
Contre mauvaise météo, bonnes fleurs (14/55)
Cette journée aura été la plus engagée de l’expédition. Pour un lendemain de Noël avec un repas, que dis-je une journée gargantuesque, le clairon sonne le réveil à 6 h 30. Au menu, une ascension, celle de l’île subantarctique inhabitée de la Nouvelle-Zélande : l’île Campbell (Motu Ihupuku). Elle culmine à 569 m. Mais comme tous les lieux soumis à des règles strictes, les enfreindre vous expose à un rappel à l’ordre, une amende, voire plus. Le rappel à la loi ou à l’ordre ne se fait pas attendre, qui que l’on soit.
À 7 h 30, avec six autres personnes, Flavien doit partir pour réaliser l’ascension, note-t-il entre guillemets, du sommet de l’île Campbell, à savoir le Mount Honey (569 m). Habitué à de bien plus hautes altitudes, mais comme il le note quelques jours auparavant, la moyenne d’âge des croisiéristes est élevée. Après le trajet en zodiac, huit individus débarquent au fond d’une baie perdue. Le groupe est encadré par Lindsay.
Le partage d’une passion fleurit toujours
Le lieu de l’accostage est peu profond pour le Zodiac. Le groupe des huit saute de l’embarcation pour continuer avec de l’eau jusqu’aux genoux pour rallier la côte. Mais les hôtes de l’île sont peu ou prou enclins à voir débarquer des visiteurs, car un lion de mer les intimidera. « Nous voilà partis. Au début, nous traversons des fourrés à Dracophyllum plus hauts que nous, faisant croire à une forêt », s’étonne Flavien. L’impression d’un instant s’efface à l’apparition des premiers dénivelés.

Ils retrouvent ces ligneux lors de la traversée des nombreux talwegs. Ces derniers constellent les pentes du Mount Honey. « Hier soir, j’ai croisé les doigts pour que les hauts de l’île ne soient pas couverts… Pas assez fort », confie-t-il.
Dès 150 m d’altitude, la brume les entoure. Les paysages jusque-là magnifiques se remplissent d’une ambiance mystique. La sécurité est de mise. Les huit restent groupés dans ce brouillard qui occupe de plus en plus d’espace au fur et à mesure de la montée.
« A snipe », crie Lindsay. C’est une bécasse, endémique, que beaucoup d’entre nous espèrent voir, traduit l’aventurier du bout du monde. Quelques pas supplémentaires, et les premiers nids d’albatros royaux se découvrent aux yeux ébahis. « Incroyable », ponctue-t-il ! « Je n’avais pas vu, d’aussi près, des oiseaux d’une telle taille depuis les albatros d’Amsterdam en décembre 2022. » (Crédits : Flavien Saboureau)
Flavien grimpe, le regard vissé au sol, si bien que « me voilà à quatre pattes tout du long à essayer sans arrêt de rattraper le groupe compte tenu des innombrables espèces végétales qui s’offrent à moi ». Flavien trouve la renoncule tant recherchée, mais non fleurie. Il arbore une moue de désillusion. Voyant sa déception, tous se plient en quatre pour trouver cette espèce. « Arrivés dans une zone où toutes les renoncules étaient fleuries, je ne cesse d’entendre mon prénom, ici et là, résonner. Tous sont heureux de l’avoir trouvé », s’émeut-il devant tant de gentillesse.
Dites-le avec des fleurs
Le brouillard est si intense et dense que la visibilité se réduit comme peau de chagrin. « N’ayant pas grand-chose d’autre à voir, compte tenu du brouillard, tout le monde se met à chercher des plantes. » Espèces auxquelles aucun de porte attention habituellement. Comme un gosse dans un magasin de bonbons, avec autant d’espèces trouvées, dont une foule de mégaherbes, « je suis heureux de les voir se pencher sur les plantes, mission de partage réussie ! »
Le guide — en outre très sympa — est content de cette émulsion autour des plantes, compte tenu du brouillard qui bloque la visibilité à 10 m, si ce n’est moins, ajuste Flavien. Arrivés au sommet, ils accélèrent le pas. « L’humidité, le vent, nous offrent un ressenti glacial. Nos barbes, pour ceux qui en ont comme nos sourcils, plient sous les gouttes attachées. » La température aux pieds du mont affiche 8 °C sous abri. Tandis qu’à cette altitude « on doit facilement diviser la température de moitié ».
Voici l’explication d’une végétation aussi rase ici. « Je retrouve les fellfields déjà vues sur les sommets des autres îles subantarctiques visitées. » Nous redescendons de l’autre côté, côté nord. Une pause pique-nique sous un rocher, avant de poursuivre. « Encore une fois, nous ne traînons pas. » La couche de nuage traversée, ils apprécient une vue imprenable sur Persévérance Harbour et le bateau d’apparence minuscule dans la baie. (Crédits : Flavien Saboureau)

Ayant déjà vu Cardamine subcarnosa et Abrotanella rosulata dans la montée, la descente m’offre la première Gentianella antarctica, se réjouit-il. « Je crois avoir vu les trois espèces strictement endémiques de l’île. Si je n’ai pas été chanceux avec la météo, je l’ai été ailleurs. » Il est tout juste 13 h 30 à la montre de Flavien. « Cela fait six heures que nous marchons », compte-t-il. C’est à ce moment qu’il est proposé de faire la rando du Col Lyall, de l’autre côté de la baie. « Arrivés au pied du Mount Honey, le zodiac vient nous chercher pour nous emmener de l’autre côté. »
On ne badine pas avec les règles
Libres de déambuler, mais ils croisent sans cesse d’autres personnes. Ce n’est pas le même style de rando, pense Flavien à voix haute. Il emprunte un platelage de bois durant plusieurs kilomètres jusqu’à une zone où nichent de nouveaux albatros royaux. « Les nuages ne sont pas de la partie à cette altitude plus modeste de 250 m. Les paysages sont incroyables, comme imaginés », raconte le baroudeur, tandis qu’il continue jusqu’à l’extrémité du sentier où sont censés fleurir des hectares de mégaherbes.

Toujours suivre ces intuitions, confie le sage. Ce n’est pas une année favorable à la floraison des mégaherbes. Un guide luis indique n’avoir jamais vu aussi peu de floraisons chez ces plantes. « Quelle déception », appuie-t-il. Frustré, Flavien cherche les quelques pieds fleuris pour essayer d’en sortir quelque chose en photos. « Je sors du chemin sur 10 m. Mauvaise idée ! »
La représentante de l’Etat (DOC) le voit. Un avis de tempête est annoncé. « Elle me passe une soufflante. Qu’est-ce que c’est chiant, ces règles ! Je suis à l’autre bout du monde, dans l’une des îles les plus inaccessibles, et je n’ai pas le droit de dévier du platelage, alors que l’on a fait du hors-piste toute la matinée. » Mais tout n’est pas perdu, il a réussi sa photo. Flavien file vers l’ancienne station météo pour prendre le zodiac… qui, après dix heures de marche et plus de 1000 photos le ramène au bateau. (Crédits : Flavien Saboureau)
Une journée qui se termine sur une apothéose. « L’occasion de voir la Sarcelle de Campbell, un canard qui a perdu la capacité de vol, le pied ! » Flavien est exténué, quand, il monte à bord de l’Heritage Adventurer. Le cerveau en surchauffe par la masse d’informations intégrées aujourd’hui. « Avant le repas, et après avoir bio-sécurisé nos vêtements pour demain, nous longerons la pointe nord de l’île pour contempler l’unique, mais énorme, colonie d’albatros de Campbell. » Les falaises impressionnantes laissent admirer les nombreux dykes et colonnes basaltiques. Il est 21 h 30, quand exténué, Flavien se glisse sous la couette, les yeux gonflés par le marchand de sable. À suivre…