À la recherche de la renoncule argentée (épis. 8/46)
Peu avant 7 heures, Flavien ouvre les yeux. Le froid a sévi cette nuit. La différence de température entre l’extérieur et l’intérieur de la tente est telle, que de la condensation s’est formée autour du sac de couchage. Mais le plus important, est que le vent s’est tue. L’aventurier prend un peu de temps pour déjeuner, en profitant du soleil. Dès 8 h, il décale en direction du Mount Donald, plein ouest. Selon ses recherches une plante endémique rare, découverte en 2008 et décrite en 2013, s’y trouve.
Il est 8 h 15 quand les trésors s’offrent à lui. « Je contourne le Mount Adam par le sud, j’espère y voir la renoncule argentée, endémique elle aussi. Il ne m’aura fallu que 15 min pour tomber dessus. » Quelques minutes plus tard, c’est au tour de la lampourde de l’Antarctique de se montrer sous ses plus atours. « Elle est dite très rare par le guide des plantes des Malouines. Cette journée commence bien », se réjouit-il. Si la nuit fut fraîche, le jour s’annonce au contraire, chaud. Si bien qu’après quelques kilomètres, Flavien regrette de s’être tant couvert. « Je suis parti avec cinq couches en haut et trois en bas, c’était trop, mais il faisait pas froid ce matin. » Avant l’effort de la montée du Mount Adam (607 m), il se dévêt de quelques épaisseurs.
La tête dans les nuages
À quelques encablures du sommet, Flavien s’offre un spectacle rare, se retrouver au sens propre comme au figuré « la tête dans les nuages ». Le sol est jonché de plusieurs centaines de renoncules argentées, puis quelques minutes le Graal. « J’observe cette fameuse rareté que je suis venu chercher, la Nassauvia falklandica. Bien, présente sur ce field, mais c’est trop tôt dans la saison. Car malgré une heure de recherche je ne trouve aucune fleur ».
« Tant pis », soupire le jeune homme en redescendant sous les nuages pour manger. Il a déniché un coin abrité, si agréable qu’il en profite pour s’octroyer une petite sieste. Les objectifs remplis, il continue son exploration en direction du mont Beauford culminant à 680 m. Il reste sur sa faim. « La traversée de quelques gouilles tourbeuses sera l’occasion de jeter un regard aux mousses. »
Les sommets flottent dans les nuages. Flavien reste alors sur la courbe des 450 m. « Je profite des paysages du sud de West Falklands. »
Quelques heures de marches englouties, Flavien rencontre la population locale. « Je croise de nombreux moutons qui ont une furieuse peur de moi. Chaque année, le nombre de randonneurs dans ce coin doit se compter sur les doigts d’une main ».
(Crédits : Flavien Saboureau)
Au sommet les nuages laissent place à quelques trouées ensoleillées. Le spectacle procure est exceptionnel. « La vue sur le reste des Hill Cove mountain est juste… incroyable. » En aval, 200 m plus bas se dessine un magnifique lac glaciaire. Il est bordé de berges plates qui « me laissent penser qu’il serait possible d’y poser une tente », se réjouit-il. À quelques mètres, sur le versant Est, des plaques de neiges sont encore intactes. Au loin, à la même altitude se présente le Mount Robinson, entre les nuages. « J’avais prévu d’y aller durant cette randonnée, mais les deux jours ne me seront pas suffisants. »
La chasse au trésor : boussole et portable en main
Il est 17 h quand il prend la route de sa tente. Seuls trois petits kilomètres le séparent de son refuge et plusieurs mètres de dénivelé. « Je suis dans les nuages littéralement. Il me faut compter sur la carte de mon portable et ma boussole pour m’orienter », explique-t-il. Aucun de ces versants dénudés ne ressemble plus à d’autres.
Pour autant, « dans cette atmosphère nébuleuse, j’observe plus facilement les pluviers à plastron roux (Charadrius modestus), les pipits des Falklands (Anthus correndera) et les bécasses de Magellan (Gallinago magellanica) qui ne me voient pas arriver. »
Mais pour gagner en légèreté, « j’ai laissé mon téléobjectif dans la petite poste du village, tant pis ! Les photos faites au macro feront l’affaire. »
Une apparition comme au cinéma. « Pour magnifier cette journée, j’arrive à ma tente, les nuages se dégagent. Plus bas ils ne bougent pas. Je passe plusieurs minutes à observer cette mer que je surplombe. » Sous une température agréable, il récupère quelques fruits secs dans sa guitoune pour se faire « une sorte d’apéro/bronzette sous 4 °C… ».
(Crédits : Cláudio Dias Timm/Wikipedia)
Selon les prévisions d’hier la pluie est censée arriver samedi 9 décembre vers midi. Pour le chemin du retour « je ferai au plus court ». La soirée est semblable à la veille. L’idée de la bouillotte étant excellente, elle fera son come-back. « Seule différence, ce soir c’est pâtes bolognaises déshydratées. » Peu avant 21 h 30 Flavien tend l’oreille aux mélodies d’oiseaux. « Hier il m’a semblé entendre un pétrel à la tombée de la nuit. J’aimerais réussir à enregistrer son chant cette fois. »
Un brouillard à couper au couteau
Comme prévu le réveil sonne à… 5 h 40. « Il y a longtemps que je ne me suis pas levé à cette heure-là », souffle-t-il. Le sac de couchage bien qu’hydrofugé semble bien mouillé. Pris d’un doute, Flavien ouvre le sas et la visibilité ne dépasse pas 10 mètres. « J’ai dû mal à savoir s’il a plu ou si c’est l’humidité ambiante qui a trempé ma tente… » Le camp est rangé en deux temps, trois mouvements, il doit être à 11 au settlement. « Impossible de me repérer avec ce brouillard à couper au couteau », martèle-t-il. Il est 6 h 30 quand il déclenche le GPS de son téléphone.
Pour rassurer son auditoire, « je prends le temps d’examiner les courbes de niveau sur ma carte pour ne pas me retrouver face à un précipice, le plus grand danger par ce temps. »
À peine 100 m de dénivelé descendu se découvre « dans un éboulis, une fougère que je n’espérais plus voir : Polystichum mohrioides. » Endémique des îles subantarctiques anglaises (Géorgie du Sud et Malouines). Reboosté, l’aventurier dévale le terrain tout en jetant un œil à son GPS toutes les 5 min. Plus se rapproche de la vallée, plus la végétation prend de la hauteur. « Il est temps de mettre les guêtres si je ne veux pas finir avec les pieds mouillés à l’arrivée », explique-t-il en s’équipant.
Les découvertes enchantent Flavien. « La traversée d’une fameuse rivière de pierre me permet d’observer le très rare Hymenophyllum tortuosum. Sur les livres elle est citée de 3 localités dans l’archipel, je n’aurai jamais cru l’observer. »
(Crédits : Roger Key/Flickr)
Et ce n’est pas fini ! Dans la végétation de nombreuses mites endémiques (Fernandocrambe falklandicus) s’écartent à son passage. Le paysage se découvre peu à peu, le settlement est désormais en ligne de mire. Une fois sur la route il me faut marcher 3 km sans réfléchir, « je peux donc accélérer le pas. »
Une arrivée à la minute près
L’arrivée des steppes de Patagonie augure le même genre de déplacement. Aucune voiture ne croisera la route de la Flavien. « Je rejoins la fameuse poste de fortune à 10 h 59, quel timing », se réjouit-il, et il a de quoi. « Dix minutes plus tard, les quelques gouttes qui me fouettaient le visage sur la route se sont transformées en déluge. » Impressionné que son excursion se déroule sans accrocs, il en conclut que la pression qu’il s’est mise a été positive.
« Ce qui m’a permis de ne pas mettre de côté des détails qui peuvent me paraître habituellement futiles. » Il passe le reste de la journée dans cette cabane faite de tôles à entendre la pluie tomber. Ses affaires sèchent à l’intérieur. Pour s’offrir du réconfort, il gonfle son matelas et passe l’après-midi dans son sac de couchage, car il ne fat pas chaud avec l’humidité. « Vu qu’il n’y a pas de fenêtre, je n’ai pas d’autre choix que de laisser la porte ouverte pour y voir quelque chose. »
Les loisirs et occupations se transforment en sieste, mais pas seulement. « J’écoute de la musique, des podcasts de la Terre au Carré et des sketchs préalablement téléchargés, et aussi un peu de lecture. » Seules trois voitures sont passées sur la route cette après-midi. « Ça me fait penser à de nombreux documentaires regardés petits où les gens attendaient des jours le passage d’une trace humaine. »
(Crédits : Flavien Saboureau)
« Comme l’impression d’être un SDF à l’autre bout du monde, mais c’est aussi ça les voyages non ? J’espère que le vent sera dans le bon sens pour l’arrivée de l’avion demain ; sans eau, sans sanitaires, sans réseau, je me vois mal passer une nouvelle journée dans ce cagibi. » D’ailleurs, n’ayant pas accès à internet Flavien se questionne. « Je ne sais pas à quelle heure mon avion est censé arriver demain ». À suivre…
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