Pérégrinations

À vos risques et périls (27/55)

La journée débute par une maxime, ou un titre de film selon votre choix : l’aventure c’est l’aventure. C’est un adage que Flavien applique dès ce matin au réveil. Aujourd’hui le naturaliste pointe sur la carte Bordland Saddle. Seule inconnue est la piste pour rallier le col. Une distance de seize petits kilomètres à parcourir, dans un sens et dans l’autre. Si la nuit sur le siège passager laisse peu de séquelles sur le dos du baroudeur, partie du corps qui reste essentielle pour tout un chacun. La vie est faite de priorités, à trop reculer, on risque de confondre vitesse et précipitation.

Le mal de dos de la veille semble avoir disparu durant le sommeil du juste, ou du moins il demeure silencieux. La bonne surprise est cette nuit sur le siège passager. « J’étais plein de préjugés, je m’attendais à pire que ça », bien que cela ne vaille pas la nuitée sur le matelas. « Je prends la direction de ce col qui se trouve au bout de 16 km de piste. » L’appréhension le gagne. Lui qui ne souffre pas de l’impréparation. « L’inconnue dans l’équation est l’état de la piste », s’interroge Flavien.

Une randonnée périlleuse

Malgré les recherches effectuées, peu ou pas d’informations glanées, alors il se lance tambour battant. Au bout de quelques kilomètres sans encombre, un panneau apparaît, comme surgi de nulle part. Ce dernier peut vous glacer le sang. « La suite est aux risques et périls de chacun », lit Flavien à bord de son automobile. Un message est adjoint : « La route est déconseillée pour les deux roues motrices. »

« Je prends mon courage à deux mains. Je serre les fesses pour ma caution… Et je m’engage… Sur la piste. » L’ambiance dans la voiture est au silence absolu, même le moteur étouffe son ronronnement. Équipé d’une berline, l’aventurier joue l’équilibriste.

« Je n’en mène pas large. » Il parcourt la distance en une heure, et rallie Bordland Saddle. Sur le parking, chaque véhicule est un 4×4, enfin tous sauf un. « Qu’est-ce que je fais ici », se questionne-t-il.

Je suis là pour l’aventure, non ?

Avec tant d’efforts, la météo semble lui faire une fleur. Le climat est radieux, pour un lieu où il est censé pleuvoir le plus en Nouvelle-Zélande. À peine garé, Flavien ne perd pas de temps. Il s’attaque au dénivelé de l’unique chemin partant du parking. Après moins d’un kilomètre, le sentier disparaît et plus de traces sur son GPS non plus. « Je suis là pour l’aventure, non ? », se persuade Flavien. Malgré un panorama remarquable, le naturaliste avoue n’avoir pas eu grand-chose à se mettre sous l’appareil photo. « Je tente de rallier le sommet qui me surplombe. »

Les graminées, appelées tussock, sculptent et déploient une unité au paysage. « Comme en Patagonie, où cela m’avait frappé, l’espace de combat entre la forêt et la zone alpine est extrêmement bien marqué, autour de 1000 m d’altitude », glisse d’un commentaire Flavien. Ça grimpe dur jusqu’au sommet à 1645 m, surtout « dans ces herbes où on n’avance pas ». L’ascension devient technique. À l’aveugle, il virevolte, tel un cabri qu’il n’est pas, de part et d’autre de la crête pour rallier la cime. (Crédits : Flavien Saboureau)

« C’est aérien ! Il ne faut pas être sujet au vertige, ajuste-t-il. Il n’y a pas de vent, la visibilité est complète, alors avec un peu de concentration ça se passe bien. » La vue est incroyable tout en haut, admet-il avec une pointe d’émotion. « Je trouve un petit galet à l’intérieur d’un sachet, où, un Japonais a inscrit son nom après être monté ici en 2008 et 2009 », raconte le baroudeur.

Après l’effort, le réconfort de l’aventurier

Puis c’est le moment de redescendre. Flavien traverse quelques névés, quand il croise un couple de locaux et engage la discussion. Il projette une soirée hors des sentiers battus, ils campent en contrebas du sommet ce soir. « Quelle riche idée », ponctue Flavien. Ils sont étonnés de tomber nez à nez avec un étranger ici. « Je leur confie que si j’avais à revenir en Nouvelle-Zélande, je leur piquerais leur idée. » Oui, pour la prochaine fois, car pour s’alléger, ses affaires pour bivouaquer sont au chaud dans la voiture. « Je n’ai pas non plus de nourriture. » D’ailleurs je n’ai pas mangé aujourd’hui, borborygme son estomac lors de la descente.

Les seize kilomètres de piste avalés, « je prends la direction du nord, plus particulièrement Cronwell (Tīrau) ou bien Alexandra (Areketanara) à plus de trois heures de route ». La voiture crie famine, alors après avoir fait le plein, « je m’arrête dans une grande surface près de Queenstown pour acheter moult denrées, et en particulier de nombreuses cochonneries. » À peine Flavien est-il assis dans la voiture qu’une fougasse, juste déballée, disparaît à vue d’œil comme par enchantement.

« Je suis si heureux de dénicher une fougasse que j’en garde un souvenir. Comme si c’était la meilleure chose que j’avais mangée jusque là. » En tout cas la seule de la journée, jusqu’à présent. « Je profite du Wi-Fi pour trouver un camping à 1 h 30 d’ici, à Alexandra. Je n’ai pas regardé l’heure de fermeture… 21 h », remarque-t-il, en posant le téléphone et en croisant les doigts, pour qu’il arrive avant que porte soit close. (Crédits : Kyle Roxas/Pexels)

Un ange tutélaire, discret et fidèle, l’enveloppant d’une présence silencieuse, ne le quitte jamais, et pour cause. « Heureusement qu’une employée fait des heures supplémentaires… Elle me donne un emplacement que je payerai demain matin », sourit le béni des Dieux. Heureusement, car les batteries pour l’appareil photo sont à plat. Après deux jours de transpiration intense, la douche est plus que bienvenue. « Je n’ai toujours pas eu le temps de regarder à mon matelas. Je le pose quand même dans ma tente en ajoutant quelques couches de vêtements en dessous. On verra bien ce que va donner la nuit… » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

One thought on “À vos risques et périls (27/55)

  • Ping : Une course contre la montre... (26/55) - Libre Expression

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *