne fut donc pas celle que j’espérais », soupire-t-il en poussant le réveil jusqu’à 8 h 20.

De la frustration au plaisir, en une journée

La voiture chargée, « je prends la direction du mont Arthur, où je compte dormir ce soir ». La durée escomptée pour arriver à destination lui laisse du temps de libre. Pourtant, l’aventurier n’est pas coutumier du fait, a-t-il une idée derrière la tête ? « Hier soir, j’ai glané des informations pour tenter de trouver le très rare Whio. » Ce canard inféodé aux torrents est en danger selon l’IUCN. Il ne reste que 3 000 individus, dont une population de quelques dizaines autour du Mont.

Canard, UICN, Nouvelle-Zélande

« Après avoir emprunté une route gravillonnée, tout de même plus praticable qu’il y a deux jours, j’arrive à mille mètres d’altitude. » Flavien stationne la voiture, puis descend un torrent, le Flora Stream, sur six kilomètres !

« J’y croyais, j’ai mis toutes les chances de mon côté, mais rien. C’est frustrant de savoir qu’ils sont là, et de ne pouvoir les observer », admet-il. Une femme croisée sur le chemin lui indique les avoir vus hier un peu plus bas. Ni une ni deux : « Je marche deux kilomètres de plus, en vain. » Flavien n’affiche pas la même réussite qu’avec le Kiwi.

Il est treize heures, quand il jette l’éponge. « Je dois grimper au sommet à 1700 m et parcourir les huit kilomètres pour revenir à la voiture. » Il y laisse son téléobjectif, pour prendre ses affaires de bivouac et repartir à la conquête du sommet. (Crédits : Karora/Wikipedia)

« Je prends la direction du sommet à 760 m plus haut et 8,4 km plus loin. » C’est donc une pente moyenne assez élevée à laquelle se confronte l’aventurier (9 %). Dès les premiers mètres, le naturaliste n’avance déjà plus, et pour cause. « Je traverse de magnifiques forêts à Nothofagus fusca, N. cliffortioides et Dracophyllum traversii et n’arrête pas de déclencher l’appareil photo. » Cette journée à 24 kilomètres n’est pas encore finie, souffle l’aventurier.

Une très longue journée de marche

Flavien tombe en pâmoison devant ce Dracophyllum qui forme de véritables arbres. Tant et si bien qu’il ne tarit pas d’éloges. « Tout simplement admirable quand on connaît les autres espèces… », concède -t-il sans pour autant terminer sa phrase. Il se met à réfléchir, se remémore toutes les forêts traversées. Puis comme surgit une illumination : « C’est l’une des plus classes », conclut-il. À 1300 m, il passe devant une des fameuses « Hut » qui lui servira de refuge de secours s’il ne trouve pas chaussure à son pied ce soir. Le sommet se trouve dans les nuages, mais il se découvre en fin d’après-midi.

Une fois au-dessus des cimes des arbres, le paysage se laisse découvrir. La particularité du coin, les karsts. « Je ne pensais pas voir ça en Nouvelle-Zélande. C’est beau, mais il n’y a pas d’eau. Je n’ai qu’un litre jusqu’à demain matin, je n’ai pas été des plus prévoyants sur ce coup-là. »

La marche est longue, plus il grimpe, plus des espèces nouvelles se découvrent. Un couple croise sa route, lui indique qu’il y a une place pour sa tente sur la croupe sommitale. « Ça me rassure ! Jusqu’à maintenant je n’ai rien trouvé de convenable sur cette roche saillante. » Arrivé en haut, le soleil réchauffe le corps et l’esprit.

Seul face à la nature

Il n’y a pas de vent au sommet, l’aventurier se retrouve seul face à l’immensité. « La vue est majestueuse, je vois même Nelson (Whakatū) d’ici. Le coucher de soleil s’annonce splendide. » Mais, un petit hic contrarie son implantation. « L’installation de la tente est technique sur ce substrat 100 % minéral, les sardines ne s’enfoncent pas, alors je fais au mieux avec les cailloux qui traînent. » Il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que le vent ne se lève pas cette nuit. « Car, je ne peux pas être plus exposé à près de 1800 m d’altitude », tente de se rassurer Flavien.

Par manque d’eau — juste un litre jusqu’à demain matin —, le repas est frugal et rustique. « Je grignote un bout de pain et de fromage que j’ai avec moi, agrémenté de quelques graines et fruits secs, c’est mieux que rien. » Le repas vite avalé, il photographie toutes les espèces qui ont colonisé le sommet. « Les réparations de mon matelas semblent tenir, je suis content pour mon dos, surtout sur ces cailloux… » (Crédits : Flavien Saboureau)

arbre, forêt,

La pénombre parvient, suite au coucher de soleil. Le vent arrive. L’aventurier bidouille une consolidation pour sa tente. « Sans pouvoir enfoncer de sardine, c’est du bricolage », constate-t-il en croisant les doigts pour que le vent se calme dans la nuit. La chaleur du soleil laisse place à la fraîcheur, au froid apporté par le vent. « Ça commence sérieusement à cailler maintenant que le soleil s’est fait la malle », tandis qu’un frisson lui parcourt le corps, amenant au même moment la chair de poule. À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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