
Une rencontre hors du temps (19/55)
Plusieurs jours que le kiwi se joue de Flavien. Comme un jeu de pistes, un jour il laisse des traces sur le sable. Un autre, il pousse des cris étouffés par la faune. Le surlendemain, c’est un témoignage de rencontre avec un randonneur… Aujourd’hui c’est pour l’aventurier la dernière occasion de contempler, observer cet oiseau endémique. Le kiwi austral (Apteryx australis) tient son nom du terme māori kivi-kivi. Leur vue est médiocre, compensée par un odorat développé. Leurs narines sont situées d’ailleurs à l’extrémité de leur bec. Le kiwi reste caché le jour et sort à la nuit tombée.
Flavien ne laisse aucune chance à l’imprévu. « Je me réveille à 6 h 30 », explique-t-il. « C’est ma dernière chance de le trouver », se résigne-t-il. La tente est pliée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. À 7 h 15, alors que tous émergent doucement, il trace la route du Rakiura Trek. « Ce qui ajoute 24 km à mes 56 km déjà parcourus… Ce n’est pas rien, mais le jeu en vaut la chandelle. » La météo est bonne, personne sur le chemin, c’est de bon augure, pense-t-il à voix haute.
Quand le Kiwi apparaît
« Ça bouge… » Le souffle se coupe, l’instant se fige, une goutte de sueur froide coule. « Ah mince, c’est un cerf de Virginie. Le troisième que je vois en quatre jours. » Flavien poursuit son chemin. Dans une descente interminable, un bruit déchire le silence. « Sur ma gauche ce bruit que j’ai entendu tout au long de mon trek. » Puis comme au cinéma, au détour d’une rue, la rencontre, presque le coup de foudre cinématographique. Cette fois, un kiwi aussi surpris que moi ne sait pas quoi faire et se fige. Aucun des deux ne bouge. « L’adrénaline monte d’un coup. Mon cœur bat comme rarement… »

Flavien dégaine son appareil photo… L’objectif à plantes est fixé dessus… « Je fais avec », soupire-t-il en silence. « Pendant trente secondes, on se regarde dans le blanc des yeux. » Situé à moins de trois mètres, la rencontre est intense. « Quel animal ! Sorti de nulle part… Un vrai dinosaure. J’essaye de me rendre compte de ce moment… hors du temps. »
Le kiwi cherche sa pitance, quelques invertébrés, et continue son chemin comme si de rien n’était. Flavien monte son téléobjectif. Au bruit produit par le kiwi, il le retrouve. « J’essaye de le suivre sans l’effrayer. » Dans ce silence assourdissant, le moindre pas crée un boucan d’enfer. « Ici une branche craque, là une fougère se frotte au pantalon. » C’est très compliqué de faire des photos dans cette végétation très dense où « je suis obligé de faire des détours pour éviter de me prendre les pieds dans des lianes ». (Crédits : Flavien Saboureau)
Après quinze minutes d’intenses émotions, Flavien lui jette un dernier regard… Comme un déchirement… « Je dis au revoir à l’unique kiwi que j’aurai vu de ma vie. » Emporté par l’émotion, « je ne sais plus où je suis à force de tourner, virer… » Bien entendu, « je n’ai ni mon sac ni ma boussole. » Il suit le sens de la pente pour recouvrer le sentier. « Je suis tellement heureux que je me congratule en serrant les poings à maintes reprises. »
Une récompense bien méritée
À cause de la très faible lumière, à cette heure dans ces forêts denses, les clichés ont un fort bruit. Compte tenu des nuits courtes à cette latitude, Stewart Island est l’unique lieu où l’on peut espérer faire une photo de jour du kiwi. « Quelle chance j’ai eue ! » Revenons les pieds sur terre. Il lui reste seulement 21 km avant de revenir au village. Flavien a la tête dans les nuages, car « je ne ressens plus le poids de mon sac » vissé sur ses épaules. Chemin faisant, le chemin est véritablement boueux. « Il est difficile de se frayer un passage sans y laisser la chaussure », constate Flavien.
Les efforts donnent soif. Plusieurs arrêts nécessaires pour remplir sa précieuse gourde filtrante. « Ici, l’eau est maronnasse. Cela est dû à la forte concentration en tanin ; ça me rappelle l’île de Navarino où l’eau avait cette couleur à cause des nombreuses tourbières. »
Aux alentours de 11 h 45, le naturaliste s’accorde une pause. « Je m’arrête sous un abri pour manger, et m’octroyer une sieste d’une petite demi-heure. » Une heure s’écoule quand il se met en chemin pour les 11 derniers kilomètres. La vue sur certaines plages vierges est magnifique, mais les 56 km des jours passés pèsent. « J’ai hâte d’arriver et de me poser… s’il reste une place. »
Arrivé à 16 h 30, aucun lit n’est libre, mais une place subsiste pour sa tente. Installé, il s’empresse de me rendre à la supérette pour s’offrir, telle une récompense, une glace et des Oreo… De retour au camping, le summum du luxe : une douche. « C’est toujours aussi agréable de se sentir propre. » (Crédits : Flavien Saboureau)

« À un fast-food, je commande un burger pour changer de la paella (lyophilisée) de ce midi. » Cette journée est placée sous l’ordinaire qui se transforme en luxe. À l’auberge, l’aventurier du bout du monde goûte au plaisir d’utiliser une machine à laver le linge, véritable et indispensable progrès de l’auberge. « Pour six dollars le lavage, et quatre pour le séchage… n’est rien à côté du plaisir d’avoir des vêtements qui sentent bon. » Depuis vingt-cinq jours maintenant, c’est une lessive à la main qu’effectue Flavien. La journée des cadeaux se poursuit. La soirée se clôture, dans sa tente, à donner des nouvelles, envoyer des messages enroulé dans son duvet. « Quelle journée ! Je m’en souviendrai toute ma vie… » À suivre…

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