
Christmas Hut pour le réveillon (18/55)
Une Saint-Sylvestre à mille lieues des flonflons habituels. Sans cotillons, sans champagne, mais avec de la boue jusqu’au genou, une plante rare en ligne de mire et treize heures de marche dans cet écrin sauvage. Flavien célèbre cette fin d’année là où seuls les pas comptent vraiment : dans la nature brute de Rakiura. L’aventurier entame l’ascension de l’Anglem, au cœur de l’île Stewart. Des kilomètres de forêt humide, des empreintes de kiwi et des coussins d’espèces endémiques en guise de feu d’artifice.
Pour cette dernière journée de l’année, pas de grasse matinée. « À 7 h, je prends la direction de Christmas Hut pour y passer le réveillon du Premier de l’an, ça ne s’invente pas ! » Auparavant, une légère marche de 11,5 km se présente. C’est la distance qu’il doit réaliser pour pouvoir attaquer l’ascension du sommet dans l’après-midi. Au milieu de ce parcours, une très longue plage de deux kilomètres lui fait gagner du temps. Un changement de paysage qui ravit Flavien. « Je suis tout seul. Qu’est-ce que c’est sauvage », admet-il. « Sur le sable, des empreintes de kiwi, il me nargue… », s’amuse Flavien qui ne l’a toujours pas rencontré.
Bain de boue pour la Saint-Sylvestre
Cette plage lui réserve de belles surprises. « Il y a plein de plantes nouvelles dans les arrières dunes », remarque le naturaliste. La vitesse moyenne chute, mais les photos augmentent. Une cabane idéalement située lui permet de faire une pause, avant d’enchaîner les traversées de rivières et de longs chemins forestiers. « Très humides », commente-t-il. Ces guibolles encaissent le parcours accidenté. « Ça ne fait que monter et descendre, rien de mieux pour casser les jambes », souffle et souffre Flavien.

Il est aux environs de 12 h 45, quand, après six heures de marche, Flavien touche au but. Plusieurs personnes prennent possession de la Hut, bien avant son arrivée. Un feu crépite. « J’en profite pour sécher des vêtements et mon sac de couchage que je n’avais pas réussi à garder au sec. » Prévoyant, il installe sa tente pour pouvoir se reposer à son retour. Peu avant 14 h, Flavien repart pour 11 km de marche. Ce qui représente un aller-retour, le sommet étant à 5,5 km d’ici.
« Je décharge mon sac de ce qui m’est inutile là-haut. Car il y a 980 m de dénivelé positif à avaler. » À l’altitude de 200 m, chaque plante rencontrée est nouvelle. Ainsi, de très nombreuses plantes primitives — Sticherus, Gleichenia, Lycopodium, Schizaea et divers conifères — apparaissent. J’ai le sentiment de revenir au carbonifère, glisse-t-il du bout des lèvres. « Impressionnant ! Je ne m’attendais pas à ça. » Plus haut, Drosera et orchidées suivent le chemin.
Le pied gauche, ça porte bonheur
L’ascension le rapproche petit à petit des nuages. « Dès 600 m d’altitude, je suis dedans. » Les végétations deviennent très humides, souvent tourbeuses, le sentier l’est tout autant. « Malgré ma concentration, ma jambe gauche disparaît jusqu’au genou dans une souille. » Résultat, la chaussure est trempée, pleine de boue. Il faut faire avec, dans son dos, le sac ne contient aucune affaire de rechange.
À 800 m, « les crêtes m’offrent Dracophyllum menziesii, une plante incroyable dans ces végétations qui me font penser aux remparts de la Réunion. » (Crédits : Flavien Saboureau)
Juste au-dessous du sommet, de magnifiques coussins de Raoulia goyenii naissent sous son regard. « C’est cette espèce, endémique du sommet, qui m’a incité à venir ici. » Elle forme de superbes tapis avec Dracophyllum politum et Donatia novae-zelandiae. « Il faut en vouloir pour l’observer. Je comprends mieux le peu de photos que l’on peut trouver de l’espèce », acquiesce-t-il.
Là-haut, au travers des nuages nombreux, le soleil essaye vainement de percer. « Je n’ai pas la vue qui, paraît-il, est à couper le souffle. Tant pis, le vent comme la température étaient supportables, les plantes étaient au rendez-vous, c’est déjà ça. »
La descente s’effectue presque au pas de course, d’autant que la luminosité baisse au fur et à mesure. « J’arrive à 20 h 45, après sept nouvelles heures de marche. » Ce qui représente treize heures de marche, quand on sait qu’un Français marche peu ou prou un kilomètre par jour en moyenne.
À peine arrivé, il nettoie comme il peut sa chaussure pleine de boue. Pendant ce temps, il laisse mijoter son lyophilisé à la paella. Réveillon oblige, il la déguste en extérieur, face au coucher de soleil.
(Crédits : Flavien Saboureau)

Puis, alors qu’il se restaure, cinq jeunes Néo-Zélandais arrivés dans l’après-midi « me tapent la discute sur la terrasse, ils sont très sympas ». L’un d’eux est d’ailleurs géologue et d’origine américaine. Chose cocasse, pour le moment le naturaliste ne rencontre que des locaux sur cette rando. La bonne idée d’avoir monté sa tente auparavant se savoure. « Une fois dans la tente, je ne tarde pas à m’endormir, quelle journée ! »
Grasse matinée pour la nouvelle année
« Pour la nouvelle année, je me permets une grasse matinée », explique-t-il en bayant aux corneilles. Il se lève à 8 h 15, pour se diriger vers Port Williams, où une grosse journée l’attend. « Cette nuit, à deux heures, une douleur au pouce m’a réveillé. Une discrète épine bien installée produit une inflammation bien rouge. Me voilà, affublé de ma frontale et équipé de ma pince à épiler… », raconte-t-il tout en réfléchissant.

Une idée lui trotte dans la tête. « J’ai assez de nourriture pour deux jours de plus. « Comme j’ai bien marché ces derniers jours, je tente le Rakiura trek », explique Flavien en ce mercredi matin.
Cette boucle est donnée pour trois jours. « Je pense arriver vendredi en milieu de journée. La pluie aura peut-être fait son apparition, mais l’auberge étant réservée, je pourrai prendre une douche et faire sécher mes affaires. » C’est à 9 h 30 qu’il entame les 5 h 30 de marche en direction de Bungaree Hut, où il a dormi il y a deux jours.
Rien ne change : les sommets ennuagés, la longue plage sous un soleil radieux, lieu idéal pour rencontrer une femelle lion de mer en pleine sieste. À Bungaree Hut, « j’attends que la marée soit basse pour traverser la plage de 800 m et continuer mon chemin ».
56 km en trois jours
Un randonneur lui indique avoir vu un kiwi il y a tout juste deux heures. « Décidément… Je ne suis pas chanceux ou pas assez patient. »
Au bout de 25 minutes, Flavien quitte ses chaussures, enfile son short et traverse malgré les vagues qui arrivent en haut de la plage.
Un quart d’heure est passé de dix-huit heures à son arrivée au camp de Port Williams, après 17,5 km de chemins boueux. La tente montée, l’estomac crie déjà famine. Au menu… un lyophilisé : « La fondue aux 3 fromages ». « Affamé, je prépare des “YumYum” en plus. Ces fameuses pâtes asiatiques que je n’ai pas mangées depuis Amsterdam. » (Crédits : Flavien Saboureau)
« À 19 h 45, je suis dans ma tente. Je fais une toilette de chat avec mon gant, car la transpiration des deux derniers jours commençait à s’accumuler. » C’est aussi le moment de s’occuper de ses pieds, qui encaissent ces derniers jours. Surtout avec les sandflies, ces petites mouches qui pullulent et s’attaquent au moindre bout de peau non protégé. C’est aussi le constat des épaules endolories, des jambes lourdes après les 56 km de ces 3 derniers jours. « J’enlève aussi un petit abcès, près d’un ongle, où le pus s’était accumulé. Le poids du sac, bien qu’allégé, me mâche la peau au-dessus de la clavicule, mais il n’y a pas grand-chose à y faire », se résigne Flavien. À suivre…
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