
Les cloportes respirent-ils vraiment par les fesses ?
La fameuse histoire du pingouin qui respire par les fesses, s’assoit et … Il y a des questions qui font sourire mais qui ouvrent pourtant de vraies portes sur le vivant. Celle-ci en est une ! Mais derrière ce raccourci coloré se cache une réalité biologique fascinante, et un exemple parfait de la manière dont la nature transforme l’étrange en ingénieux. Ces petites créatures, qu’on surprend sous une pierre ou un tronc humide, ont l’air insignifiantes. Et pourtant, leur respiration recèle un mystère à la fois amusant et instructif.
On croit souvent que respirer est un geste universel, identique d’un être vivant à l’autre, comme une sorte de rituel biologique partagé. Il n’en est rien. À travers les océans silencieux, les forêts épaisses, les sous-bois humides et même nos jardins, des créatures inventent chaque jour des façons de capter l’oxygène qui défient notre imagination. Certaines respirent par leur peau, d’autres par un réseau de tubes internes, d’autres encore – et l’idée ferait sourire si elle n’était scientifiquement établie – par les fesses, ou presque.
Le cloporte, un crustacé… terrestre
Premier rappel : le cloporte n’est pas un insecte. C’est un crustacé. Un cousin des crabes et des crevettes, qui pour une raison de brouille familiale… a quitté l’eau pour coloniser la terre ferme. Une prouesse à plus d’un titre !

À première vue, le cloporte paraît banal, presque trivial, comme ces petites présences minuscules qui peuplent nos jardins. Pourtant, sous sa carapace se cache l’une des formes de respiration les plus déroutantes du règne animal.
Car cet humble crustacé terrestre respire grâce à des pseudo-poumons situés… près de l’arrière du corps, sur son abdomen. D’où la confusion triviale.
Un mécanisme si discret qu’il est soigneusement dissimulé. Le vestige de son passé aquatique.
Ses poumons en plaques, ou pleopodes branchiaux modifiés, nécessitent une humidité constante.
(Crédits : Chris F/Pexels)
Ils affichent une lutte ancienne entre la mer qui l’a vu naître et la terre qui l’a adopté. Le cloporte marche sur le sol comme une créature amphibie qui n’aurait jamais totalement choisi son camp, avec un exosquelette. C’est un compromis, une respiration fragile, presque mélancolique. Comme si un jour il souhaitait retourner sous l’eau.
La respiration insolite n’est pas l’apanage des cloportes
Dans le règne animal, les stratégies respiratoires surprenantes abondent. Certaines salamandres et grenouilles aquatiques respirent presque exclusivement par la peau, absorbant l’oxygène grâce à leur surface humide. Le poisson pulmoné (Lepidosiren paradoxa) combine poumons et branchies, survivant ainsi des mois hors de l’eau pendant les sécheresses tropicales.
Chez les tortues aquatiques, c’est via la cloaca qu’une partie de l’oxygène est absorbée, un mécanisme qui leur permet de rester longtemps immergées. L’araignée aquatique, Argyroneta aquatica crée des bulles d’air sous l’eau pour respirer plusieurs heures, tandis que certains insectes aquatiques emprisonnent de l’air sous leurs élytres pour prolonger leur plongée.
Chez la grenouille, l’air circule de trois façons. Via les poumons, la cavité buccale, et par la peau. Cette dernière, richement vascularisée, transforme le corps entier en surface d’échange. Sous l’eau, c’est elle qui maintient la vie. Sur terre, elle complète ce que les poumons n’assurent pas pleinement.
Avoir des grenouilles dans une mare est donc synonyme d’eau de qualité, car, la moindre altération devient une menace. Leur souffle dépend donc de la pureté du monde.
Le rat-taupe nu quant à lui, fouisseur et quasi aveugle, a une respiration adaptée à la faible oxygénation de ses tunnels. Les poissons cavernicoles et certaines chauves-souris vivant dans des grottes tolèrent des niveaux d’oxygène extrêmement bas, compensant par des adaptations métaboliques et sensorielles.
Et les fourmis ?
Difficile d’imaginer que les plus nombreux habitants sur Terre respirent sans poumons. Et pourtant… Fourmis, drosophiles, libellules, blattes… Ils usent d’un réseau de tubes internes appelés trachées.
Ces conduits s’ouvrant sur l’extérieur par de minuscules orifices nommés stigmates, acheminent l’air directement jusqu’aux cellules. Aucun sang, aucun poumon, aucune cage thoracique à soulever : seulement une architecture d’une efficacité redoutable.
(Crédits : Ruben Boekeloo/Pexels)

Le cloporte n’est pas seul dans ce cas. Dans la nature, la respiration prend des formes très variées : Les concombres de mer absorbent l’oxygène par… leur anus. Certaines tortues peuvent, en hibernation, capter l’oxygène dissous dans l’eau grâce à leur cloaque. Moralité : ce que nous trouvons « bizarre » est simplement une autre solution évolutive au même problème.
Ce que ces adaptations nous enseignent
L’oxygène, pour quasiment toute espèce sur terre est vital, enfin presque tous… Henneguya salminicola, un cnidaire microscopique (proche des méduses et coraux), identifié en 2020 comme le premier animal métazoaire connu ne possédant absolument aucun gène lié à la respiration aérobie. Autrement dit, il n’a pas besoin d’oxygène.

Le ver de terre avance sans bruit, transforme la terre, l’aère et la fertilise… tout ceci sans poumons. Il respire par sa peau. Comme le cloporte, cela exige une humidité permanente. Alors quand la pluie nous mouille, pour lui chaque goutte d’eau est un souffle, chaque brume une promesse de survie.
Les dipneustes, des poissons possèdent des poumons. Leur existence conte l’histoire de l’évolution qui mena l’ancien monde aquatique vers la terre ferme.
D’autres poissons, comme les gouramis ou les poissons grimpants, ont développé des organes labyrinthiques leur permettant d’absorber l’air atmosphérique directement. Dans les zones pauvres en oxygène, ils deviennent des funambules respiratoires, à la frontière des deux mondes.
Et l’humain dans tout ça ?
L’humanité n’a pas fait mieux que de s’adapter. Sur une moyenne de 12 à 15 cycles respiratoires chaque minute, nous respirons naturellement sur terre.
Les Bajau, nomades de la mer d’Asie du Sud-Est, ont une capacité exceptionnelle. Car, depuis plus de mille ans, ces chasseurs-cueilleurs marins dépendent de la nourriture qu’ils collectent lorsqu’ils plongent en grande profondeur.
Ils ont développé une rate qui est devenue exceptionnellement dilatée. Elle optimise l’apnée. Des suites de l’évolution, certains membres restent près de 13 minutes à 60 mètres de profondeur, explique National Geographic.
Les populations andines ou himalayennes vivent à des altitudes où le simple acte d’inspirer devient un exploit quotidien.
Nous ne respirons pas autrement, mais nous apprenons à négocier avec le manque. L’évolution, là encore, avance par stratégies. (Crédits : Elianne Dipp/Pexels)
À travers ces mécanismes, la nature dévoile une leçon fondamentale : il n’existe pas de manière « normale » de respirer. Il n’y a que des solutions, toutes ingénieuses. Le cloporte même en respirant « par les fesses », il contribue à la santé des écosystèmes. Alors, la prochaine fois que vous croiserez un cloporte, rappelez-vous : ce petit animal nous enseigne que la vie trouve toujours un chemin, parfois dans l’inattendu, souvent dans l’invisible.
