Société

Immigration : la directive du 3 juillet 1974

La mémoire collective et individuelle semble disparaître. Heureusement, les livres, la BnF et l’Internet existent. Quand depuis bien longtemps, le droit du sol pèse un poids certain en fonction des élections. Quel que soit le parti politique, les promesses n’engagent que ceux qui les entendent. Jean de la Fontaine dans le Corbeau et le Renard moralise par : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. » L’immigration est comme une langue, elle est dynamique pour le pays qui l’emploie. Or, ici et là les discours s’enflamment…

Il existe en immigration contemporaine, un avant et un après 3 juillet 1974 comme l’explique André Larané sur Herodote : La « préférence nationale » depuis 1974. L’immigration répond à l’appel de l’industrie, grande demandeuse de main-d’œuvre. L’industrialisation engagée sous Napoléon III change la place de la France sur l’échiquier mondial. Il possède un rôle positif dans l’incroyable modernisation sous le Second Empire.

L’immigration en France

Le recensement de 1851 démontre que la France compte 380 000 étrangers sur son sol. Ce pour un total de 36,472 millions, elle représente donc 1,04 % de la population française. Ils sont principalement des pays voisins, Allemagne, Belgique, Suisse. Comme à chaque instant, toute personne exprime le besoin de travailler pour nourrir sa famille. Ainsi, des Belges se trouvent dans les Houillères du Nord, dès 1860. Des Italiens se positionnent à Lyon. Ils œuvrent dans l’industrie, l’artisanat et l’agriculture. Les ressortissants espagnols arrivent en France dès 1911. Comme les autres ils sont proches des frontières. Ils sont alors Basques, Catalans, Navarrais.

L’estimation des Transalpins migrants vers la France représente environ 3,5 millions d’Italiens. Affublé du sobriquet de « Rital », il s’explique par le fait qu’ils sont des Réfugiés italiens.

Pierre Milza, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et spécialiste des migrations, raconte leurs histoires, raconte son histoire dans « Voyage en Ritalie ». « […] le nombre de ceux qui ont fait souche ne dépasse guère 1 200 000 ou 1 300 000 personnes : chiffre considérable si on le compare à celui des autres nationalités, inférieur cependant à celui qui englobe les retours et l’émigration de transit. Autrement dit, le melting-pot français a, s’agissant des Italiens, exercé très fortement son pouvoir assimilateur, mais il l’a fait de manière sélective, laissant de côté des centaines de milliers de migrants temporaires, dont il n’est pas certain que tous auraient pu s’intégrer aussi facilement à la société française […] » (Voyage en Ritalie, p. 385-386). (Crédits : Jacqueline Macou/Pixabay)

La bienséance se ternie quand les vagues de la crise économique de 1929 arrivent sur les berges du continent européen, deux années plus tard. La célèbre affaire du Capitaine Dreyfus est emblématique du climat de xénophobie prégnante en France. D’autres événements viennent bousculer la population française : l’affaire Stavisky, l’assassinat du Roi de Yougoslavie, l’assassinat du Président de la République Paul Doumer

La Xénophobie en France

La xénophobie est la réaction ou le sentiment d’une personne qui manifeste son rejet des étrangers ou de ce qui provient de l’étranger. « Qui est hostile aux étrangers, aux importations étrangères », définit le dictionnaire de l’Académie française. Ce rejet et cette peur ne datent pas d’hier. Laurent Dornel, explique dans sa thèse1 que le XIXe siècle « c’est une époque où la classe ouvrière s’enracine fortement dans la communauté nationale ». La loi du 3 décembre 1849 se penche sur « la naturalisation et le séjour des étrangers en France ».

Elle dispose de l’expulsion des étrangers. « Le ministre de l’Intérieur pourra, par mesure de police, enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France de sortir immédiatement du territoire français, et le faire conduire à la frontière », relate l’article 7 de ladite loi.

Quant à l’article 8 « tout étranger qui se serait soustrait à l’exécution des mesures énoncées à l’article précédent ou de l’article 272 du Code pénal (relatif aux vagabonds), ou qui, après être sorti de France, par suite de ces mesures, y serait rentré sans la permission du Gouvernement, sera traduit devant les tribunaux et condamné à un emprisonnement d’un mois à six mois, avec application possible de l’article 463 du Code pénal. » (Crédits : communication-76/Pixabay)

La jeunesse produit des erreurs, elles sont le fruit de l’apprentissage. Le 1er février 1935, une manifestation de l’Action française contre les médecins étrangers au cri de « La France aux Français » voit apparaître un jeune étudiant nommé François Mitterrand. Fidèle « maréchaliste », il lui arrive d’écrire dans des revues pétainistes et antisémites, relate Herodote. La xénophobie est l’atout majeur lorsque des problèmes surviennent, la carte maîtresse. C’est la faute des étrangers, le bouc émissaire, la tête de Turc. Un concept de la nuit des temps, remis au goût du jour. Sauf que « à l’étranger, t’es un étranger, ça sert à rien d’être raciste », chante Orelsan.

Le droit du sol, Késako ?

C’est en 1851 que le recensement effectue le distinguo entre Français et Étrangers, mais c’est cette même année né le double droit du sol. Ce droit dont les politiques sont friands, soit pour calmer les populations, soit pour enthousiasmer les mêmes populations. C’est un dispositif qui remonte au XIXe siècle. L’article 19-3 du Code civil prévoit qu’« est français l’enfant né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né ». Ici est le double droit du sol.

De l’autre l’article 21-7 du Code civil qui prévoit que l’enfant né de parents étrangers en France « acquiert la nationalité française à sa majorité ». Oui, mais à deux conditions. La première est de passer cinq années de résidence sur le territoire national depuis ses onze ans, la seconde, en faire la demande.

Le ministre de l’Intérieur, M Gérald Darmanin en visite à Mayotte indique supprimer le droit du sol. Sauf comme explique Jules Lepoutre, professeur de droit à l’Université Côte d’Azur (Nice) : « Ici, c’est l’idée de “droit du sol” qui est trompeuse puisque, on le voit bien, la seule naissance ne suffit jamais à être français, comme c’est le cas par exemple aux États-Unis. Il y a toujours d’autres conditions, soit liées à la naissance sur le sol français d’un parent, soit liées à la résidence et à l’âge de l’enfant. » (Crédits : Céline Martin/Pixabay)

Les conséquences de la suppression du « droit du sol » impacteraient chaque individu, même les Français. « Mayotte est la première maternité de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire des petits Français. Objectivement, il faut pouvoir répondre à cette situation », relate le Président de la République, Emmanuel Macron. Oui, sauf que juridiquement, il y a toujours d’autres conditions. Elles sont « soit liées à la naissance sur le sol français d’un parent, soit liées à la résidence et à l’âge de l’enfant », martèle Jules Lepoutre dans le club des juristes. D’autant que le nombre de naturalisations diminue en France en 2022 (-15 900) quand d’autres pays croissent : Italie (+92 200), en Espagne (+37 600) et en Allemagne (+36 600).

La directive du 3 juillet 1974

C’est la fin des trente glorieuses quand Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République française. Jusqu’en 1974, la France encourageait largement la venue des travailleurs étrangers. La guerre du Kippour, le choc pétrolier de 1973, conjugués à l’augmentation du chômage, le gouvernement Chirac décide il y a un demi-siècle de suspendre l’immigration vers la France et de fermer les frontières.

La directive à travers le conseil interrompt jusqu’en automne 74 l’arrivée de nouveaux travailleurs étrangers. Le but du président élu en mai est de résorber le chômage. Comme en 1851, les employeurs sont en manque cruel de main-d’œuvre. Les milieux de la confection, du bâtiment, de l’agriculture passent au-dessus des lois.

C’est le règne du grand n’importe quoi. D’un côté, l’État encourage pécuniairement l’entrée des non-travailleurs dans le pays. À savoir, les femmes et les enfants, puis se plaint de ne pouvoir assimiler le flux d’immigration. Puis les discours des différents partis politiques promettant le plein emploi, pour la préférence nationale comme en 1974. Il suffit alors de se rendre sur le site de France Travail pour effectuer une recherche. Le nombre d’offres d’emploi est de 1 160 359 pour un chiffre de personnes au 28 décembre 2023 de 3,035 millions en catégorie A. (Crédits : k_notgeil/Pixabay)

Le chiffre explose à 5,404 millions avec les catégories B et C. Au premier trimestre 2024, 2,3 millions sont inscrits au chômage. Augmenter le pouvoir d’achat, limiter l’immigration… promesse commune. L’immigration en 2022 selon l’INSEE est de 10,3 % avec 7 millions. Seulement 35 % d’entre eux ont acquis la nationalité française. Ce qui diversifie et enrichit la France. Donc Jean de la Fontaine aurait raison : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. »


  1. Laurent Dornel, « La France hostile. Histoire de la xénophobie en France au XIXe siècle, Thèse de doctorat en histoire », Revue d’histoire du XIXe siècle [En ligne], 24 | 2002, mis en ligne le 28 juin 2005 ↩︎

Fidel Plume

Équilibriste des mots, j'aime à penser qu'il existe un trésor au pied de chaque arc-en-ciel. Un sourire éclaire la journée de la personne qui le reçoit. Elizabeth Goudge disait : « La gratitude va de pair avec l'humilité comme la santé avec l'équilibre. »

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