Pérégrinations

À l’assaut du Mount Pirongia (44/55)

La nuit se passe sans encombre. Le réveil prématuré laisse sur sa faim le baroudeur. Sa tocante affiche six heures quarante-cinq quand son œil zyeute les aiguilles. Il est beaucoup trop tôt pour se lever. D’autant que sa prochaine étape est la récupération de sa voiture de location, à midi. Il va jouir d’une liberté de mouvement, de temps et de recherche. Mais la relativité est propre à chacun. Mais un détail identifie Flavien comme un Français par de multiples petites habitudes alimentaires. De nombreux repas sont constitués de pain et de fromage.

« Pour ce matin, j’avais programmé le réveil à 8 h… mais pas à 6 h 45. » Il n’est pas pressé et pour une bonne raison. Flavien récupère sa voiture de location à midi. Alors, c’est seulement aux alentours de 9 h 30 qu’il se décide à quitter l’auberge. Une légère marche pour rejoindre l’arrêt de bus. Mais la chaleur ressentie dans la chambrée l’invite à prendre une dernière douche juste avant son départ.

La liberté de mouvement recouvrée

Une voiture de location se mérite, a priori. Car, Flavien réalise un trajet jusqu’à l’aéroport de plus d’une heure en bus. Le premier volet durant trois quarts d’heure, puis à nouveau une demi-heure. « En plus, j’effectue le dernier kilomètre en marchant. » Arrivée, bon pied, bon œil, à l’agence « GreatCar », ils lui donnent pressément l’automobile sans beaucoup d’explication. N’ayant jamais conduit de véhicule hybride, l’aventurier les questionne. Comment se recharge-t-elle ? Ce à quoi ils répondent qu’une hybride n’a pas besoin d’être rechargée. « J’y comprends rien, qu’est-ce qu’elle a d’hybride alors ? »

C’est une excellente question ! Alors en aparté, qu’est-ce qu’une voiture hybride ? Elle est un véhicule qui avance sur deux souffles.

D’un côté, le moteur thermique, héritier d’un siècle d’automobile, fidèle compagnon des longues routes. Puis, de l’autre, l’électrique, discret, presque feutré, qui s’éveille dans le silence assourdissant des rues urbaines. Ensemble, ils se relayent, s’épaulent, se corrigent.

À basse vitesse, l’électricité prend la main et efface le bruit comme la fumée se dissipe au gré du vent. Puis, au fur et à mesure que la route s’étire, le moteur thermique regagne sa place. L’énergie perdue au freinage n’est plus gaspillée : elle est récupérée, stockée, réutilisée. De la même manière que la Formule 1 depuis 2009. Donc, en roulant, au freinage et lors de la décélération, la batterie se recharge. (Crédits : Rudolf-Vati/Pixabay)

Ainsi, l’hybride n’est pas une rupture brutale, mais une douce transition. L’automobile y apprend à consommer moins en écoutant davantage le rythme du monde qui l’entoure. Bref, voici ce qu’est une voiture hybride. Après avoir récupéré son bolide, Flavien s’écrit « le standing n’est pas le même qu’avec la précédente location, en même temps celle-ci ne me coûte de 40 NZD par jour au lieu de 60 ». Mais la comparaison ne s’arrête pas là. La caution n’est que de 500 dollars néo-zélandais contre 3000.

En route pour de nouvelles aventures

Peu avant midi, il se place au volant. « Me voici, en direction d’Hamilton pour faire quelques courses au New World avant de me diriger vers le Mount Pirongia. » C’est donc à 14 h 35 que Flavien opère son entrée dans cette réserve, où il fait très chaud, 28 °C, souffle-t-il. D’un pas décidé, il installe sa tente près du sommet ce soir et de redescendre demain matin.

Toujours en retard comme le Lapin d’Alice, Flavien court devant le temps. « L’ascension de 700 m sur une distance de huit kilomètres est donnée pour quatre heures. Je table sur trois au vu de mes précédentes randonnées. » Pour emmener son téléobjectif, le naturaliste décide de ne pas ajouter à son sac de réchaud, seulement deux vestes, pas de poncho, pas de batteries… « C’est la première fois que je prends aussi peu de choses », avoue Flavien.

Il attaque la montée dans la forêt luxuriante, tout en transpirant à grosses gouttes. « Je suis complètement paumé avec les espèces », s’étonne-t-il. Mais, il répond présent pour voir Dactylanthus taylorii, l’unique plante parasite de Nouvelle-Zélande. « Elle se fait rare. Elle est en danger d’extinction, mais je n’ai pas réussi à trouver de points exacts avant ma venue. » Selon les recherches, les autorités la protègent des prédateurs avec du grillage, ce qui devrait faciliter la tâche du naturaliste. (Crédits : Flavien Saboureau)

C’est une Balanophoraceae, famille mythique qu’il n’a encore jamais vue. « Durant la montée j’observe trois nouvelles familles (Alseuosmiaceae, Strarsburgiaceae et Paracryphiaceae), chose très rare dans une vie de botaniste : croiser autant de nouvelles familles en une seule journée ». Mais une déconvenue attend Flavien. Arrivé sur une crête, il constate que le reste de l’ascension se fera sur celle qu’il surveille depuis le départ. « Je ne suis pas rendu. »

Ça monte, ça descend, le tout au sein d’enchevêtrements de racines au milieu d’une trace plus qu’un sentier. « Au moins, je ne suis pas dérangé, je ne croise personne. » La météo au beau fixe, le paysage magnifique… « Ces crêtes me font penser à celles des forêts d’Araucaria en Patagonie. » Mais l’ascension paraît interminable… « C’est long…. Ce chemin ne dévoile que quinze mètres de visibilité. Je voulais de l’aventure, je suis servi », martèle le baroudeur.

« C’est l’un des sentiers les plus sauvages que j’ai emprunté dans ce pays », reconnaît-il. Vers dix-huit heures, Flavien croise un chasseur en quête de chèvres. « Savez-vous où je peux trouver des cages pour le Dactylanthus ? »

La réponse est laconique. « Il me réplique qu’il me montrera ça ce soir à la hut. » Il poursuit jusqu’au sommet à 959 m qu’il atteint à 19 h 15, soit 4 h 30 plus tard. (Crédits : Flavien Saboureau)

Après avoir rejoint la hut et le campement, « je trouve quelques cages avec le trésor à l’intérieur… malheureusement fané ». C’est surtout le moment de s’installer. « Je monte ma tente sur les emplacements aménagés. Étonnement, dans cet endroit très paumé, il y a une dizaine de coins. » Mais l’aventurier du bout du monde sera seul ce soir.

Quatre randonneurs se trouvent dans la hut. L’un d’eux est Australien. Il réalise la fameuse Te Riaroa, la traversée de la Nouvelle-Zélande en quatre mois, soit 3 000 kilomètres. Flavien, quant à lui, se restaure avec, avec…. Oui ! Du fromage et du pain, mais sur la terrasse face au coucher de soleil. « Quel moment ! »

La température se rafraîchit, si bien qu’il enfile son pull. Le naturaliste en trouve une seule, encore à peu près en fleurs. Il est satisfait de ne pas être bredouille. Le Dactylanthus taylorii, plante singulière et presque clandestine, fait exception dans le monde végétal : il est pollinisé non par les insectes ou le vent, mais par des chauves-souris, en l’occurrence la chauve-souris à queue courte de Nouvelle-Zélande. Attirées par son odeur musquée et son nectar, elles assurent ainsi la reproduction de cette espèce parasite. (Crédits : Flavien Saboureau)

« La nuit tombée, frontale en place, je suis mon objectif. » Cerise sur le pavlova, dans l’une de ces cages, un weta semble y avoir trouvé refuge, c’est une nouvelle espèce que Flavien n’avait pas encore vue. Après une toilette de chat sous sa tente, il se projette déjà au lendemain. « J’ai rendez-vous avec les chasseurs. Ils m’indiqueront de divers lieux, qui avec un peu de chances d’autres Dactylanthus en pleine floraison. »

Travaux et horaires ne font pas bon ménage

En ce cinq février 2025, après de très nombreux réveils en terre néo-zélandaise, l’horloge interne est dorénavant calée. « Ce matin, j’ai programmé mon réveil pour 7 h 30. Mais, pas moyen de déroger aux habitudes, les yeux s’ouvrent un quart d’heure avant sept heures. » Malgré ces secondes manquantes escomptées, il a passé une bonne nuit. Peu avant huit heures, Flavien a rendez-vous avec les chasseurs. Dans la discussion, ils lui expliquent leurs présences ici durant dix jours chaque année. Employés du département de conservation, ils œuvrent à l’éradication des chèvres, introduites en 1770 par un certain James Cook. Elles sont devenues envahissantes et destructrices.

Plus la descente s’amorce, plus la chaleur augmente. « Me revoilà à suer dès que je m’agrippe aux chaînes pour monter sur des escarpements. » En bas, la vision des fougères arborescentes de plus de vingt mètres de haut impressionne. « Tout autant que certains arbres, tels Dacrydium cupressinum ou Dacrycarpus dacrydioides qui montent à plus de 50 mètres », comment Flavien.

Arrivé à la voiture à 12 h 30, le baroudeur reprend la route après avoir grignoté… le pain et le fromage qu’il lui reste. « J’ai deux heures et demie de route pour rejoindre un site géothermal fermant à 16 h 30. » Finalement, de nombreux travaux sur la route produisent un changement de programme. « Je bifurque sur visite la ville de Rotorua », se ravise-t-il. Après un arrêt tactique dans un New World, pour y trouver du Wi-Fi, l’aventurier opte pour une auberge, bien moindre que tous les campings hors de prix. (Crédits : Flavien Saboureau)

Après avoir profité d’une douche tant attendue, et une lessive à la main, le gourmand file en direction de Kuirau Park. Situées à quelques pas du centre-ville, quelques formations géothermales sont observables gratuitement. Kuirau Park est l’un de ces lieux où la terre parle à voix haute. Le sol fume, l’eau bouillonne, des mares aux teintes laiteuses ou turquoise offrent un rappel discret, mais constant, que la ville repose sur une croûte terrestre instable et vivante. « L’odeur de souffre prend au nez et sent par moment jusque dans le centre-ville », décrit-il. Sur le chemin du retour, « je m’arrête à un kebab qui sert des wraps géants, et terriblement bons. » À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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