« Alea jacta est »
Cette locution que j’ai ouïe, peu ou prou, dans les palabres de comptoirs est latine. Elle signifie « le sort en est jeté », ou « les dés sont jetés », que Jules César aurait prononcé le 10 janvier 49 av. J.-C. ce juste avant le passage du fleuve Rubicon. Vous souvenez-vous d’une expression exaltée d’une bouche en 2013, par une certaine Nabilla « Allô ! T’es une fille, t’as pas de shampoing ? ». D’où est issu ce fameux mot que tout un chacun indique en « décrochant » son téléphone ?
Il existe ainsi pléthores de locution de la langue française, en 2021, que nous usons sans qu’elles ne disparaissent. Par acquit de conscience, je viens vous les conter. Je viens de glisser la première, innocemment. Le terme « acquit » est dérivé du verbe « acquitter ». Depuis le début du XIXe siècle, cela désigne le fait de reconnaître un individu non coupable des charges qui pesaient contre elle. Elle est usitée depuis le XIe en d’autres circonstances. La première est lorsque nous acquittons, ou libérons, une personne d’une dette ou obligation. Dans « qui paye ses dettes s’enrichit », elle acquitte quelque chose. Ainsi, acquitter une dette, c’est la régler. Comme pour sa parole, une promesse, c’est la respecter ou la remplir. C’est pourquoi acquitter sa conscience est l’action de ce que nous croyons devoir faire, selon ce que nous dicte notre conscience. Ce faisant, on la libère du poids qui aurait pu peser dessus si on n’avait pas fait le nécessaire. Si l’expression « par acquit de conscience » est apparue au milieu du XVIe siècle, elle a été peu utilisée durant ceux des sciences (17e) et des lumières (18e), puisqu’on lui préférait la variante « à/pour l’acquit de sa conscience », aujourd’hui disparue. « J’ai résisté longtemps. J’avais déjà donné deux fois ma signature, mais pour l’acquit de ma conscience, le cœur n’y était pas comme on dit. » L’usage de cette expression sous-entend, le plus souvent, un manque de conviction totale : « Je l’ai fait par acquit de conscience, pour m’éviter d’éventuels scrupules, mais sans être vraiment convaincu que c’était indispensable. »
L’affaire de l’exécution des Rosenberg
Le 19 juin 1953, l’exécution de Julius et Ethel Rosenberg aux États-Unis, condamnés pour trahison fait couler beaucoup d’encre. Imaginez l’avocat chargé de leurs défenses, est-il « l’avocat du diable » ? Cette expression identifie celui qui défend une cause choquante ou perdue d’avance, mais aussi le moyen de faire du bruit, du buzz. Le bourdonnement provoqué est une technique marketing consistant à susciter du bouche-à-oreille autour d’un événement, d’un produit ou d’une offre commerciale et, ce faisant, des retombées dans les médias. Cela procure le plaisir de scandaliser ceux qui n’admettent pas qu’on puisse aller dans ce sens, par exemple lors d’une campagne pour l’élection présidentielle en France. Ce qui n’a rien à voir avec Buzz l’Éclair, bien entendu. Mais revenons à nos moutons.
Il y a parfois de supposés coupables (Klaus Barbie, défendu par Me Vergès) ou des causes difficilement défendables au vu de l’atrocité des crimes choquante ou l’immoralité reprochée. Et pourtant, tout le monde doit pouvoir être défendu, même ce satané diable, considéré par certains comme responsable de tant d’infâmes vilenies. Ou encore l’Affaire judiciaire française Deulin, qui s’est déroulée en 1987. Les circonstances étranges du suicide de Janine Deulin, âgée de 33 ans, valent à son époux Jean-Pierre d’être suspecté de meurtre et emprisonné. Le procès a lieu en 1990. Jean-Pierre Deulin est acquitté grâce à son avocat, Me Dupond-Moretti. L’enquête a conclu à une mort volontaire sans en connaître la raison. Cette locution du XVIIIe siècle vient de l’Église, l’advocatus diaboli était un religieux qui, au cours de l’étude préalable à la canonisation d’une personne, devait rechercher tout ce qui pouvait trahir l’influence du diable, dans son comportement. Ce rôle a été supprimé par le pape Jean-Paul II en 1983.
« Alea jacata est »
Âgée de deux millénaires, la locution émise par Jules César est toujours d’actualité. Il l’aurait prononcé 49 ans avant notre ère. Car à la tête de son armée venant de Gaule, il a franchi le Rubicon, prêt à affronter le consul Pompée qui dirigeait Rome. Ce jour — là, César prenait un double risque, celui de transgresser une loi (il est interdit à tout général de franchir ce fleuve avec ses troupes) et de perdre sa guerre contre Pompée. De la même manière qu’un postulant à un concours remet sa copie, il a dû ressentir le frisson du joueur qui lançant les dés, qui peut en seul instant, tout perdre ou tout gagner. Alea, en latin, signifiait « jeu de dés » ou « dé » et, par extension, il a désigné le sort ou le hasard. Par conséquent, une fois que les dés sont jetés, la décision prise ou l’action lancée, il n’y a plus qu’à patienter pour constater ce que le sort aura bien voulu décider. Cela stipule aussi un choix embrassé irrévocablement, quelles qu’en soient les conséquences.
« Allô ! T’es une fille, t’as pas de shampoing ? Allô ! Non, mais allô quoi ! », s’offusquait Nabilla dans une émission de « télé-réalité ». Cette formule d’accueil placée au début d’une conversation téléphonique est bien plus qu’une interjection. Officiellement, c’est en mars 1876 qu’Alexander Graham Bell fait fonctionner son téléphone. Pour marquer ce moment historique, il prononce une phrase d’une profondeur haletante : « Monsieur Watson, veuillez venir dans mon bureau, je vous prie. » Dès 1880, la mise en relation entre personnes se fait par des « hallo » venus de halloo, salutation prononcée au début des conversations dans la contrée d’origine. Cependant, il remonterait au temps des bergers normands installés en Angleterre après l’invasion de Guillaume le Conquérant au XIe siècle, bergers qui s’appelaient ou rassemblaient leurs troupeaux par des halloo (l’anglo-normand hallœr signifiait « poursuivre en criant »). Ce dernier perdit son h pour devenir « allô ». Depuis, chaque pays connaît son interjection pour commencer une conversation téléphonique.
Moi, tatillon ! Non !
Il n’est pas si difficile de le prouver. Certains aimeraient à dire que c’est « chercher une aiguille dans une botte ou meule de foin ». Autrement dire vouloir réaliser une chose extrêmement délicate. Si l’expression n’est que peu ou prou usée par les étudiants ou jeunes actifs, Madame de Sévigné l’employait déjà en 1652 (la date d’apparition de cette expression est quant à elle inconnue). Le sens semble être suffisamment limpide. Quiconque a déjà tenté de retrouver une personne dans une foule, chercher une bague sur une plage en saisit l’essence et l’origine de la locution « chercher une aiguille dans une meule de foin ». Est-ce plus facile de trouver un brin de paille dans une botte d’aiguilles ? À défaut de me piquer un nombre incalculable de fois, je m’en lave les mains de vouloir le prouver. Les transitions sont parfois capillotractées, j’en conviens, comme celle-ci.
Saviez-vous que les ablutions, qui signifient « faire sa toilette », est une expression dérivée de pratiques religieuses ? En effet le terme vient du latin ablutio issu du verbe abluere qui voulait dire « laver ». Dans de nombreuses religions, elles sont un acte rituel de purification par l’eau. Chez les musulmans, l’ablution avant la prière est obligatoire. Elle doit être faite avec de l’eau (ou de la terre propre si l’on est en voyage). Dans chaque mosquée, il doit y avoir une salle des ablutions qui isole la salle de prière du monde profane. Chez les catholiques, les ablutions se pratiquent au cours d’une messe, avant la communion, lorsque le prêtre fait verser un peu d’eau sur ses doigts pour les laver. À l’époque où les messes étaient en latin, le prêtre récitait un psaume commençant par « Lavabo inter innocentes manus meas » (je laverai mes mains parmi les innocents). Si Vincent Lagaf‘ en avait effectué un tube au temps du « Top 50 », vous avez reconnu là un mot qui vous est familier. Le terme Lavabo a ensuite été transposé aux ablutions profanes et a d’abord servi à désigner le meuble de toilette portant la cuvette et le pot à eau (broc). Il n’y a pas si longtemps que l’eau courante est arrivée dans toutes les chaumières, comme les douches. Nombreux Poitevins comme Français ont connu les douches publiques, comme l’était par exemple auparavant le bar « Au WC » à Poitiers, ou encore les établissements de bain boulevard Chasseigne. Puis, avec la modernisation, la cuvette en faïence que vous connaissez bien et dans laquelle vous faites vos ablutions.
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