jeudi, mars 21, 2024
Insolite

Il y a cent ans… divergence entre organisateur et police

Le traditionnel mouvement effectué lors du 1er mai faisait déjà les gros titres le 2 mai 1922. L’Humanité titrait « Les incidents du premier mai et les mensonges de la presse bourgeoise ». À cette époque mouvementée de l’histoire de France, n’existaient pas les réseaux sociaux ni les outillages informatiques, pourtant le contrôle de l’information semblait être la clé de voûte d’un système qui entonnait le chant du cygne de la IIIe république sous Alexandre Millerand.

Qui croire quand le politique s’oppose au 4e pouvoir qu’est la presse ? Retour sur la journée du 1er mai 1922. L’Ouest-Éclair indiquait qu’« à 17 h 30 les manifestants, biens qu’encadrés par des gardiens de la paix, se sont emparés des grilles d’arbres et après les avoir brisées, se sont servis des morceaux de fonte comme projectile qu’ils ont lancé sur les agents. Ces derniers ont alors chargé les manifestants. Rue des Écluses-Saint-Martin, Marcel Cachin, député communiste a été vivement pris à parti par un rédacteur du journal du matin et frappé au visage. » En Angleterre et en Espagne aucun incident. L’Action Française relate que « vers 5 heures 30, au même endroit, un groupe de manifestants a voulu arracher les grilles des arbres pour les briser et en jeter les morceaux sur les agents. Ceux-ci se sont précipités pour disperser les anarchistes. Marcel Cachin et André Berthon, les deux députés communistes se sont alors interposés pour accuser les agents de provocation. » Le parlementaire Cachin prenait un vigoureux coup de poing dans l’œil de la part d’un civil.

Les manifestations du 1er mai ne datent pas d’hier. Les heurts entre force de l’ordre et participants sont déjà relatés en 1922. (Crédits : Jean-Philippe Fourier/Pixabay)

Dans le quotidien Le Journal, un autre son de cloche. « Une de ces bagarres éclata rue des Écluses-Saint-Martin. Des agents furent blessés à coup de pierre et de morceaux de grilles d’arbres. Dans un groupe MM. Marcel Cachin et André Berthon, députés communistes, Daniel Renoult et quelques révolutionnaires accusaient les agents d’avoir commencé. Un de nos confrères, M. de Bœver, mutilé de la guerre, médaille militaire et croix de guerre, déclara que c’étaient les manifestants qui avaient attaqué les gardiens de la paix »

Toute déclaration de manifestation, selon les lois en vigueur, doit être déposée en préfecture. En cas de non-dépôt ou de refus d’autorisation, la loi indique que ce rassemblement est interdit, et qu’une réponse appropriée à la discrétion des autorités est mise en place. (Crédits : fsHH/Pixabay)

Le député s’exclamait que « ce sont des agents provocateurs en désignant un groupe de journalistes »

« Voici mon coupe-file, répliqua M De Boever, et je ne vous permets pas de parle de provocateurs. Voulez-vous rétracter vos paroles ? »

Le silence fut la seule réponse.

« Eh bien ! Je vous méprise, reprit le confrère, et tout député que vous êtes … »

L’élu esquissa un geste selon le rédacteur du quotidien Le Journal, mais de Bœver le gifla à deux reprises, en ajoutant : « Maintenant, voici ma carte, je suis à votre disposition… »

Le mobilier urbain peut être employé à diverses choses, au même degré que le couteau peut vous aider à découper votre repas, comme d’agresser ou de tuer. Vous ne pouvez pas empêcher, ni tout prévoir, ni tout protéger. (Crédits : 30bis Studio/E.Belondrade)

Pourtant, un autre quotidien proposait une version différente. L’Écho de Paris racontait que le député Cachin traita M de Boever « d’agent provocateur ». L’homme élu de la IIIe République leva le poing sur son adversaire, mais le coup porta sur un gardien de la paix. L’agent le lui rendit largement. Ce fut le signal pour débuter la bagarre. « Vous êtes un être méprisable », jeta de Bœver. La phrase juste close deux gifles retentissantes volèrent sur les joues du député. « Si demain, je n’ai pas de nouvelles, ajouta de Bœver, j’irai vous gifler à la chambre. » C’est durant cette altercation que la foule excitée commença par arracher les grilles des arbres et à lancer des morceaux de fontes à la tête des agents et des gardes municipaux.

Attention à vos gestes. Si la gifle légère peut être poursuivie comme une voie de fait, la gifle appuyée relève des coups et blessures volontaires (Article R 624-1 du Code pénal). Vous pouvez être relaxé comme condamné à amende et dommages et intérêts, mais aussi peine de prison avec sursis ou ferme. (Crédits : Nika Suchá/Pixabay)

L’Humanité n’était pas de cet avis. « Les agents excités, ivres de colère, ont frappé à coups de matraque les manifestants et les passants inoffensifs aux alentours de la Grande-aux-Belles. C’est une constatation que nul homme honnête ne peut nier. Mais comme le préfet Leullier a le front de déclarer que ses agents n’ont jamais employé de matraque, tous les journaux, grands et petits, répètent le mensonge. » Quant à l’incident de la rue des Écluses-Saint-Martin, « les élus ont constaté les brutalités des agents, ont protesté comme c’était leur devoir devant les chefs des assommeurs ». Le journal L’Humanité n’était pas tendre avec la presse. « On n’en finirait pas si on voulait relever toutes les canailleries et les ordures dont la presse prostituée est remplie à l’occasion de la manifestation. Si, du moins, les travailleurs savaient tirer la leçon de ces faits qui se répètent lors de chaque mouvement ouvrier ».

À travers ces passages d’articles issus de la Bibliothèque nationale de France, il est compréhensible que l’information soit issue du point de vue, de l’endroit où vous situez, et surtout qu’il faut croiser vos sources au minimum trois fois. Existe-t-il un changement, une continuité, une amélioration entre l’année 1922 et 2022, c’est à vous de seul de juger.

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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