
Accès suspendu à Pornhub, et après…
Depuis le milieu de l’après-midi du mercredi 4 juin 2025, certains sites WEB proposant du contenu pornographique sont suspendus. YouPorn, RedTube et Pornhub de l’éditeur Aylo ne sont plus « accessibles » en France. L’un engage la liberté, l’autre la protection des mineurs. « S’ils ne veulent pas protéger nos enfants, alors qu’ils s’en aillent. C’est inacceptable, ce coup de pression qu’ils nous mettent », répond Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du numérique.
« À partir du 4 juin, nous suspendons l’accès à notre site Internet en France pour s’adresser à vous, nos usagers adultes français ! », écrit Aylo, éditeur de trois sites pornographiques (YouPorn, RedTube et Pornhub). Suite au blocage des sites pornos accessibles aux mineurs, la ministre se targue en affirmant que : « comme un videur en boîte de nuit, il nous faut aujourd’hui une vérification d’âge. » Peut-on encore protéger efficacement les mineurs sur le web, avec en permanence leur smartphone, quand la technologie évolue plus vite que la loi et que les adolescents en maîtrisent déjà tous les codes ?
La bataille est engagée
Cette interrogation, que partagent de nombreux parents, enseignants comme juristes, révèle la complexité d’un monde numérique en mutation constante. Les jeunes savent déjà contourner les filtres, créer des comptes anonymes, utiliser des VPN, change de serveur DNS et bien d’autres astuces encore. Face à cela, les lois, souvent lentes à être votées puis appliquées, peinent à suivre dans le WEB 2.0.

Les internautes français découvrent désormais une page d’accueil vide, car ils sont inaccessibles depuis le territoire. Enfin, pas tout à fait vide, une illustration évoquant le tableau d’Eugène Delacroix « La Liberté guidant le peuple » est proposée avec un texte. La cause ? Une loi française exigeant des sites pornographiques une vérification d’âge plus stricte, destinée à bloquer l’accès des mineurs.
Sur le papier, l’intention est noble. Éviter que nos enfants, parfois dès 11 ou 12 ans, ne tombent sur des contenus explicites. Les contenus proposés, qui mettent en scène des acteurs et actrices, sont de la fiction, qui peut être souvent violents ou dégradants. La réaction d’Aylo en dit long : elle préfère se retirer que se soumettre à des obligations jugées « dangereuses pour la vie privée » et « techniquement inefficaces ». (Crédits : Pavel Danilyuk/Pexels)
L’Arcom affiche des statistiques sur un rapport de mai 2023 : dès 12 ans, plus de la moitié des garçons se rendent sur des sites adultes en moyenne chaque mois (12-13 ans, 51 % de garçons, 31 % de filles). « Je refuse que nos enfants grandissent avec la pornographie », assure la ministre. L’étude porte sur 14 111 sites recensés par Médiamétrie, dont 179 sites disposent d’une audience significative, soit plus de 50 panélistes. En précisant que les plateformes de partage de vidéos ou les réseaux sociaux ne sont pas prises en compte.
Pornographie cs Réalité
La fiction cinématographique suit l’évolution de la société. Par des expériences neurobiologiques, en faisant visionner des images pornographiques à des mineurs avec des capteurs sur le cerveau, vous observerez des réactions neurobiologiques apparentes sont les mêmes que dans un trauma, explique Marie Estelle Dupont, psychologue clinicienne.
Quand tout un chacun visionne vidéos et images, les neurones miroirs entrent en jeu. L’apprentissage par répétition produit des traces mnésiques. Nommée aussi « engramme », elle est une modification durable du cerveau résultant de l’encodage d’une nouvelle information. L’apprentissage s’effectue par l’encodage, la consolidation, le stockage et le rappel. Lorsqu’une expérience, un fait ou une compétence est appris, le cerveau ne se contente pas de stocker cette information de manière statique.
Ce concept fondamental amène à comprendre comment notre cerveau encode, conserve et rappelle les informations. Chaque souvenir, chaque compétence apprise laisse une empreinte durable dans notre cerveau, façonnant notre capacité à naviguer dans le monde.
« Quand vous aimez le tennis et que vous regardez Roger Federer jouer au tennis, vos neurones miroirs vont faire progresser les schémas moteur. Mais quand vous regardez une scène de crime, une scène de viol, une scène de torture, vous avez des traces mnésiques », explique Marie Estelle Dupont.
Pour prendre du recul, l’expérience est vitale. Le mineur n’a pas la maturité pour cela. Ce qui explique « quand on fait des enquêtes, il y a 46 % des jeunes qui nous disent qu’ils ont des pratiques violentes. 97 % du temps, c’est des garçons vers les filles, évidemment, puisque dans le porno, on retourne à quelque chose de très archaïque, où, en fait, ce n’est pas la dimension du plaisir qui compte, c’est la dimension de la domination et de la destructivité », martèle Marie-Estelle Dupont. (Crédits : Liza Summer/Pexels)

Sur les réseaux, de nombreuses vidéos évoquent un chiffre, prônant la quantité à la qualité : le « bodycount ». Ce dernier prône la qualité des personnes. Comme par hasard, une fille qui aurait, selon les suppositions perdrait de sa « valeur » selon certains « influenceurs ». Les mêmes garçons qui ont été biberonnés à la pornographie débridée, où, quand ils émettent une onde cérébrale, pensent que les fictions pornographiques sont la réalité. « Maintenant, il y a une notion de réputation sexuelle où, si les filles ne se soumettent pas à très jeune à certaines pratiques, elles ont peur d’être harcelées et qu’il y ait un espèce d’effet de délation de celles qui ne veulent pas. »
Temps juridique vs Adolescents
L’étude de l’Arcom détermine que 57,5 % des garçons de 12 à 17 ans consultent des sites à caractère pornographique, contre 27,25 % des filles du même âge. Pour de nombreuses personnes, cette loi est une avancée essentielle. La bataille entre les législateurs et les adolescents ressemble à un jeu de chat et de souris… sauf que la souris court à la vitesse de la fibre, et le chat s’embourbe dans les procédures parlementaires. La loi française du 30 juillet 2020, comme celle en cours au Royaume-Uni (Online Safety Act, votée en 2023), et la loi étasunienne Senate Bill 287, plus connue sous « S.B. 287 », imposent donc un contrôle renforcé.

Il est nécessaire de prouver son identité par différents moyens (carte bancaire, reconnaissance faciale…), autant d’outils pour s’assurer que l’internaute est majeur.
En France, la loi produit ses premiers effets. Côté britannique, elle entrera pleinement en vigueur dans un mois, avec des obligations de « robust age assurance » pour les plateformes. Mais là encore, le rythme reste lent face à la créativité numérique des adolescents. Pendant ce temps, les États-Unis avancent en ordre dispersé. La Californie indique que toute application qui ne limite pas ses contenus nocifs aux mineurs peut être poursuivie en justice. L’approche plus dissuasive que protectrice ne garantit pas non plus une application uniforme à l’échelle fédérale. Partout, les États tâtonnent, contraints de réécrire des lois dans un monde où les ados ont déjà changé de plateforme, de langage et d’algorithmes. Le temps juridique est un temps long, le leur est instantané. (Crédits : Kindel Media/Pexels)
Finalement, on peut bien légiférer, filtrer, surveiller… Mais peut-on vraiment protéger efficacement les mineurs dans un univers qu’ils comprennent mieux que nous ? Quand la technologie galope, que les codes se déverrouillent à douze ans, et que la loi, elle, marche encore à pas d’escargot ? Cette question, chaque parent se la pose. Mais c’est une question d’éducation. Le comportement, les attitudes, le savoir-vivre sont l’apanage des parents ou de l’État ? Logiquement, l’État produit des enseignements et les parents éduquent leurs enfants. Il est temps de remettre l’église au milieu du village, en affrontant avec lucidité et humilité : nous ne dresserons pas de murailles numériques solides si nous oublions de parler, d’écouter et de transmettre.