Pérégrinations

Au sein d’un autre monde (12/55)

Les expériences acquises par Flavien s’accumulent. Imaginez-vous en plein milieu de l’océan Austral. Votre bateau navigue suivant un roulis qui désormais vous berce. Puis un bruit vous sort de votre torpeur, de vos rêves. Un bruit si familier que vous vous éveillez à la vitesse d’un escargot. Comme lorsque vous êtes dans vos pénates. Vous êtes reposé, votre nuit s’est bien passée, jusqu’au moment où vous regardez l’heure sur votre montre. Horreur, malheur, vous êtes en retard.

Flavien est réveillé à 8 h par le bruit d’un aspirateur. « Je vais pouvoir prendre mon petit-déjeuner aujourd’hui », se réjouit-il. L’aventurier se lève, encore engourdi de sommeil. Le plancher grince sous son pied nu, l’humidité, le froid. Flavien baisse les yeux, de l’eau. Pas une flaque, mais un véritable dégât des eaux en plein océan. « Je comprends mieux l’aspirateur. C’est alors le branle-bas de combat. » Le trio change alors de cabine, direction le pont n° 6, trois étages au-dessus. Quelques affaires, dont ses gants posés hier soir au sol, partent au séchoir.

Une journée à peine croyable

La chambrée déménagée, « je me rends compte que l’odeur que j’évoquais hier soir aura été un problème vite résolu… » Flavien, amariné, constate judicieusement que plus on monte dans en bateau, plus le roulis se ressent, tout en ayant une pensée pour son colocataire canadien. Les croisiéristes prennent, à 10 h 45, les zodiacs pour débarquer sur l’île Macquarie. Ses affaires biosécurisées prêtes, il profite de l’attente pour déambuler sur les ponts. « Je prends mes premières photos de l’île qui semble surgir d’un autre monde. Celle dont j’entends parler depuis tant d’années. » C’est également l’occasion de photographier pour la première fois, en mer, le gorfou de Schlegel, l’espèce emblématique de l’île, endémique stricte, ajoute-t-il.

Macquarie, phare, voyage

À côté de la base scientifique, « nous mettons pied à terre, ou plutôt à sable, vers 11 h 10 », sourit Flavien, déjà accaparé à prendre des clichés. Il ne résiste pas face aux milliers de manchots, d’éléphants de mer affalés sur la plage, dont l’odeur lui a presque manqué. En tant que « True Young Explorer », il aide les guides à maintenir le groupe entier pour éviter l’inertie de groupe. Elle se définit par « sa tendance à conserver habitudes et modes de fonctionnement, même lorsque des changements pourraient lui être bénéfiques. »

« Accaparé par ce qui m’entoure, je ne sais pas si j’ai réussi ma mission », s’interroge-t-il. Alors que de nouvelles espèces, comme Poa foliosa et Stilbocarpa polaris, s’offrent à lui. « Je rencontre l’un des hivernants qui m’interpellent en voyant mon bonnet où est noté Astrolabe. » Ce brise-glace français navigue au large d’Amsterdam en 2022, à qui Flavien commande le fameux bonnet.

Ce dernier est venu ici quelques semaines plus tôt pour débarquer neuf Australiens. « Car oui, cette île est australienne. Mon passeport est donc censé être descendu pour être tamponné, comme quelques lettres que j’aie demandé à être tamponnée hier, explique l’aventurier. La première fois que je pose pied en Australie sera donc ici, original ! »

Les deux hommes échangent des bribes de conversation sur leur expérience similaire. Les croisiéristes sont censés avoir reculé de deux heures leurs montres, ayant changé de fuseau horaire. « Mais pour un côté pratique, tout le bateau sera resté à l’heure néo-zélandaise. Le réveil a dû être matinal pour les hivernants. »

(Crédits : Janrey Artus/Pexels)

La marche se poursuit. Le groupe monte sur un promontoire aménagé pour avoir la vue sur l’isthme, la pointe nord de l’île, où est implantée la base dans laquelle ils ne peuvent se rendre. « Nous ne sommes pas libres de nos mouvements. Nous devons rester sur les sentiers, mais pour les deux heures passées à terre, il y a déjà de quoi s’émerveiller. » En redescendant par une autre plage bondée de manchots et d’éléphants de mer, Flavien observe les insectes, mais n’en trouve aucun qui a perdu ses ailes. « Demain est ma dernière chance », soupire-t-il. Après quelques centaines de photos, le groupe se rend aux Zodiacs, cap sur la salle à manger. Il est bientôt 14 h. « La faim se fait sentir, à croire que je m’habituerais au confort », s’amuse Flavien de cette pensée.

À table, moussaillons !

À peine l’entrée entamée que le bateau met le cap plein sud, par la côte ouest. Selon les plus anciens, ce n’est que la troisième fois que cela arrive. Habituellement, les vents viennent de l’ouest, compte tenu du courant circumpolaire antarctique, mais pas aujourd’hui, alors l’Heritage Adventurer en profite. « Depuis ma chaise, une orque se produit en spectacle à quelques centaines de mètres, à bâbord. » Sustenté, il grimpe sur les ponts pour immortaliser le moment, et contempler les nombreuses colonies de gorfous de Schlegel tout au long des 30 km de la côte ouest.

De surprise en surprise, la météo se maintient au beau fixe, enfin presque. « Il ne pleut pas. Le soleil fait même quelques rares intrusions, sur cette île où il pleut 310 jours par an, quelle chance ! »

Les sommets de l’île culminent à plus de 200 mètres d’altitude. Ils sont restés la tête dans les nuages tout au long de la journée. « Comme très souvent aux dires des locaux. »

Arrivé à la pointe sud, le capitaine manœuvre pour que l’on puisse apercevoir au mieux la plus grande colonie de manchots au monde. « Plus de 600 000 gorfous nichent ici, difficile à imaginer », admet Flavien. Quelques miles plus loin, le pacha œuvre pour permettre aux croisiéristes d’assister à une chasse d’orques. Puis une dernière, pour admirer l’une des plus grandes colonies de manchots royaux qui puisse exister, avec plus de 250 000 individus. (Crédits : Flavien Saboureau)

Proue, brume, mer

« Ce gros bateau s’approche étonnamment de la côte. Je n’ai jamais vu ça », s’étonne-t-il. Sur ses photos, Flavien a l’impression d’être dans la colonie, ou presque. Le navire qui a ralenti sa vitesse se positionne à Sandy Bay pour y passer la nuit ancrée. « C’est là que nous devrions passer la journée de demain. »

Un programme alléchant

L’ensemble des croisiéristes assiste au briefing concernant la journée à venir. Mais un autre programme tient en haleine l’ensemble des personnes sur le bateau. Le barbecue dont tout l’équipage nous parle depuis hier. « Sur le pont numéro 6, avec une vue sur des milliers de manchots, sous une température de 4 °C au ressenti bien inférieur à 0 °C et avec une playlist de Noël… nous mangeons un barbecue. C’est un moment intemporel dont je me souviendrai longtemps », souffle-t-il, et pourtant ce n’est pas son premier sur un bateau.

Barbecue, bateau, crustacés

Il y a quelques années maintenant, à son retour de l’île d’Amsterdam, un barbecue avait déjà été réalisé. À la différence que cette fois-ci « nous étions en tee-shirt sous des latitudes subtropicales avec vue sur les lumières des villes réunionnaises ». Deux salles, deux ambiances, à vrai dire. Flavien, devenant un rat de bibliothèque, termine sa soirée au chaud. « Je me rends à la bibliothèque pour tenter d’identifier les invertébrés photographiés aujourd’hui. »

Après plusieurs pages tournées, une très bonne nouvelle apparaît. Au moins l’un d’entre eux, un diptère, serait endémique. Profitant de chaque instant, Flavien s’offre un bol d’air iodé à la saveur particulière du sud de l’Australie. Il observe trois orques, un adulte et deux jeunes, qui semblent chasser dans le fond de la baie, très brumeuse.

(Crédits : Flavien Saboureau)

Comme à son habitude, il use de chaque seconde qui lui est octroyée pour contempler ce que ses yeux voient. « Ce soir, à 23 h 09 précise, il fait encore bien jour compte tenu de la latitude (54,567690° S) et du non-changement d’heure, ou plutôt de notre déplacement vers l’ouest du globe, précise Flavien. Quelle journée ! Demain s’annonce tout aussi incroyable si la météo tient ses promesses. » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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