Société

La vie face aux mensonges des puissants

Le scandale du Mediator connaît son épilogue ce lundi 29 mars 2021, après 10 ans de procédures judiciaires. Une décennie pour que le tribunal correctionnel de Paris inflige une amende de 2,7 millions d’euros au laboratoire Servier. Ce dernier est reconnu coupable de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires ». Les tribunaux ont-ils rencontré ce genre d’affaires auparavant ? Comment accorder à nouveau sa confiance lorsque le mensonge est avéré ?

« Malgré la connaissance qu’ils avaient des risques encourus depuis de très nombreuses années […] ils n’ont jamais pris les mesures qui s’imposaient et ainsi trompé les consommateurs du Mediator », a déclaré la présidente de la 31e chambre correctionnelle, Sylvie Daunis, au début de la lecture du délibéré. Condamné à payer 2,7 millions d’euros d’amende, le groupe pharmaceutique a été relaxé du délit d’« escroquerie ». Jean-Philippe Seta, l’ex-numéro 2 du groupe pharmaceutique et ancien bras droit du tout-puissant Jacques Servier, décédé en 2014, a quant à lui été condamné à quatre ans d’emprisonnement avec sursis et 90 000 euros d’amende. Cet ancien salarié du cabinet incriminé est pneumologue, tout comme la lanceuse d’alerte, Irène Frachon. Le groupe pharmaceutique, relaxé des faits d’escroquerie, a « fragilisé la confiance dans le système de santé », appui la présidente du tribunal.

La pneumologue Irène Frachon au palais de justice de Paris quelques instants avant l’annonce du jugement de l’affaire du « Mediator ». (Crédits : Thomas Coex/AFP)

Dans ses réquisitions, la procureure Aude Le Guilcher a appelé à « restaurer la confiance trahie » en sanctionnant le « choix cynique » et le « sinistre pari » d’une firme ayant privilégié « ses intérêts financiers » à la santé des consommateurs du médicament, malgré « les risques qu’elle ne pouvait ignorer ». Le parquet avait requis à son encontre cinq ans, dont trois ferme et 200 000 euros d’amende. Plus dramatique et grave, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), qui a « gravement failli dans sa mission de police sanitaire » a été condamnée à 300 000 euros d’amende. Le parquet avait requis une amende de 200 000 euros. Comme suite aux réquisitoires de la procureure Aude le Guilcher, nous sommes amenés à nous questionner sur comment « restaurer la confiance trahie ». Car, quel que soit l’être, lorsque ce dernier reçoit un coup de bâton d’une personne en qui elle avait toute confiance, ayant entendu au préalable « Jamais je ne donnerais de coup de bâton ! » Comment réagiriez-vous ?

Le scandale du tabac aux États-Unis

De plus, en plus de citoyens accuse l’Industrie de cacher la vérité, et l’Industrie s’en défend, alors comment la connaître ? Simplement, par le biais scientifique. « La science devenue arbitre, voici ce qui fait d’elle une cible, une activité à influencer, à corrompre ou à miner », pose le documentaire « la fabrique de l’ignorance » réalisé en 2020 par Franck Cuveillier et Pascal Vasselin, et, disponible sur ARTE. Le scandale du tabac n’explose outre-Atlantique qu’en 1994. L’un des personnages à l’initiative de la plainte collective est Howard Engle (1919-2009). Ce médecin pédiatrique spécialisé en neurologie se sert de ses propres expériences pour alerter sa patientèle sur les risques du tabagisme. Il avait commencé à fumer, plusieurs paquets par jour, depuis l’université. Malgré la survenue d’un emphysème pulmonaire, il ne put s’arrêter de fumer, et en mourut, sans connaître le jugement final. L’ordonnance initiale découlait d’un jugement civil de 1600 pages sur le racket rendu par la juge Gladys Kessler, qui reprochait à l’industrie du tabac d’avoir menti sur ses produits et de les avoir présentés sous un faux jour dès les années 1950.

Les marchands de doute s’appuient sur les fondements de la science pour la discréditer. C’est une stratégie terriblement maligne et efficace car elle s’appuie sur les fondements de la science, le scepticisme et le doute, pour discréditer la science elle-même. »

Naomi Oreskes, historienne des sciences américaine

Plus de 8 millions de morts du tabac chaque année

Dans le New York Times, Spana Maheswari explique « pourquoi les fabricants de tabac paient pour vous dire que fumer tue ». Le dimanche 26 novembre 2017, les grandes sociétés de tabac des États-Unis avaient commencé à diffuser des messages publicitaires aux heures de grandes écoutes et des pleines pages dans les journaux nationaux. « Plus de gens meurent chaque année à cause du tabac que de meurtres, de sida, de suicides, de drogues, d’accidents de voiture et d’alcool, réunis », explique une publicité. En effet, selon l’OMS, le tabac fait plus de 8 millions de morts chaque année, équivalent à la population de la ville de Busan, en Corée du Sud. Plus de 7 millions d’entre eux sont des consommateurs ou d’anciens consommateurs, et environ 1,2 million des non-fumeurs involontairement exposés à la fumée relate l’Organisation mondiale de la Santé. Ainsi, le jury a également déclaré les défendeurs responsables à l’égard du groupe pour des dommages-intérêts punitifs forfaitaires d’un montant de 145 milliards de dollars, en plus du libre accès à l’ensemble des documents secrets des fabricants de tabac.

Le scandale du Glyphosate de Monsanto

Paul François, agriculteur du pays charentais, inhale accidentellement des vapeurs d’un herbicide de la firme Monsanto commercialisé sous le nom de Lasso, le 27 avril 2004. L’accident est survenu en vérifiant une cuve restée au soleil, alors qu’il pratique un épandage classique avec son tracteur sur ses cultures. L’herbicide n’est interdit en France que depuis novembre 2007, alors qu’il avait été banni du Canada dès 1985, puis en Belgique et au Royaume-Uni en 1992. Il faudra attendre le 21 octobre 2020, pour que la firme Monsanto, rachetée par l’Allemand Bayer en juin 2018 pour 63 milliards d’euros, soit définitivement reconnue coupable.

Paul François, agriculteur charentais, gagne un combat de seize années face à Monsanto, reconnu définitivement coupable le 21 octobre 2020
des dommages causés, le 27 avril 2004. (Crédits : Philippe Juste/MaxPPP)

Un autre homme, outre-Atlantique, fait vaciller le colosse de l’industrie agrochimique Bayer-Monsanto, Edwin Hardeman. L’homme avait utilisé à des fins personnelles le « Roundup » dans son jardin pendant près de trois décennies. Le 27 mars 2019, un tribunal fédéral américain de San Francisco condamnait la firme à verserr 80, 8 millions de dollars, soit 71, 8 millions d’euros à Edwin Hardeman atteint par un lymphome non hodgkidien. Comme le scandale du tabac, après celui du Watergate dans les années 1970, c’est le « Monsanto Papers » qui rend compte de la manipulation de l’Industrie. Cela montre comment la puissante firme faisait paraître des articles montés et écrits par ses employés et signés par des scientifiques de renoms, contre rémunération. « Considérée comme une forme grave de fraude scientifique, cette pratique consiste, pour une entreprise, à agir en “auteur fantôme” : alors que ses propres employés rédigent textes et études, ce sont des scientifiques sans lien de subordination avec elle qui les endossent en les signant, apportant ainsi le prestige de leur réputation à la publication. Ces derniers sont bien entendu rémunérés pour ce précieux service de ‘blanchiment’ des messages de l’industrie. Dans le plus grand secret, Monsanto a eu recours à ces stratégies », souligne Le Monde.

Edwin Hardeman est l’un des hommes reconnu victime des agissements et mensonges de la firme Monsanto. (Crédits : capture d’image CGA)

L’Agnotologie

L’instrumentalisation de la science à des fins pécuniaires et sans remords aucun de la part des grandes firmes donne naissance à une nouvelle discipline, l’agnotologie. Littéralement, science de la production d’ignorance, du doute ou de la désinformation. Elle met au jour les pratiques et les mécanismes cachés qui contribuent à retarder, parfois de plusieurs décennies (les poursuites judiciaires s’arrêtent au décès du plaignant en France) des décisions vitales, mais aussi le trucage des protocoles, voire la fabrication ad hoc de rats transgéniques pour garantir les résultats souhaités.

Naomi Oreskes est historienne des sciences à l’université d’Harvard, elle est l’une des pionnières dans l’agnotologie. (Crédits : Princeton University Press)

Elle explique enfin, au plus près de la recherche, pourquoi nos sociétés dites « de l’information » s’accommodent si bien de l’inertie collective qui, dans le doute, favorise le business « as usual » et la consommation sans frein. Quelques-uns de ses représentants sont reconnus, dont l’historienne américaine des sciences Naomi Oreskes. Cette science donne la parole à des acteurs de premier plan pour un combat déterminant entre « bonne » et « mauvaise » science. Un exemple, avec les « découvreurs » des méfaits du bisphénol A, menant à son interdiction, sur l’hexagone depuis le 24 décembre 2012, mais discuté en Europe. Le produit ayant des effets observés sur la fertilité est toxique pour la reproduction humaine.

Le candidat Jair Bolsonaro affiche fièrement son mensonge en direct à la télévision, sans remords. (Crédits : capture d’écran)

Quand on voit également que le président brésilien, Jair Bolsonaro, ancien capitaine de l’armée, catholique converti à l’évangélisme, avec des prises de positions radicales, racistes, homophobes, misogynes et emplies d’une nostalgie de la dictature. D’ailleurs pour Bolsonaro, il n’y a pas eu de coup d’État en 1964, c’était une « révolution démocratique ». Il s’est servi du « guide du zizi sexuel », pour discréditer le ministère de l’Éducation, Fernando Haddad, à des fins présidentielles. D’autant que ce dernier affirmait, dans une interview d’août 2018, qu’il était un « kit gay » distribué dans les écoles au Brésil. En réalité ledit kit, était un ensemble de vidéos et de documents devant être distribué en 2011 dans le cadre du projet « École sans homophobie », pour lutter contre l’intolérance envers la communauté LGBT. Alors que le best-seller de 2001 de ZEP et d’Hélène Bruller, ne l’a jamais été.

Le guide du zizi sexuel Nouvelle Édition est sortie en le 14 octobre 2020, 19 ans après la première mouture (Crédits : ZEP)

Sans être complotiste, le cumul des scandales de toutes sortes, « Tabac », « l’ARC », « Sang contaminé », « Diamants de sang »… comme les mensonges de l’ancien ministre Cahuzac devant ses paires, ou celui du président américain Bill Clinton en 1998, le président Georges W Bush affirmait selon un rapport le 7 octobre 2002 que l’Irak de Saddam Hussein « possède et produit des armes biologiques » tout en « poursuivant un programme d’armes nucléaires ».… entache la confiance envers les femmes et les hommes politiques. Ajoutez à la défiance des Politiques, une proposition de loi renforçant le pouvoir des forces de l’ordre et de la répression, des caméras intelligentes, la reconnaissance faciale, un transfert de compétences régaliennes vers le domaine privé et saupoudrez le tout d’une pandémie d’un virus tel le Covid-19, et vous obtenez des idées de scénario pour des séries à succès.

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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