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Présidentielle camerounaise, vers une crise politique ?

Le Cameroun s’apprête à vivre, le 12 octobre 2025, une présidentielle qui s’annonce sous haute tension. La Commission électorale (Elecam) a invalidé la candidature de Maurice Kamto, principal opposant au président sortant Paul Biya, âgé de 92 ans et en lice pour un huitième mandat. Cette décision, confirmée par le Conseil constitutionnel, a déclenché une onde de choc politique et sociale. Derrière l’événement se dessine un malaise profond : quel avenir pour la démocratie camerounaise et pour la jeunesse désabusée ?

Pas un seul Camerounais, à Yaoundé, dans tout le pays ou ailleurs sur Terre, n’a manqué la retransmission de l’Elecam, soit sur place ou sur son smartphone. Un camouflé de justice, disent certains, quand d’autres applaudissent. Si l’élection à venir divise, imaginez un pays en Europe comme partout ailleurs où le président serait au pouvoir depuis près d’un demi-siècle.

Un héritage multiple et complexe

Le Cameroun, situé en Afrique centrale, est surnommé « l’Afrique en miniature ». La raison en est la diversité de ses paysages et cultures. Ce pays est le résultat d’une histoire millénaire marquée par des migrations successives. Dès le XIᵉ siècle, le nord du pays est sous domination de l’empire de Kanem-Bornou. Il s’étend à son apogée — au XVIᵉ siècle — sur la majorité du Tchad, la bordure orientale du Niger, le nord-est du Nigeria, le nord du Cameroun et une partie du sud de la Libye. Ce royaume structure des routes commerciales transsahariennes et développe un réseau administratif avancé, comme l’instauration d’impôts. Ces échanges permettent l’introduction de l’islam dans la région, influençant la culture, l’éducation et le droit coutumier.

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Au sud-ouest, des chefferies bantoues telles que les Bamums, les Bamilékés et les Tikars s’organisaient autour de structures politiques hiérarchisées. Le royaume Bamoun, fondé au XIVᵉ siècle, se distingue par la création d’un alphabet syllabique, le Shü-mom, et par l’émergence d’une riche tradition artistique. Les Bamilékés sont connus pour leurs chefferies indépendantes et leur dynamisme commercial, en particulier le commerce du café et du cacao. Ces sociétés précoloniales témoignent de l’immense richesse culturelle et linguistique : le Cameroun compte environ 250 langues et dialectes regroupés en quatre grandes familles linguistiques (bantou, nigéro-congolaise, soudanique et nilo-saharienne).

L’arrivée des Européens à la fin du XIXᵉ siècle le transforme profondément. La colonisation allemande (1884 ‑1918) introduit des routes et des plantations commerciales, avec une administration centralisée, souvent brutale, pour contrôler la population et exploiter les ressources.

Après la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles divise le pays. La France administre environ 80 % du territoire : le centre et le sud. Comme dans toute invasion, quelle qu’elle soit, des coutumes sont instaurées. La France impose la langue, un système éducatif et administratif centralisé. Elle développe des cultures d’exportation (le cacao, le café et l’hévéa).

Les Britanniques prennent le contrôle du nord-ouest et du sud-ouest. Ils imposent leur système éducatif, langue et des institutions plus décentralisées. Cette division historique commente les disparités linguistiques, administratives et culturelles persistantes, à l’origine des tensions contemporaines. (Crédits : Safari Consoler/Pexels)

Le Cameroun inaugure un mouvement africain de 18 pays. Il devient indépendant le 1ᵉʳ janvier 1960 sous le nom de République unie du Cameroun, suivie par le rattachement du Cameroun britannique du sud en 1961 après un référendum. Ahmadou Ahidjo fut le premier président. Il instaure un régime centralisé visant à consolider l’unité nationale. La modernisation du pays s’effectue par la construction d’infrastructures, la nationalisation d’industries et la création d’institutions étatiques.

Si le Cameroun inaugure les festivités le 1ᵉʳ janvier 1960, d’autres suivent de près. D’ailleurs cette période est nommée « Année de l’Afrique ».

27 avril 1960 – Togo, 25 juin 1960 – Somalie, 26 juin 1960 – Madagascar, 30 juin 1960 – République démocratique du Congo, 1ᵉʳ août 1960 – Bénin, 3 août 1960 – Niger, 5 août 1960 – Burkina Faso, 7 août 1960 – Côte d’Ivoire, 11 août 1960 – Tchad, 13 août 1960 – République centrafricaine, 15 août 1960 – République du Congo, 16 août 1960 – Gabon, 17 août 1960 – République du Cameroun du Nord, 20 août 1960 – Sénégal (après dissolution de la Fédération du Mali), 22 septembre 1960 – Mali (après séparation d’avec le Sénégal), 1ᵉʳ octobre 1960 – Nigéria, 28 novembre 1960 – Mauritanie.

(Crédits : amphithéâtre de l’université de Yaoundé 1 en 2014/Bdx/Wikipédia)

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Mais au Cameroun, un homme cultive le secret depuis plus de 40 ans. Depuis son arrivée au pouvoir en 1982, Paul Biya ne l’a plus quitté, faisant de lui l’un des dirigeants les plus anciens, pas seulement en Afrique. Seul Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (Guinée équatoriale) fait mieux que lui. Il est président depuis 1979, soit 46 ans. Concernant Paul Biya, l’ensemble de ses discours sont scénarisés, le protocole est rigide. Quant au contre-pouvoir qu’est le monde du journalisme, il n’est pas souvent, voire jamais convié. La dernière interview, consentie à un journaliste local, remonte à 2002.

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Cette continuité amène forcément une stabilité politique. Mais à contrario, elle accentue des tensions ethniques, régionales et linguistiques, ainsi qu’entre zones urbaines en forte croissance et zones rurales marginalisées. C’est en surfant sur ces différences que son règne perdure.

Il est facilité « par les complexités inhérentes au Cameroun, la diversité ethnique et linguistique de la nation, englobant plus de 250 groupes, entrave l’opposition unifiée. Les alliés politiques exploitent ces divisions, alimentant les sentiments tribaux, tandis que les héritages religieux et coloniaux contribuent à cette fragmentation. Le nord majoritairement musulman est souvent en désaccord avec le sud chrétien, tandis que les différences persistantes entre les régions anglophone et francophone — s’éloignant des divisions coloniales — compliquent encore une position unifiée contre le dirigeant de longue date », explique Shuimo Trust Dohyee (Africascountry). (Crédits : Kelly/Pexels)

Aujourd’hui, le Cameroun se trouve à un carrefour historique et démographique. Sa population estimée à plus de 29,12 millions, un taux de croissance démographique de 2,6 % par an, le pays doit relever des défis majeurs en matière d’urbanisation, d’emploi et de services publics. Entre héritage, diversité culturelle, pression démographique, le Cameroun illustre la complexité d’un pays qui tente de conjuguer traditions, héritages et modernité dans un contexte africain en pleine mutation.

Invalidation du candidat Maurice Kamto

Le 12 octobre prochain, le Cameroun se prépare à élire son prochain président. À 92 ans, Paul Biya brigue alors un huitième mandat consécutif. Cette longévité comme la situation interroge : le Cameroun peut-il encore espérer une véritable alternance démocratique ? Mais à quelques semaines du scrutin, l’invalidation de la candidature de Maurice Kamto, principal opposant au président sortant Paul Biya, soulève une question plus qu’une autre : « Le Cameroun bénéficie-t-il d’un régime démocratique ? »

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Arrivé second de la présidentielle de 2018 (503 384 voix, 14,23 % des votants, 7,55 % des électeurs), remporté par Paul Biya (2 521 934 voix, 71,28 % des votants, 37,82 des électeurs) l’invalidation de sa candidature par Elecam scelle son avenir.

L’invalidation de sa candidature est justifiée au motif que son parti aurait présenté deux dossiers de candidature (Maurice Kamto et Dieudonné Yebga), en contradiction avec le code électoral. « La décision d’exclure Maurice Kamto de la course à la présidence reflète la persistante intolérance du gouvernement à l’égard de toute opposition et dissidence et intervient dans un contexte de répression accrue à l’encontre d’opposants, d’activistes et d’avocats à l’approche des élections, prévues plus tard cette année », écrit Human Rights (HWR). Le débat persiste sur l’indépendance de ces institutions, souvent perçues comme proches du régime. En marge de la décision du 26 juillet, des marches et manifestations sont organisées à Yaoundé, puis le 4 août. (Crédits : Bagassi Koura/Vox Africa)

Elles sont 52 personnes à avoir été arrêtées ce jour-là. Parmi elles, dix sont toujours retenues, indique RFI. Des militants et sympathisants du parti d’opposition de Maurice Kamto, le MRC. Ils étaient venus assister aux audiences publiques du contentieux préélectoral au Conseil constitutionnel, dont l’accès à la salle leur avait été interdit. « Il n’y a eu ni bagarre ni manifestation », assure l’avocat Hyppolite Meli. Pourtant, ces militants ont été interpellés peu après, dans un supermarché, et accusés de « rébellion ». À noter qu’Olivier Bibou Nissack est privé de liberté depuis 2020. « Les autorités devraient mettre fin à la répression de l’opposition et libérer immédiatement toutes les personnes arrêtées pour des raisons politiques », poursuit HRW. Il existe toujours une différence entre ce qui est légitime et ce qui est légal.

L’État des lieux du Cameroun

À la question : « Le Cameroun bénéficie-t-il d’un régime démocratique ? » Pour répondre à cette simple question, il est nécessaire de faire l’État des lieux. Le parlement européen en date du 3 avril 2025, acte le comportement délétère du pouvoir en place contre les journalistes. Elle prie instamment les autorités camerounaises de mettre « un terme à leur pratique consistant à juger des civils devant des tribunaux militaires, contraire au droit international, et de cesser d’invoquer abusivement des accusations de terrorisme, de subversion et de diffusion de fausses informations dans les procédures engagées contre des journalistes. »

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L’Union européenne exhorte à libérer immédiatement et sans condition Amadou Vamoulké, Kingsley Fomunyuy Njoka, Mancho Bibixy, Thomas Awah Junior et Tsi Conrad. Mais également de cesser leur pratique consistant à juger des civils devant des tribunaux militaires, ce qui est tout bonnement contraire au droit international.

Elle invective de cesser sur le champ d’invoquer de manière abusive des accusations de terrorisme, de subversion et de diffusion de fausses informations dans les procédures engagées contre des journalistes. Comme Christophe Gleizes, journaliste français qui est condamné à sept ans de prison ferme en Algérie pour « apologie du terrorisme ».

Fin 2024, 361 journalistes étaient emprisonnés dans le monde, selon un décompte du Comité de protection des journalistes (CPJ) publié vendredi 16 janvier. Pour la première fois Israël se trouve dans le haut du classement des pays qui enferment le plus, derrière la Chine. (Crédits : OurWorldinData.org/democracy|CC BY)

Selon l’ONG Freedom House, le Cameroun obtient en 2024 un score de 15/100. Les droits politiques sont notés à 6/40 et les libertés civiles 9/60. De ce fait, l’ONG le classe parmi les pays « non libres ». En comparaison la France affiche 89/100 (38/40 et 51/60), avec des nuances marquées concernant la période du Covid-19. Le Democracy Index de l’Economist Intelligence Unit (EIU) attribue au Cameroun de Paul Biya la note de 2,2/10, dans son dernier rapport. Ce qui lui confère une place dans la catégorie « régime autoritaire ».

L’EIU se base sur différents facteurs : le pluralisme électoral, les libertés civiles, la participation politique, la culture démocratique et le fonctionnement du gouvernement. Quant au Polity IV Project, il évalue le pays à -7, confirmant une dynamique autocratique enracinée. Ces indicateurs internationaux mettent en lumière la fragilité de la démocratie camerounaise et confortent les critiques adressées au régime Biya.

Jusqu’ici, la communauté internationale s’est montrée prudente. Ce silence relatif reflète un équilibre délicat : préserver la stabilité régionale tout en dénonçant les atteintes aux libertés. Avec plus de 1,2 million d’électeurs inscrits, d’après les chiffres d’ELECAM, l’extrême nord du Cameroun reste un bastion électoral important pour le parti au pouvoir. Ce qui inquiète les pays voisins du Cameroun est le risque de crise postélectorale, donc de stabilité dans la région. (Crédits : Kelly/Pexels)

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Bien au-delà du scrutin qui ne semble selon la presse n’avoir que peu de changement, le Cameroun reste confronté à des crises sécuritaires majeures. Dans l’Extrême-Nord, Boko Haram a repris ces attaques terroristes, fragilisant la cohésion nationale. Dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le conflit séparatiste, déclenché en 2016, a déjà fait plus de 6 000 morts, de nombreux otages et déplacé plus d’un million de personnes. Une élection contestée pourrait attiser ces foyers de tensions et amplifier la violence politique.

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L’économie camerounaise repose encore sur des piliers fragiles : l’exportation de pétrole, de cacao, de café et de bois. Malgré une légère augmentation du PIB de 3,5 % en 2024, contre 3,2 % en 2023, « sous l’effet de la hausse des prix du cacao, de l’augmentation des rendements du coton et de l’amélioration de l’approvisionnement en électricité. »

Une diminution de l’inflation moyenne de 7,4 % à 4,5 % entre 2023 et 2024, le déficit budgétaire global s’est creusé jusqu’à 1,5 % du PIB en 2024 (0,7 % en 2023). La dette publique augmente de 1,52 %, passant de 46,1 % à 46,8 % du PIB, l’essentiel sous forme de dette extérieure. D’autant que « malgré la croissance globale de la richesse totale qui a atteint 553 milliards de dollars en 2020, contre 311 milliards de dollars en 1995, la richesse nationale par habitant a diminué de 11 % entre 1995 et 2020. » (Crédits : Quang Nguyen Vinh/Pexels)

« Le pays est confronté à un risque élevé de surendettement dû à des problèmes de liquidité », communique la Banque mondiale. Le communiqué alerte sur l’épuisement des forêts du pays. « L’épuisement des forêts du Cameroun s’est considérablement accéléré après 2010, avec une conversion significative des forêts de plaine en mosaïques forestières entre 2010 et 2020 et dépassant cinq fois le taux observé au cours de la décennie précédente. » Il est donc impératif de mettre en œuvre des réformes budgétaires audacieuses pour combler ces lacunes et stimuler la productivité à l’échelle de l’économie, insiste Robert Utz, économiste (la Banque mondiale) et l’un des auteurs du rapport.

La jeunesse camerounaise, une génération désenchantée

L’invalidation de Kamto a provoqué un sentiment de résignation chez de nombreux jeunes. Témoignages et reportages montrent que certains ont choisi de déchirer leur carte d’électeur, symbole d’un désengagement politique profond, et face au chomage. La jeunesse, qui représentait un espoir de renouvellement, semble aujourd’hui désabusée par un système politique verrouillé. Ce désenchantement reflète une fracture sociale : entre un pouvoir enraciné et une jeunesse aspirant à plus de transparence, le fossé se creuse inexorablement.

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Le recul durable de la participation électorale et l’affaiblissement de la société civile sont à envisager. En 2018, la participation atteignait 53,85 %. La stabilité politique du pays et de la région Afrique centrale pourrait être fragilisée. « C’est une espèce d’oligarchie qui gouverne aujourd’hui notre nation (Cameroun). Bien malin celui qui dirait qui actionne les manettes », a déclaré l’ancien ministre de la Communication Issa Tchiroma Bakary à TV5 Monde.

La gestion de cette élection sera donc scrutée de près, tant à l’échelle nationale qu’internationale, d’autant que la fille du président, Brenda Biya appelait dans une vidéo supprimée depuis à ne pas voter pour son père. Ce avant de revenir sur ses déclarations. (Crédits : Kelly/Pexels)

Trois scénarios s’ouvrent alors pour le Cameroun. Le statu quo : Paul Biya est réélu sans contestation majeure, prolongeant la stabilité institutionnelle, mais aussi le blocage politique, le manque de liberté, les arrestations arbitraires… La crise politique : la contestation post-électorale dégénère en répression, avec un isolement international accru et un risque de radicalisation des mouvements sociaux, ainsi qu’une instabilité ressentie chez les pays voisins. Ou bien la transition forcée : un départ naturel ou politique du président ouvre une ère d’incertitude, avec une succession difficile à maîtriser et des luttes internes au sein du RDPC, son parti.

Elise Dardut

Épicurienne, je reste une jeune femme à l’aise dans son corps et dans sa tête. Je pense par moi-même, j’agis par moi-même, j’entends les conseils et n’écoute que mon intuition. « Le jour où l’homme aura la malice, la finesse et la subtilité de la femme, il sera le roi du monde… mais ce n’est pas pour demain », me chantait mon grand-père. Il m’a appris que « les seuls beaux yeux sont ceux qui vous regardent avec tendresse. » (Coco Chanel) Depuis, je m’évertue, pour qui veut bien entendre et écouter, à distiller des graines ici et là, au gré du vent. Un proverbe indien explique que « si vous enseignez à un homme, vous enseignez à une personne. Si vous enseignez à une femme, vous enseignez à toute la famille » Il est temps d’inverser les rôles et admettre l’équité, non ?

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