Pérégrinations

Une nuit glaciale au sommet du Taranaki (38/55)

Une nuit sans nuage, mais éclairée par les cités aux alentours. Ce passage nocturne est accompagné de vents aux alentours de 20 km/h, et de rafales cinq fois plus rapides. Le tout à 2518 mètres d‘altitude. Comme attendu, la nuit fut fraîche. La température moyenne au sommet du Tarakani Maunga est de -1 °C. Alors, qu’a dû ressentir Flavien à l’aube au moment où le soleil affiche timidement ses premiers rayons ? Car, dans les premières heures de la journée, le froid peut encore s’amplifier. Un véritable bonheur à cette altitude.

Le Tarakani Maunga est plus qu‘un symbole, que ce soit pour les touristes ou les Néo-Zélandais. Flavien voulait absolument tenter cette expérience. Y passer une nuit, coûte que coûte.

Une grosse dose de motivation

Cette nuit, une dose conséquente de motivation est plus que nécessaire pour sortir à quatre heures. L’air colle la poussière sur chaque obstacle rencontré, c’est à dire partout sauf dans le sac de couchage. « Je m’encourage, m’habille véritablement chaudement, et essaie de me protéger du vent, moi et mon appareil photo » ajuste Flavien. Pas un seul nuage à l’horizon, mais une pollution visuelle malgré les 2518 mètres d’altitude.

Froid, vent, stalagmite

En contraste avec la Patagonie, où la pollution visuelle est inexistante, « ce n’est pas la plus belle observation de la Voie lactée que j’ai faite. Mais le spectacle vaut quand même le coup de se geler », admet Flavien.

À peine le temps de se tomber dans les bras de Morphée et surtout de se réchauffer qu‘il faut à nouveau sortir de la tente, enfin seulement Flavien. Dix minutes après six heures, le réveil sonne de nouveau. Les premières lueurs éclairent déjà l’Univers endormi.

Le vent présent a forci durant la nuit. L’aventurier du bout du monde pose un œil sur le paysage, l’autre sur l’évolution des rafales. Pour ne pas se faire dépasser et qu’il puisse réussir à ranger la tente.

(Crédits : Flavien Saboureau)

Au sol, l’effet conjugué du froid et du vent forme, ce qui s’apparente à de très fines et très détaillées stalagmites faites de poussières et de glace. « Je n’ai jamais vu ça ! C’est beau ! Ça craque sous le poids des pas », s’émerveille le naturaliste. Quelques nuages effleurent la ligne d’horizon. Les couleurs de l’aube projetées par le soleil réchauffent et éclairent le visage frigorifié de Flavien. Au loin, seul le mont Ruapehu dépasse majestueusement des nuages. « Le moment est encore magique, j’essaie d’en profiter un maximum, mais à 6 h 45, je dois plier la tente. »

En aparté, le Ruapehu est un des strato-volcans actifs, parmi les 1500, sur plus de 10 000. Il est couronné par un lac de cratère au sommet.

Ce lac de cratère est un tapu. Il revêt une importance culturelle et spirituelle pour les communautés autochtones, ce qui ajoute à la signification profonde de la montagne. Comme l’est le célèbre rocher australien d’Uluru.

En Nouvelle-Zélande, c‘est un site vénéré par l’iwi local dans la région. Un tapu est une interdiction à caractère religieux pesant sur une personne, un objet, un lieu ou une situation particulière. Il s’agit d’un concept de tapu qui existe dans plusieurs sociétés polynésiennes — par exemple aux Tonga, aux Samoa, à Wallis-et-Futuna et chez les Maoris de Nouvelle-Zélande. (Crédits : Flavien Saboureau)

Il réside toujours des menaces d‘éruptions et de coulées de lahar. Un lahar, mot d’origine indonésienne, est une coulée boueuse d’origine volcanique. Elle est principalement constituée d’eau, de cendres volcaniques et de téphras. L’endroit où il se rencontre donc le plus régulièrement sur les pentes des volcans gris émettant des laves andésitiques. Le risque zéro n’existant pas, des mesures de précaution, tels des systèmes d’alerte précoce sophistiqués, sont en place. L’ultime éruption majeure remonte à 1996 et le dernier lahar en mars 2007.

Tarakani, volcan, POV

De son côté Flavien lutte contre le froid qui le saisit aux doigts. Car, avec le vent omniprésent, il faut réfléchir. L‘aventurier commence par retirer les sardines du côté abrité.

« Pour ça, j’enlève les mitaines… mais mes doigts gelés me font souffrir. Le ressenti est autour de -15 °C. Je n’arrive pas à accomplir grand-chose avec. Ils sont tout blancs. C’est la première fois que j’ai aussi froid aux doigts », s’effraie Flavien. Pour être tatillon, Flavien, sans instrument de mesure, est très proche.

La formule dite du « wind chill » est Température (ressentie) = 13,12 + 0.6215 x T − 11,37 x V 0.16 + 0.3965 x T x V 0.16 (Température de l’air en °C, V la vitesse du vent en km/h). Ce qui, selon les données météorologiques, une température ressentie de -12 °C. (Crédits : Flavien Saboureau)

Flavien souffle sur ses doigts, autant que possible. « Je réussis à plier la tente à l’arrache, sans fermer la housse. Je dois faire vite, toutes mes affaires exposées au vent sont pleines de poussières, car la tente va au fond du sac… » Enfin, le sac sur le dos, l‘aventurier laisse la croupe sommitale derrière lui, relâchant la pression de l’instant. « Là-haut, le climat est souvent comparé à celui de l’Antarctique. Il affiche une moyenne annuelle de -1 °C… Je répète : -1 °C ! Pas étonnant que je ne trouve aucune plante vasculaire. »

La légende de Taranaki Mounga

La terre de Nouvelle-Zélande est un lieu haut en couleur et légende. Le volcan Taranaki Mounga ne déroge pas à la règle. Parmi Tane Mahuta, le dieu des forêts, et Tangaroa, le dieu de la mer, et Maui, le héros qui a pêché les îles de la Nouvelle-Zélande du fond de l’océan, celle de Taranaki tient une bonne place.

Il est dit que Taranaki Mounga était nommé Pukeonaki. Il se tenait près de Tūrangi, avec Ruapehu, Tongariro et Pihanga. Pukeonaki et Tongariro ont tous deux chéri Pihanga. Comme souvent, la discussion monte en tension, devient houleuse, pour se finir en bagarre.

À ce jeu, Tongariro est plus fort. Des suites de la férocité des coups échangés, Pukeonaki (Taranaki), qui porte les cicatrices de la bataille, se retire sous terre.

C‘est ainsi que le lit du fleuve Whanganui se dessine, lors de son voyage vers la mer. Quand il a fait surface, il a vu la belle chaîne de Pouākai se tenir à l’intérieur des terres et est attiré vers elle. La progéniture de Pouākai et de Taranaki est devenue les arbres, les plantes, les oiseaux, les rochers et les rivières qui coulaient de leurs pentes. (Crédits : Gaurav Kumar/Pexels)

Le 10 janvier 1770, le capitaine James Cook rebaptise Taranaki Mounga, mont Egmont. Le double nom du mont Egmont/Mount Taranaki en usage officiel depuis 1986, disparait. Désormais, la montagne ne conserve que son nom maori Taranaki Maunga.

Sommet de la francophonie en terre étrangère

« À la redescente, la glace du cratère est dure telle de la pierre. Sur les falaises les plus exposées, de longues stalactites côtoient les premières plantes vasculaires, comme un Colobanthus», commente Flavien. La descente est extrêmement poussiéreuse, accentuée par les rafales érodant les flancs du volcan. Le début est rocailleux, la suite, l’est beaucoup moins. « Je lace mes chaussures au plus haut, mais cela n’empêche pas quelques scories de rentrer dans cette descente rapide, mais harassante ».

Flavien affiche une forme à toute épreuve. Ainsi, il croise une petite dizaine de personnes, dont un français de Châteauroux les Alpes près de Briançon. « C’est là que David, avec qui j’ai partagé une partie de la Patagonie, habite, improbable… »

Flavien continue son cheminement, sans grands rebondissements. « La piste se transforme en sentier pour 4×4. J’ai connu plus agréable comme descente, mais au moins ça roule. » Un parcours qui met à l‘épreuve pieds et genoux.

Un anticyclone l’accompagne. La vue sur le volcan depuis les forêts à Libocedrus bidwilii et Cordyline indivisa est incroyable, souffle-t-il. « Je presse le pas dans le dernier kilomètre, car je ne suis pas loin de perdre la bataille face à mon envie d’aller aux toilettes… » (Crédits : Flavien Saboureau)

La flamme rouge passée, Flavien engage une course contre la montre. « Mon envie assouvie, j’achète une glace et un soda au Feijoa à la demeure du parc pour me réconforter des 1600 m de dénivelé négatif avalés ce matin. » Avant de visiter le mini musée de la maison du parc, Flavien discute avec deux compatriotes, dont un mignalien. « Incroyable, c’est le premier Poitevin que je croise dans mes voyages. » Il est temps de rentrer en ville, pour profiter d‘une délicieuse douche à l’auberge. Un couple à bord d’un SUV prend Flavien au passage.

Un duo atypique. « Navigateurs, ils se sont rencontrés en 1972, en Australie. Elle est Néo-Zélandaise, il est Québécois. Le couple vit un semestre par pays. »

Durant le trajet, les échanges en anglais paraissent naturels et compris de part et d‘autre, ce qui ravit Flavien. « Ils me déposent là où j’avais commencé mon périple vers le Ttaranaki, il y a deux jours. Que demander de plus ! »

Avant de foncer dans la salle de bain, le baroudeur effectue un crochet au supermarché pour acheter un savon et sa boîte en plastique.

« À l’auberge, je cuis mes pâtes pour terminer mon pesto Rosso et file sous douche, bien méritée ! » Après s’être lavé, c’est au tour du linge.

Un restaurant en récompense

L’après-midi est consacré à la distribution de nouvelles, jusqu’à l’achat des son billet de train de Paris à Poitiers. « Ce qui m’évite de payer une fortune au dernier moment. Le linge sec, je peux enfin enfiler un pantalon et aller me faire un resto. »

Depuis trente jours, Flavien n’a pas mis les pieds sous la table.

« Après les efforts de ces derniers jours, c’est mérité. »

Une certitude, avec l’ensemble des périples et aventures connus de Flavien, le retour à la vie civile sera comme la retraite sera à préparer en amont. Car, depuis sa première péripétie sur l’île d’Amsterdam, à l’Amérique du Sud en passant par le pays au long nuage blanc, la routine pourrait apparaître quelconque. À moins que le hasard ne fasse bien les choses…

(Crédits : Arnaud Malan/Pexels)

Il est temps de faire le plein de protéines. « Je trouve une brasserie attenante à l’auberge. Je commande une pièce de bœuf de 300 g, avec un mille-feuille de pommes de terre et des onions rings, le tout en tee-shirt », se réjouit-il. C’est le grand écart de températures. Avant de rentrer profiter d’un vrai lit, une promenade digestive sur le front de mer, avec le sommet du Taranaki en point de mire. « Je n’en reviens pas d’avoir passé la nuit là-haut… » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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