International

Réveillé par le fracas des vagues (épis. 18)

Deux jours avant le réveillon de la Saint-Sylvestre. Mais durant la nuit Flavien a les pensées prises à autre chose : dormir. « J’ai passé la nuit à chercher une position pour réussir à dormir dans ces sièges qui ressemblent à ceux d’un bus ». Il est tout juste 7 h, quand l’ensemble du bateau est éveillé. Un réveil tout en douceur, les vagues frappent la proue. Malgré qu’il navigue principalement dans les chéneaux, cette partie du parcours s’introduit dans l’océan Pacifique. Le roulis ne plaît pas à tous. Quelques personnes font la queue pour aller aux toilettes…

Flavien, tel le vieux loup de mer, hume son premier bol d’air sur le pont, « rafraîchissant ! » Le reste de la journée « nous la passons dans les innombrables chéneaux bordés de milliers d’îles ». L’une d’entre-elles, l’Isla Darwin, a bien entendu marqué l’aventurier. Sa description sort tout droit d’un roman policier. « Une atmosphère froide et très brumeuse, l’ambiance prend aux tripes… » Il est impossible de rester indifférent. Surtout lorsque les pensées vont aux premiers explorateurs qui ont découvert ces chéneaux du bout du monde.

Dans les fjords de la cordillère de Darwin

Plusieurs naturalistes de nombreuses nationalités observent les différents oiseaux et mammifères marins qui peuplent ces endroits désolés. Flavien n’y échappe pas : albatros à sourcils noirs, cormorans impériaux, brassemers de Patagonie, oies du kelp, pétrels géants, pétrels plongeurs, sterne antarctique, otarie australe, lions de mer. L’après-midi est plus apaisée. Avec l’entrée dans les fjords de la cordillère de Darwin et sa fameuse calotte glaciaire, de plusieurs centaines de kilomètres carrés.

La brume s’évapore, elle laisse entrevoir des sommets recouverts d’un très fin manteau blanc. « Les langues glaciaires descendent de la cordillère. On a la chance d’en observer une venant se perdre dans la mer, impressionnant ! », claque-t-il.

Comme pour sublimer l’instant, des dauphins apparaissent. « C’est les seuls de la journée. » Quelques heures plus tôt, de petits icebergs issus du vêlage d’un glacier se montrent timidement. La météo change, après la pluie, c’est une neige lourde et très humide qui tombe. « C’est l’heure de rentrer au chaud pour manger le repas du soir ». Servi à 18 h pétantes. « Je ressors sous cette météo bien locale lorsque le bateau vogue par la baie Yendegaia ». Il ravitaille une sorte de base de la police chilienne, à la frontière argentine.

(Crédits : Flavien Saboureau)


« Une heure passe quand nous naviguons sur le canal de Beagle. » Au crépuscule, les couleurs rosées enflamment Ushuaïa. L’instant magique se produit alors. « C’est à ce moment, sur le pont, que nous sommes quelques chanceux à observer la furtive sortie d’une baleine. » Sans réussir à l’identifier, mais « quel plaisir d’en revoir une presque deux ans après Amsterdam. »

L’Île de Navarino

La fameuse île dont Flavien rêve depuis des mois se dessine. « Je devrais y rester 15 jours. » De nuit, nous accostons. « Il ne semble pas y avoir de place dans les quelques auberges de Puerto Williams », assure-t-il. Les quelques Français avec qui il a sympathisé tentent de trouver des emplacements dans le camping. Ils dressent leurs tentes à 2 h du matin. « Une journée sur la mer pleine de découvertes, dans une ambiance de fin du monde, je suis bien là où je voulais être. »

À Puerto Williams, c’est comme un jour de fête en avance, ce samedi 30 décembre 2023, est consacré au farniente. Au programme, repos, resto et risotto. Il a eu raison d’en profiter.

« Levé à 6 h 10, le temps est compté. » Il faut être sur place une demi-heure avant le départ du ferry, à 8 h précises. Le soleil brille de mille feux, mais le bonnet et les gants sont de mise, ajoute Flavien. Quelques îlots recouverts de colonie de cormorans impériaux brisent la monotonie du trajet. « À peine les ancres larguées, le sentiment d’effervescence touche toutes les personnes. Ça fait un mois que ce village méridional et ses 13 habitants n’ont pas été ravitaillés. » C’est alors qu’un ballet s’engage. La citerne d’eau potable, le camion poubelle, le ravaleur de route… l’escale ne dure qu’une petite heure.

(Crédits : Flavien Saboureau)


Les deux Grenoblois et moi recherchons les carabineros. « Il faut s’inscrire sur un registre auprès des policiers pour dire que nous partons en randonnée 2 à 3 jours. En cas de problème, ils peuvent venir nous secourir. » Cécilia la gérante du camping, « El Padrino » nous met l’eau à la bouche en discutant. Une spécialité, les empanadas aux araignées de mer est concoctée par une femme de l’île. Le trio emploie 20 min à la trouver. Malgré le peu de maisons, mais c’est trop tard, il n’en reste plus, « quelle déception ». Les quelques dizaines de touristes descendus du bateau sont passés avant nous…

Deux jours de marche vers Puerto Eugenia

Bientôt 11 h, il est temps de se mettre en mouvement. Le but : rallier Puerto Eugenia au nord-est de l’île, à deux bonnes journées de marche. « Cet itinéraire n’est pour ainsi dire jamais réalisé, nous sommes les premiers de la saison à s’y tenter », parait-il. Unique certitude, ils sont les seuls à être descendus du bateau, sans y remonter. « Notre azimut, le lac Navarino, à 13 km à vol d’oiseau. » Pas de sentier pour s’y rendre, nous évitons les forêts en nous aidant des cartes satellites et des traces de ceux qui s’y sont déjà essayés par le passé, souligne Flavien.

À peine la randonnée débutée, nous tombons sur Donatia fascicularis. « La plante d’intérêt qu’il manquait à mon tableau de chasse. » Flavien est heureux comme jamais. Ses deux acolytes commencent à comprendre ma passion… ils se disent que la journée va être longue.

Finalement, peu de découvertes, la marche ne souffre d’aucun retard. Le trio alterne entre bosquets et tourbières sous un vent à décorner les bœufs. « Les paysages, la végétation et les conditions me rappellent les Malouines. » Après avoir croisé de nombreux barrages de castors, et leurs bâtisseurs, ils arrivent sur les bords du lac vers 18 h 15. La recherche d’un emplacement sec, plat et protégé du vent, est loin d’être simple, mais pas impossible. Arrive ensuite la quête de l’eau. Venant des tourbières et des forêts elle est trouble.

(Crédits : Flavien Saboureau)


Les castors peuvent transmettre la leptospirose, alors l’eau est bouillie, puis s’ajoute des cachets de chlore. Il ne reste que quatre heures avant le passage à l’année 2024. « Ce repas du réveillon n’a rien d’exceptionnel si ce n’est qu’il fait encore très beau, mais très frais sur l’une des îles les plus inhospitalières du globe… » Il y a 72 h le trio ne se connaissait pas « Et voilà que l’on passe le réveillon du Nouvel An ensemble, à un endroit on ne peut plus isolé… » Rien de transcendant, mis à part que Fanny à réussi à attraper une truite cinq minutes après avoir lancé sa première cuillère. Elle devrait être au repas du petit déjeuner.

« Un peu de nostalgie ce soir là aussi. Il y a un an je quittais l’île Amsterdam et passais le réveillon, complément déboussolé, avec les compagnons d’hivernage sur le Marion Dufresne. J’aurai eu du mal à imaginer la situation dans laquelle je suis un an plus tôt. Maintenant, il faut aller dormir. J’espère que la météo de demain sera de la partie. » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

One thought on “Réveillé par le fracas des vagues (épis. 18)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *