Quand la tulipe provoquait une crise financière majeure aux Pays-Bas
Elle semble inoffensive, et pourtant, la tulipe fut à l’origine de l’une des plus grandes crises financières, le 6 février 1637. Originaire des régions tempérées chaudes de l’Ancien Monde, elle colore désormais les Pays-Bas. Il existe environ 75 espèces, réparties en quatre sous-genres. Son petit nom est issu du perse dulbend (turban) qui aurait lui-même donné naissance au turc tülben, qui se traduit par plante-turban. Celle qui selon la définition, ne possède guère d’odeur, comme l’argent, a fait vaciller un pays, plongeant la Hollande dans une profonde dépression.
Si les crises financières font partie intégrante de notre histoire contemporaine, celle du 6 février 1637 fut dramatique. Entre les années 1634 et 1637, la tulipe se négocie et s’achète au prix fort. Imaginez qu’une cargaison de bulbe s’acquiert et se revend plus cher qu’un Rembrandt. La spéculation tient la dragée haute, les bourgeois rêvent de riches jardins, les usuriers et commerçants y voient une véritable aubaine.
La tulipe signe de richesse au XVIIe siècle
À la fin du XVIe siècle, le nord de l’Europe se passionne pour l’horticulture et le jardinage. Les Pays-Bas n’échappent pas à cette passion dévorante. Arrivée tout droit de Constantinople, elle fait partie de centaines d’espèces importées : jacinthe, jasmin, lilas, anémone et tulipe pour ne citer qu’elles. Mais cette belle, découverte au Xe siècle, ne cesse depuis d’attiser les plus brûlantes des passions.
Elle parait fragile, modeste, discrète et malicieuse. Elle a fait tourner de nombreuses têtes masculines. La démesure s’empare alors des souverains, botanistes, spéculateurs.
Elle qui vient du Pamir, situé à la frontière de la Chine et de l’Afghanistan résiste aux affres du temps. La discrète se fait remarquer des nomades turcs seldjoukides. Comme elle est signe de richesse et de splendeur, elle ne tarde pas à orner les massifs et les pensées des poètes.
Au sein de l’Empire ottoman, elle se prospère au cœur des jardins de Constantinople. « On peut la voir s’épanouir en baissant la tête, ce qui en fait un symbole de modestie devant Dieu et un échantillon du paradis sur Terre. »
(Crédits : Ben Scherjon/Pixabay)
Elle ne cesse de provoquer l’émerveillement et déchaîne les passions. De l’Auvergne avec l’apothicaire Pierre Belon à l’ambassadeur du Saint Empire romain Ogier Ghislain de Busbecq qui en 1554 évoque une fleur qu’il baptisa « tulipe ». Puis quelques années passent lorsqu’elle est surprise dans un jardin en Bavière, avant de littéralement exploser en Europe à Vienne, Francfort ou encore la belle Anglaise, Londres.
La bulle spéculative se forme
Adoptées et adorées par les populations les plus aisées, elles se multiplient en variétés et en nombre. Il est un temps nécessaire de 7 à 12 ans pour qu’elle puisse procréer et donner naissance à un bulbe, en capacité de pousser et fleurir. Les horticulteurs font éclore de nouvelles espèces. Ils se servent en réalité de fleurs atteintes du potyvirus, pour obtenir de nouvelles espèces.
Cette maladie contractée par les tulipes change la couleur de ces dernières. Revers de la médaille, elle complique la culture des plantes, si bien que certaines variétés sont très difficiles à obtenir.
Tout ceci se déroule lors de la guerre de quatre-vingts ans. Ce conflit nommé également la révolte des Pays-Bas est le soulèvement armé contre la monarchie espagnole. Cette dernière dure de 1568 à 1648.
Les Provinces-Unies constituent l’un des États européens les plus modernes. La création de la Compagnie des Indes orientales en 1602 assure le développement des échanges internationaux et du système financier du pays. Ce qui permet aux Provinces-Unies de se hisser au rang de première puissance économique mondiale : le XVIIe siècle marque le « siècle d’or » hollandais (Crédits : Todd MacDonald/Pixabay)
L’année 1635, ou le début de la fin. Des innovations financières voient le jour. Elles accélèrent le développement de la bulle spéculative. L’introduction des billets à effet, ou effet de commerce en est une. Il est un titre négociable qui constate, au profit du porteur, une créance de somme d’argent, et sert à son paiement. Ils déterminent les caractéristiques du bulbe (encore en terre) et donc son prix. Le marché des tulipes devient un marché à terme. Associé au crédit et son essor, il génère un effet de levier. Le résultat ne se fait pas attendre : forte hausse des prix, arrivée de nouveaux participants à ce marché.
La bulle explose
En janvier de l’année 1637, une tulipe pouvait valoir jusqu’à 15 années de salaire d’un artisan, la très convoitée Semper Augustus. Pour comprendre cette folie spéculative, une anecdote du journaliste britannique Charles Mackay. Dans son ouvrage de 1841, Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds, l’histoire dramatique d’un moussaillon.
Épuisé par sa longue traversée, il reprend des forces en mangeant un beau hareng rouge. Puis il croque dans ce qu’il croit être un vulgaire oignon. Sauf que le pauvre hère ignore que c’est en fait un bulbe de Semper Augustus.
Cette variété se négocie alors aux environs de 3 000 florins. Suffisamment pour acquérir « un carrosse neuf, deux chevaux gris et leur harnais », écrit Mackay, soit bien plus cher qu’un Rembrandt. Le courroux du marchand et de sa famille suffira à jeter le malheureux marin en prison.
Sauf que la folle spéculation aveugle les boursicoteurs. Le prix du bulbe fond, comme neige au soleil. L’effondrement du prix est vertigineux en une seule journée, quasiment sa valeur totale. La faute à un épisode de peste bubonique et à la rumeur.
(Crédits : Veronika Andrews/Pixabay)
Selon l’hypothèse la plus probable, le krach est déclenché par l’absence totale d’acheteurs. Ces deniers ne se sont pas présentés dans une taverne d’Haarlem pour la vente en raison… d’un épisode épidémique de peste bubonique. Un seul grain de sable provoque le retournement complet du marché. Comme une traînée de poudre, l’absence d’acheteurs se propage à la ville entière, et atteint l’ensemble des Provinces-Unies en quelques jours. Les bulbes de tulipes deviennent invendables, ou alors avec une décote de 95 % à 99 %. Cet épisode précède le système Law en 1716-1721, la crise de 1929 et celle des subprimes en 2008.