Pérégrinations

Ascension périlleuse au mont Tarn (Épis. 23/46)

Comme sur le trajet aller, Flavien ne trouve pas la bonne posture pour rencontrer le sommeil. À l’aube, il se réveille. Il contemple les montagnes qui les entourent. Leur blancheur est encore plus prononcée que la veille. Le résultat est magnifique. Habitué, il saisit ses cartes et son GPS. La position est triangulée. Dans moins d’une heure, le bateau se placera devant le plus impressionnant des glaciers. Sûr de lui, il s’endort en ayant la certitude de s’éveiller… Bien entendu, il ouvre les yeux, une demi-heure après le passage du glacier.

Ce n’est pas très important, il a profité de ce spectacle grandiose à l’aller. Il prend le bol d’air frais avec un tour sur le pont. « La température, accentuée par la présence du vent, est glaciale », souffle Flavien. Pour s’évader, il attaque le roman « Soudain, seuls » d’Isabelle Autissier.

Soudain seul

Avant de plonger dans les pages du roman, cinq ou six manchots de Magellan se laissent observer sur un îlot. Près de deux heures passent, quand à 9 h le petit déjeuner est servi. Tel le chant des sirènes, il retombe dans l’ouvrage. Jusqu’à midi, il n’en décroche pas. « De toute façon, il fait un temps pourri dehors », argumente Flavien.

Le repas englouti, il se confronte à l’air humide. « Je m’imprègne de l’ambiance, semblable à celle du roman. » C’est alléchant de lire un tel récit dans ce lieu, entre les mouvements du bateau et les odeurs particulières. Vous avez besoin de moins de concentration que dans un salon pour vivre pleinement le roman, claque Flavien.

Un dauphin le sort subrepticement des mots, à quelques reprises. Son identification est difficile, il semble s’agir du genre Cephalorhyncus. Surpris, quant à 16 h, il pose le roman sur ses genoux. « De mémoire, c’est la première fois que je lis un roman en une seule journée, c’est dire qu’il m’a plu, appuie-t-il. L’intrigue se déroule dans un contexte familier, il est facile d’y accrocher. »

Peu avant 18 h, une otarie à fourrure pointe sa tête hors de l’eau à quelques reprises. Le vol des pétrels géants et des albatros à sourcils noirs fascine Flavien. « Impossible de rester impassible face à ces géants et leur dextérité. » (Crédits : Flavien Saboureau)

L’intrusion dans le Pacifique se produit à 18 h. « C’est l’heure du dîner. Les vagues s’accentuant, il faudra avoir l’estomac bien accroché pour avaler le repas. » La houle replonge l’aventurier à de vieux souvenirs, malgré ses 26 printemps. « Cela me fait penser à quelques repas, en particulier des petits déjeuners, pris sur le Marion Dufresne. La houle est celle qui vous emporte votre plateau-repas. »

Une longueur monotone

Avec le changement d’océan, le temps s’améliore. « Il fait bon traîner sur le pont si tu n’as pas dégluti ton repas. » C’est l’occasion de contempler plusieurs otaries et autres lions de mer, sauter près de la barcasse. « L’ouest dans le brouillard l’est sous le soleil et la mer striée par les rafales. Le paysage invite à la contemplation et aux photographies. Avant qu’il ne change dans je ne sais combien de seconde. Un résumé de cette journée où nous aurons eu les quatre saisons, mais l’avantage c’est que cette fois je peux me mettre à l’abri dans mon siège avec hublot… »

Le hublot est telle une loupe, il permet de mettre en lumière les souvenirs et faits anciens. « Ce soir, je fais une petite rétrospective. Il y a un an, le 10 janvier 2023, je descendais tout juste du Marion Dufresne. L’aventure taafienne se terminait sous des latitudes quelque peu plus clémentes. Aujourd’hui, je suis toujours sur un bateau, mais sous des latitudes moins attirantes pour la plupart des voyageurs, mais c’est ce que j’aime, se découvrir loin des sentiers battus. »

Qui plus est, à l’endroit où se trouve Flavien, il n’existe pas de sentier. « Juste la route que les plus grands navigateurs découvrirent 500 ans plus tôt. » Le jeudi onze janvier 2024, il profite de Punta Arenas avec plusieurs visites. Le musée, le cimetière, il réalise des courses, des photos et déguste un burger.

Chargé comme une mule

En ce vendredi, la levée s’effectue à 6 h 20. « Le temps de prendre une douche, et direction le centre-ville de Punta Arenas. » Avant de monter dans le bus, il prend son petit déjeuner au même café qu’hier. « J’y suis à l’ouverture, dès 7 h. Trente minutes plus tard, je suis à la gare routière. » Pour la modique somme de 1100 pesos (1,10 €), il voyage en minibus durant soixante-quinze minutes. Direction le village de San Juan, le plus au sud du continent américain, sur la péninsule de Brunswick.

« De là, il me faut marcher pendant 1 h 30 (8 km) sur de la piste, c’est long trèees long… pour rejoindre le début du sentier en direction du mont Tarn, l’objectif du jour. » Chargé comme une mule, avec en plus son téléobjectif, il ne sait pas où bivouaquer. « Je marche avec un Chilien qui lui va en direction de Cabo Froward, l’extrême sud du continent américain. » (Crédits : Pilgerodendron uviferum — Cupressaceae/Flavien Saboureau)

La randonnée de 70 km s’étend sur 4 jours. Très peu pour lui, et pour cause : « elle alterne en forêts littorales et plages et n’est donc pas très diversifiée d’un point de vue des paysages. » Arrivés à l’extrémité de la piste, les deux compagnons d’un instant mangent pour se requinquer. « Nous prenons chacun nos chemins respectifs. » Le sentier est très bien indiqué. Par contre, plus il avance, plus le sol est boueux. « Je ne pensais pas qu’il était si emprunté. » Le temps est menaçant alors « je croise les doigts et mange sur le pouce… » Après s’être sustenté, il s’attaque aux fameux milieux altoandins, rocailleux à souhait, dès 600 m d’altitude.

L’Hamadryas kingii se découvre, le vent aussi

Après avoir avalé les premiers mètres de dénivelé positif, « je laisse certaines de mes affaires sous des arbres pour monter plus léger ». Cette rando était l’un des objectifs. Car Darwin l’a effectué, il y a bientôt 200 ans. « Il en parle dans son récit d’ailleurs », explique-t-il. Le paysage alterne entre tourbières et forêts. L’occasion lui est offerte d’observer son premier conifère. « Pilgerodendron uviferum, le plus austral de tous avec le fameux Lepidothamnus fonkii que je n’ai toujours pas réussi à trouver. »

Dès lors, le vent commence à se faire clairement sentir. L’aventurier se trouve à plusieurs reprises déséquilibrer. « Je trouve THE plante ». Il s’agit de Hamadryas kingii, une espèce à la forme typique des plantes andines. Après une pause photographique, il attaque la dernière montée, les nuages menacent. « Le vent devient très fort, moi qui croyais avoir affronté le pire aux Malouines et dans les TAAF », se ravise-t-il.

Il range tout dans son sac, fini de contempler le paysage et de prendre des photos. « Concentration maximale ». « Mes lunettes s’envolent et se cassent. Je réussis à les récupérer pour les jeter au retour. Le bonnet me procure aussi des frayeurs. Sans mes lunettes mes yeux pleurent sans cesse. Pour couronner le tout, les cailloux s’envolent grâce aux rafales. » (Crédits : Hamadryas kingii — Ranunculaceae – femelle – /Flavien Saboureau)

En plus de le fouetter, les cailloux s’invitent dans ses chaussures. « J’aurais dû mettre mes guêtres, trop tard maintenant. » Le vent souffle réellement très fort. Tout est relatif, sauf quand vous vous trouvez près du précipice… « Le vent me déporte sur la gauche à chaque pas. À gauche il y a la crête et le vide, alors il faut compenser à droite. Qu’est-ce que c’est fatigant… Je n’ai jamais vu ça… Ça en devient dangereux. »

Ça souffle vraiment fort

Arrivé sur la crête sommitale, un Chilien est sur le point de repartir. « Il me dit de finir à quatre pattes pour pas me faire emporter dans la vide. » Il descend et m’astreint à être extrêmement prudent à la redescente. Je ne traînerais pas, le fond de l’air ne semble pas être très froid, mais ces rafales le rende glacial. Je redescends tranquillement et viderais mes chaussures à plusieurs reprises.

Lors du départ de Lavausseau, jamais Flavien ne pensait avoir besoin d’un anémomètre. « Je n’ai jamais vécu d’ouragan, mais les vents devaient dépasser sans problème 150 km/h par rapport aux 100 km/h que j’avais mesuré sur Amsterdam. » Ses affaires récupérées, il se dirige vers le phare San Isidro. « Celui que j’avais pu prendre en photo depuis le bateau il doit y avoir deux semaines de ça. »

Sauf que tout semble se mériter. « Pour y accéder, il faut se taper 5 km de plages de galets… et c’est long de marcher sur ce substrat qui s’écrase sous chaque pas. » Là-bas il est interdit de camper. Flavien effectue deux kilomètres en plus, en s’enfonçant dans une baie 2 km. « J’emprunte alors le début du sentier du fameux Cabo Froward. Il est 19 h et je commence à être sur les rotules après plus de 25 km et 1000 m de positif, ça me rappelle quelques étapes du GR20 et de la HRP… » (Crédits : Flavien Saboureau)

La tente montée, il déguste quelques fruits secs. « Le repas prit, j’accroche mon sac de bouffe à une branche pour éviter que les renards ne viennent percer ma tente et mon sac cette nuit, car maintenant je ne suis plus sur une île, mais sur le continent. » Le sommeil l’emporte rapidement. À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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