dimanche, mars 17, 2024
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Qu’est-ce que l’antisémitisme ?

Il est le terme entendu dans n’importe quelle émission télévisuelle ou radiophonique. Utilisé à tort et à travers par des personnes publiques et galvaudé, une mise à jour s’impose. Du fait du conflit armé qui oppose les belligérants que sont Israël et la Palestine, les envolées lyriques sont nombreuses. Ce qui est dramatique est la mort d’un être humain, quelle qu’en soit la cause. Il est nécessaire de poser les bases sur les principales religions à travers le monde. Pour ensuite différencier, les personnes qui se revendiquent de cette confession, les habitants d’un pays et les divers courants de religions.

Aujourd’hui, il existe huit religions les plus répandues : le bouddhisme, le christianisme, l’hindouisme, l’islam, le jaïnisme, le judaïsme, le shintoïsme, puis le taoïsme et confucianisme. Puis en fonction des États et contrées, la spiritualité autochtone. Remontons d’un millénaire, le 27 novembre 1095. Odon de Lagery, plus connu en tant que Urbain II lance aux chevaliers de faire le voyage jusqu’à Jérusalem pour repousser les infidèles. Car les Turcs et les Arabes étendraient leurs conquêtes sur les « Terres des chrétiens ». Urbain II, d’après Foulcher de Chartres demandait aux riches et moins riches de faire la « guerre sainte ».

En 1078, les Turcs Seldjoukides, venant des steppes asiatiques s’emparent de la ville de Jérusalem aux mains des Arabes abbassides. Ils interdisent l’accès aux chrétiens, provoquant l’ire du pape. « C’est pourquoi, je vous avertis et vous conjure, non en mon nom, mais au nom du Seigneur, vous les hérauts du Christ [les évêques et abbés du concile], d’engager par de fréquentes proclamations les Francs de tout rang, gens de pieds et chevaliers, pauvres et riches, à s’empresser de secourir les adorateurs du Christ, pendant qu’il en est encore temps, et de chasser loin des régions soumises à notre foi la race impie des dévastateurs. Cela, je le dis à ceux de vous qui sont présens (sic) ici, je vais le mander aux absents ; mais c’est le Christ qui l’ordonne. » 1

« Quelle honte ne serait-ce pas pour nous si cette race infidèle si justement méprisée, dégénérée de la dignité de l’homme, et vile esclave du démon, l’emportait sur le peuple élu du Dieu tout-puissant » exhortait Urbain II dans son appel à Clermont en 1095. (Crédits : Annette Jones/Pixabay)

L’origine et fondement des croisades

Les pèlerinages existent depuis bien longtemps. Les premiers d’envergure vers la Palestine se déroulent du IIIe au IVe siècle. Car l’édit de Constantin de 313 promulgue le christianisme comme religion de l’Empire romain. Des pèlerinages ont lieu jusqu’en 1078, date où les Turcs Seldjoukides interdisent l’accès aux chrétiens. Les croisades seront au nombre de huit de 1095 à 1921. En parlant de « race infidèle » Urbain II met en place une hiérarchisation des peuples. Comme l’explique le dictionnaire de l’Académie française, c’est l’ensemble de doctrines selon lesquelles « les variétés de l’espèce humaine appelées races, principalement distinguées les unes des autres par leur apparence physique, seraient dotées de facultés intellectuelles et morales inégales, directement liées à leur patrimoine génétique. » Mais le racisme entendu au XXe et XXIe siècle n’est pas celui des croisades. De chaque côté, le but fut de sauver la terre sainte.

Le bilan est l’agrandissement du fossé entre musulmans et chrétiens, sans oublier un ressentiment en Orient à l’égard des Occidentaux. Ce qui aurait selon Jacques Le Goff « […] l’échec des croisades fut une condition très favorable à l’unité de l’Europe ».

Elles divisent les trois religions monothéistes dont leur origine est la même et unique Jérusalem. En deux siècles, les croisades modifient durablement les rapports géopolitiques et économiques.

Il existe cependant la création des États latins d’Orient, avec un enrichissement des places commerciales européennes. « Mais elles échouent finalement à conserver la Terre sainte, accentuent la rupture entre chrétiens et musulmans et creusent un fossé entre catholiques et orthodoxes. On leur doit aussi l’apparition de la violence antisémite de masse en Europe, qui ne cessera guère au cours des siècles suivants » relate Geo.

L’évolution du Royaume d’Israël au VIIIe siècle avant notre ère. Cartes du Moyen-Orient, vers 733 avant notre ère : Israël et Juda. (Crédits : Frank E. Smitha/Jewishvirtuallibrary)

La naissance de la différence dans la religion

Dès l’instant où les religions expliquent qu’une personne, parce qu’elle n’a pas votre religion est une « race infidèle si justement méprisée, dégénérée de la dignité de l’homme, et vile esclave du démon […] » alors c’est un dénigrement nommé racisme. Les personnes de confession juive subissaient dès le premier siècle de notre ère une mise en exergue. Elle semble ne pas avoir de fin en soi. Sous l’Empire romain, le christianisme est assimilé à une « secte juive » précise André Larané sur Hérodote. Pour se détacher, les chrétiens vont alors montrer leurs différences.

Ce que de nombreuses personnes nomment antisémitisme se base sur deux périodes distinctes : de 610 jusqu’à 1492, puis de 1492 à nos jours. Mais il fait référence au judaïsme. Ce dernier remonte au deuxième millénaire avant notre ère. Le sentiment d’antijudaïsme s’exprime par le terme « déicide ». Pour faire abattre son chien, ne dit-on pas qu’il a la rage ?

L’Académie française explique qu’il était « appliqué naguère au peuple juif, tenu pour responsable de la mort de Jésus-Christ. Au deuxième concile du Vatican, l’Église catholique a rejeté l’appellation “Peuple déicide». Ce IIe concile œcuménique du Vatican se déroulait du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965.

L’évolution des groupes religieux au XXIe siècle et sa projection en 2060 (*) en pourcentage. Le christianisme et l’Islam devraient représenter près des deux tiers d’individus en 2060, avec la baisse des autres courants. (Crédits : Pew Research Centre/Statista)

Ce qui est d’autant impressionnant est que les pratiquants de la religion juive représentent 0,2 % des personnes sur Terre en 2015 selon Pew Search Centre, alors pourquoi autant d’actes d’antisémitisme contre les personnes de confession juive ?

Confession, peuple et courant

Le constat est sans appel. Les personnes de confession juive ont été malmenées à travers l’histoire, mais de nombreuses autres également. Pour ne prendre que le XXe siècle, les crimes de guerre et génocides sont légion. Le génocide est selon l’Académie française une « entreprise d’extermination systématique d’un groupe humain. » Ainsi le massacre des Hereros (1904), les Arméniens (1915), les Ukrainiens (1932), les Juifs d’Europe (1941-1945), les Tutsis (1994) ou encore le massacre de Srebenica (1995). Mais seul sera reconnu par l’ONU le terme de génocide pour les Arméniens, les Tutsis et les Juifs d’Europe.

Sauf qu’il est nécessaire d’effectuer la différence entre la religion, les habitants et les courants. Ainsi vous pouvez être Français, résider en Espagne et être de confession catholique, mais de courant orthodoxe, anglican, évangélique… Vous pouvez être Irlandais, être de confession musulmane, mais être sunnite ou chiite. Donc, vous pouvez être de confession juive, résider aux USA et être ashkénazes ou séfarades, donc soit orthodoxes et traditionalistes ou libéraux et conservateurs.

Régulièrement, et par facilité, nombreux usent de raccourci en disant « je suis juif », « je suis musulman », « je suis chrétien ». Il ne faut pas confondre sa confession et sa nationalité. Il ne faut pas confondre être israélien et être de confession juive. (Crédits : NoName_13/Pixabay)

Deux conceptions s’affrontent : être pour ou contre le sionisme. « Le sionisme constitue une rupture dans la continuité historique du judaïsme. Les intellectuels sionistes et les rabbins orthodoxes qui s’y opposent s’entendent sur le fait que le sionisme représente une négation de la tradition juive », martèle Yako M. Rabkin2. L’appel à se rassembler, à la fin du XIXe siècle en Palestine pour y former « une nation nouvelle » a rebuté la grande majorité, tant laïcs que pratiquants écrit l’auteur de « L’opposition juive au sionisme ». Pour le rabbin Isaac Breuer (1883-1946), l’un des penseurs éminents de l’orthodoxie moderne, rappelle Yakov Rabkin ce nouveau mouvement politique « est l’ennemi le plus terrible qui ait jamais existé pour le peuple juif. […] Le sionisme tue le peuple et élève ensuite son corps au trône ».

Êtes-vous antisémite ?

Réponse aisée : « Bien sûr que non ! ». Mais savez-vous ce que cela veut dire ? En décomposant le nom, celui-ci est composé de anti et de sémite. Le préfixe anti est emprunté grec anti‑, « qui est en face », et, par extension, « qui est opposé, contraire ». Donc une défense antiaérienne est celle qui s’oppose aux attaques aériennes. Selon l’Académie française, l’adjectif sémite est « dérivé de Sem, nom du fils aîné de Noé dans la Genèse, lui-même emprunté, par l’intermédiaire du latin Sem et du grec Sêm, de l’hébreu Shem. » Il représente les populations originaires du Proche et du Moyen-Orient, dont le principal caractère commun est l’usage d’une langue appartenant à la famille des langues sémitiques.

Les peuples sémites, qui regroupaient notamment dans l’Antiquité les Assyriens, les Araméens, les Cananéens, les Hébreux, les Moabites, les Phéniciens, désignent aujourd’hui les « Juifs et les Arabes ». Mais il est abusivement utilisé pour dire qu’une personne est contre un Juif, un israélite. Le terme antisémite vient renforcer les crimes et morts comme celle d’Ilan Halimi (2006), crimes de Mohamed Merah (mars 2012), morts de l’hypercasher de Vincennes (janvier 2015), meurtre de Sarah Halimi (2017), meurtre de Mireille Knoll (2018). Mais jamais utilisé lors de la mort d’une personne qui est dite « Arabe ». Alors si vous êtes antisémite, vous êtes contre les « Juifs et les Arabes », donc contre la barbarie des hommes.

Dans son rapport annuel, le « Service de sécurité de la communauté juive » (SPCJ) relève ce qu’il qualifie de phénomène « nouveau et inquiétant » : un quart des incidents se sont produits à l’intérieur ou à proximité du domicile des victimes, un tiers des actes auraient été motivés par le conflit israélo-palestinien. Tout comme durant l’opération « Les gardiens de la Muraille » du 13 avril au 21 mai 2021. (Crédits : 696 188/Pixabay)

Que penser des émeutes qui ont eu lieu en Algérie, à la libération de la France en 1945. Des slogans se mélangeaient, d’un côté « Vive la Victoire alliée », de l’autre « Vive l’Algérie indépendante ». Un ordre du sous-préfet ordonne de retirer pancartes et banderoles, mais un homme, scout de confession musulmane âgé de 22 ans, Bouzid Saâl, refuse de baisser le drapeau algérien. Des heurts éclatent, un policier tire et le jeune homme est mortellement touché. La foule est saisie de panique. C’est le début des émeutes, qui selon l’histoire officielle algérienne feront 45 000 morts. Les Occidentaux avancent un bilan de 15 à 20 000 morts, dont une centaine d’Européens. Ou bien le massacre du 17 octobre 1961 à Paris de 100 à 200 algériens. Leurs crimes avoir manifesté suite à l’appel du Front national de Libération, contre le couvre-feu discriminatoire qui leur était imposé. Tous ces morts avant les accords d’Évian le 19 mars 1962. Était-ce des crimes antisémites, au sens littéral du terme ?

Conflits et crimes de guerre

Le mal qui ronge cette partie de la Terre est aussi vieux que l’écriture. Mais les crimes perpétrés par le Hamas ne sont pas ceux des Palestiniens, les crimes de guerre sont régis par la loi et les conventions de Genève. Cela concerne les belligérants de tous conflits. Sont considérés comme crimes de Guerre : L’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques […] la déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale, la prise d’otages. Mais également le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies.

Il n’y a aucune excuse à la barbarie de l’action du Hamas, qui est une organisation terroriste. De l’autre le peuple palestinien est coincé entre quatre murs depuis 1958 par la volonté des dirigeants d’Israël. « Le problème c’est l’après » exhorte Alain Bauer. (Crédits : Europe1/CNews/YouTube)

Mais également le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu. La guerre comme les conflits armés sont décidés par les dirigeants, et à la fin ce sont les civils qui trinquent. Ce qui est certain est que la mort d’autant plus le meurtre ou l’assassinat d’une personne, quelle qu’elle soit, peu importe sa religion, ses croyances, ses origines, ses pensées est une tragédie.

  1. Foulcher de Chartres, Histoire des Croisades, édité par François Guizot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, Paris, J-L-J Brière, 1825, p. 7-9. ↩︎
  2. L’opposition juive au sionisme. Yakov M. Rabkin. Dans Revue internationale et stratégique 2004/4 (N°56), pages 17 à 23 ↩︎

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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