Le saviez-vous ?

Dans l’Œil du merlan frit ! Entre romantisme et expressions françaises

Lorsque vous êtes l’habituée d’un endroit, vous avez la chance de pouvoir observer les allées et venues des protagonistes de l’histoire. Ipso facto, imaginez-vous une seconde travailler dans un bar dit de nuit. Étudiante le jour, et serveuse la nuit, entre le jour et la nuit, les visages se transforment. Vous êtes le témoin malgré vous des histoires lorsque vous suspendez le temps, juste un instant. Plongeons dans une comédie romantique rythmée par des expressions éloquentes.

L’hiver annonce son arrivée, les marchés de Noël fleurissent à Nogent-le-Rotrou comme à Poitiers, sans oublier le mythique marché de Strasbourg. Quel plaisir de marcher, regarder les vitrines des commerçants, les produits de fête, le pain d’épice, le vin chaud… et pourquoi ne pas faire un tour dans une grande roue pour admirer votre ville.

L’effervescence qui règne embaume le cœur des enfants, mais pas qu’eux. Chemin faisant, notre héros du jour décide de « mettre les bouts » vers un café éphémère de la place du marché de Poitiers. Descendant les escaliers des dunes, il remonte Grand Rue. Dans les souvenirs du service militaire de Sépa, son grand-père, elle foisonnait de boutiques et de magasins. Pas moins de quatre boulangeries, et un pâtissier de renom tout en haut, proche de la place du marché, un certain Gremillon.

Les décorations de Noël sont en place, les artistes déambulent pour le plaisir des petits, les effluves de beignets, churros, pain d’épices, vin chaud… une quiétude et paix que les enfants, femmes et hommes pris au sein des conflits armés sur terre, aspirent à savourer.

(Crédits : Skitterphoto/Pixabay)

Mettre les bouts est une expression qui est tombée en désuétude. Elle date du début du XXe siècle, vers 1910. Les bouts pouvaient être remplacés par baguettes, bambous ou encore cannes. La métaphore évoque la forme des jambes en argot, alors l’expression « mettre les bouts » signifiait simplement partir en courant, comme mettre ses jambes à son cou. En Espagne, ils préfèrent « poner los pies en polvorosa ». Mais elle fait référence à la poussière soulevée par celui qui s’enfuit, comme l’histoire raconte la victoire du roi des Asturies, Alphonse III contre les sarrasins envoyés par l’émir de Cordoue au IXe siècle.

Le regard de merlan frit

Arrivant à la place du marché, où se tenaient les magnifiques halles – avant leur destruction en 1975 – il retrouve toute la bande. Arrivé le dernier, il se prêta au gage de passer commande au bar. Alors qu’il énuméra une à une les boissons choisies, il releva la tête et ne dit plus un mot lorsque la serveuse se retourna. Ce qui provoqua le fou rire de celle-ci. Le jeune homme tomba directement sous son charme, il avait trouvé son crush. Subjugué il retourna voir ses amis. Ils avaient choisi de venir dans ce troquet, connaissant les accointances de ce dernier en termes de beauté féminine.

Complètement pris au dépourvu, il retourna prétextant une précision pour lui faire la cour. Épris de maladresse et transit d’amour pour la jeune femme aux cheveux de blé, il tenta une approche avec non pas le regard de biche, mais en lui faisant les « yeux de merlan frit ». Issue du cinéma muet, les mimiques des acteurs étaient exagérées. Les yeux chavirés d’une ridicule extase supposée symboliser une transe amoureuse, cette personne était comparée à un merlan frit.

La scène ne manquait pas de dramaturgie. « Les yeux chavirés d’une ridicule extase supposée symboliser une transe amoureuse, cette personne était comparée à un merlan frit. » Il révélait à son crush un mélange de séduction et de maladresse.

(Crédits : Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel/Fonds Henrard)

Faire les yeux de merlan frit remonte au XIXe siècle. Elle aurait été utilisée pour la première fois par Loredan Larchey en 1865. Fils d’un général de division sous Napoléon III, il étudie le droit, avant d’être canonnier au 7e régiment d’artillerie. Il est lexicographe archiviste et conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal. Il est surtout connu pour son dictionnaire de l’argot. Rédacteur en chef et fondateur de La Petite Revue en 1863. L’expression tient des mimiques du visage : la bouche ouverte et, surtout, les yeux sortis des orbites et ressemblants à des billes blanches. Comme le devient un poisson grillé à la poêle.

Amoureux déçu, mais joyeux drille

Notre héros s’en allait affronter, fleur au fusil, en premier sa timidité. Puis en quête de conquête, il se dirigea vers le bar, légèrement désinhibé par son verre. Après deux trois secondes, la belle voyait clair le jeu du prétendant. Elle prit le temps de discuter et de rire.

Comme le soldat, le jeune homme s’en allait conquérir, ou tenter de le faire, le cœur de son crush. La maladresse dont il faisait preuve attendrit la belle demoiselle. Ils échangèrent, rirent, et burent quelques verres avant que le jeune retrouve ses amis avides de réponses. Il fit une moue de désolation avec un large sourire, le tout avec une mine guillerette, sous l’effet de l’alcool.

Le jeune homme devenu un « joyeux drille » avait le sourire jusqu’aux deux oreilles. Défait de sa tentative de conquête, la belle était déjà prise. Mais, elle appréciait son esprit chevaleresque et respectueux. Tant et si bien qu’ils finirent par boire des verres ensemble. Le denier fut un cocktail qui fait rêver les hommes et qu’adore les femmes pour différentes raisons : un orgasme.

(Crédits : aliceabc0/Pixabay)

Le drille était au XVIIe siècle un soldat. En argot le drille est le costume du militaire qui serait en lambeaux. Tantôt déserteur, tantôt militaire défait d’une bataille. Démunis, les drilles commettaient parfois des vols, des agressions pour subvenir à leurs besoins. Une fois qu’ils avaient les moyens de leurs ambitions, ils se retrouvaient dans les tavernes, mais joyeusement. D’où l’expression un joyeux drille, est désormais synonyme de personne joviale.

Elise Dardut

Épicurienne, je reste une jeune femme à l’aise dans son corps et dans sa tête. Je pense par moi-même, j’agis par moi-même, j’entends les conseils et n’écoute que mon intuition. « Le jour où l’homme aura la malice, la finesse et la subtilité de la femme, il sera le roi du monde… mais ce n’est pas pour demain », me chantait mon grand-père. Il m’a appris que « les seuls beaux yeux sont ceux qui vous regardent avec tendresse. » (Coco Chanel) Depuis, je m’évertue, pour qui veut bien entendre et écouter, à distiller des graines ici et là, au gré du vent. Un proverbe indien explique que « si vous enseignez à un homme, vous enseignez à une personne. Si vous enseignez à une femme, vous enseignez à toute la famille » Il est temps d’inverser les rôles et admettre l’équité, non ?

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