Société

Et après le procès Pelicot ?

Depuis plusieurs années, les affaires de violences sexuelles prennent une ampleur médiatique accrue. Parmi elles, des cas emblématiques et mondialement relayés comme le procès dit Pelicot, impliquant des viols multiples avec de nombreux individus. Mais également des dossiers jugés avec les 20 ans de réclusions criminelles à l’encontre de Jean-Philippe Desbordes, soulèvent des interrogations sociétales. L’affaire Weinstein déclenche le #MeToo, quel sera l’impact des affaires Pelicot et Desbordes ?

Ce qui émerge aujourd’hui, c’est le choix de victimes de refuser le huis clos pour revendiquer leur droit à la parole et sensibiliser l’opinion publique. C’est aussi un moyen de changer le point de vue, d’être véritablement des victimes, et non plus la cause des crimes perpétrés à leur encontre. La levée du huis clos à la demande de Gisèle, dans le procès de Dominique Pelicot et ses cinquante co-accusés, n’est pas la première fois dans l’histoire judiciaire française.

La fin du silence

L’affaire des « viols de Mazan » met en lumière l’ampleur des agressions sexuelles dans notre société. Elle met en lumière la prise de conscience, voire jusqu’à l’exagération, grâce au choix de la victime, que les débats soient publics. Désormais, les victimes, loin de se terrer dans la discrétion, décident de témoigner pour dénoncer et obtenir justice. Les affaires de Mazan, Desbordes sont malheureusement deux cas parmi les très nombreuses affaires de viols et d’agressions sexuelles, révélées ou non.

En 2023, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 114 000 personnes sont victimes de violences sexuelles. « Parmi ces victimes, près de 84 000 victimes ont subi ces violences en dehors du cadre familial ou conjugal, soit 74 % des victimes de violences sexuelles. »

D’autant que la majorité des victimes enregistrées pour violences sexuelles hors cadre familial sont des femmes, dont plus de la moitié sont mineures. C’est pourquoi, lorsqu’elles portent plainte, elles choisissent ou ne s’opposent pas à la mise en place du huis clos.

Ces affaires montrent comment le huis clos, autrefois perçu comme protecteur, peut être aujourd’hui vécu comme un frein à la reconnaissance des victimes. Claudine Cordani est la première victime de viol mineure, en 1985 à refuser le huis clos en France.
(Crédits : CQF-avocat/Pixabay)

Lorsque le juge d’instruction lui demande pourquoi elle ne veut pas de huis clos, Claudine répond : « Parce que c’est pas à moi d’avoir honte, et je voulais que tout le monde le sache. C’est pas parce que des gens pensent nous salir, ou pensent que nous avons été salies, qu’il faut que nous, nous le croyions. Et pour ne pas le croire, il faut le dire à tout le monde. Dans un viol, qui doit avoir honte ? Les violeurs, point. Les choses sont super claires, faut pas essayer de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. »

Un rejet croissant du huis clos

Les audiences à huis clos, initialement conçues pour protéger les victimes, semblent être en question. Le huis clos est prononcé « […] lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ; dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles ne s’y oppose pas. […] »

Claudine Cordani est « violée par trois hommes près du canal de l’Ourcq à Paris. Elle est ensuite séquestrée et violée à nouveau dans un appartement du nord parisien. »

Réussissant à s’enfuir, elle rencontre deux individus qui ont eu des altercations avec ses violeurs le matin même. Ils lui donnent leurs noms, elle porte plainte. « Ils m’ont donné tous les éléments pour que la police puisse retrouver mes agresseurs très rapidement et c’est ce qui a été le cas. » Ils sont pris en flagrant délit.

Lors du procès, elle est la première victime en France à lever le huis clos. Elle prend cette décision en 1985, alors qu’elle n’a que dix-sept ans. « À l’époque, ça ne se faisait pas de lever le huis clos dans les affaires de viol, le président de la cour était furieux », explique son avocat au moment du procès, Me Alain Mikowski.

Deux des accusés sont condamnés à 10 et 12 ans de prison, plus de trente ans avant #MeToo.

En décembre 1980, le viol, considéré comme un délit jusque-là, devient un crime suite à l’affaire du viol d’Anne Tonglet et d’Araceli Castellano défendues entre autres par l’avocate Gisèle Halimi.

Similairement, l’affaire Desbordes, où des faits d’agression de barbarie et de viols se sont déroulés dans le cadre familial et sportif.

« J’ai subi des viols, de la maltraitance physique et psychologique, de la privation de nourriture. On a beaucoup souffert », confie Néguineva Momeni, l’une des trois victimes, à l’ouverture du procès.

(Crédits : Pavel Danilyuk/Pexels)

Il écope de 20 années de réclusions criminelles quand son ex-compagne est, elle, reconnue coupable de complicité dans l’exécution des viols, part en prison pour cinq ans. Ils sont inscrits au fichier national des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.

Des enjeux multiples

Les affaires « Pelicot » et « Desbordes » ne sont pas de simples faits divers : elles sont le reflet d’une mutation, où la parole libérée des victimes devient un levier de transformation sociale. Pour les victimes, refuser le huis clos, c’est aussi regagner un contrôle sur leur récit. C’est aussi un moyen de transformer cette expérience de souffrance en résilience et de revendication. Les souffrances de la victime ne sont pas au cœur du procès pénal.


Le condamné est reconnu coupable des torts causés envers la société. Les victimes et leurs souffrances ne sont prises en compte que si la victime se constitue partie civile grâce au versement de dommages et intérêts. La science comme le terme de victimologie apparaît à la fin des années 1940.

C’est dans les années 1970, sous l’influence des mouvements féministes qu’une seconde tendance émerge. « […] Elle ne cherche plus à expliquer la genèse du crime, mais à traiter la souffrance des victimes. […] La victimologie participe à l’approche scientifique d’un phénomène de société : la victimisation des femmes »1, explique Anne-Blandine Caire, professeur de droit privé et de sciences criminelles et Margaux Camous, attachée temporaire d’enseignement et de recherche, doctorante en droit privé et sciences criminelles.

Il existe désormais une redéfinition du statut de la victime. Elle n’est plus uniquement vue au travers de sa relation à l’auteur. Désormais, elle se constitue en rapport à une société qui la reconnaît dans son identité et sa souffrance en qualité de victime. Un autre point de droit apparaît, le consentement. Le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, Chypre, l’Espagne, la Suède ou l’Islande, le consentement est introduit juridiquement. Des lois exigent un consentement explicite pour les actes sexuels. Depuis le 1er juillet 2018, la Suède adopte une législation sur les infractions sexuelles fondées sur le volontariat explicite, pour que les actes sexuels ne soient pas considérés comme des infractions pénales. Sans consentement franc, vous pouvez être condamné pour viol par négligence ou négligence sexuelle.(Crédits : DR)

Le refus du huis clos marque une étape décisive dans la lutte contre les violences sexuelles. En exposant leur vérité au grand jour, les victimes ne cherchent pas seulement une réparation personnelle : elles ouvrent la voie à un changement sociétal plus profond. Elles ouvrent la voie pour que la honte change de camp. Il appartient désormais aux institutions, mais aussi à chacun de nous, d’écouter avec attention et d’agir pour prévenir ces drames, sans pour autant confondre tribunal des réseaux sociaux et tribunal judiciaire.

  1. « De quelques spécificités victimologiques de l’affaire Pélicot » Publié sur Actu-juridique. ↩︎

Elise Dardut

Épicurienne, je reste une jeune femme à l’aise dans son corps et dans sa tête. Je pense par moi-même, j’agis par moi-même, j’entends les conseils et n’écoute que mon intuition. « Le jour où l’homme aura la malice, la finesse et la subtilité de la femme, il sera le roi du monde… mais ce n’est pas pour demain », me chantait mon grand-père. Il m’a appris que « les seuls beaux yeux sont ceux qui vous regardent avec tendresse. » (Coco Chanel) Depuis, je m’évertue, pour qui veut bien entendre et écouter, à distiller des graines ici et là, au gré du vent. Un proverbe indien explique que « si vous enseignez à un homme, vous enseignez à une personne. Si vous enseignez à une femme, vous enseignez à toute la famille » Il est temps d’inverser les rôles et admettre l’équité, non ?

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