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Chaussures trempées et froid saisissant (épis. 21)

Les vagues de nuages lèchent les sommets. Les gouttes d’eau qui tombent ne sont pas des embruns. Le réveil sonne, il est 7 h. La première pensée de Flavien concerne la météo. Il faut se remémorer que l’aventurier a passé une journée entière (hier) sous une pluie diluvienne. Balayée par des vents, la tente a montré une faiblesse, Flavien exécute une réparation de fortune, sous la pluie et dans la nuit. Alors que le moral semble fragile, il n’en faut pas plus pour vaciller. Surtout à l’autre bout du monde, seul.

« J’espère que c’est dégagé. Je passe la tête dans l’abscisse, quel désespoir, c’est encore pire qu’hier… 8 h pareil, 9 h pareil. À 9 h 30 je me décide quand même à sortir de mon sac de couchage. Je ne vais pas passer la journée dans la tente à l’humidité ambiante qui doit s’approcher de 90 %, tant pis pour les paysages. »

Chocolat, lait concentré sucré… et ça repart

Pour anticiper cette journée qui s’annonce difficile physiquement, mais surtout mentalement, un seul truc. « Je me fais un petit déjeuner de dingue ». Attention c’est gargantuesque : 400 g de muesli, du miel, quelques fruits secs et du chocolat fondu. Désespéré dès le réveil. « Il va falloir que j’enfile mes chaussures trempées dans ce froid saisissant ». Flavien s’obstine à sécher les semelles avec son réchaud.

« Rassasié, je suis d’attaque pour replier la tente sous la pluie. » Enfin, en théorie. Tout est déjà détrempé alors il ne sert à rien d’attendre que la pluie cesse. « Sinon je ne suis pas parti avant plusieurs heures », souffle-t-il. Hier soir, pressé de se mettre au sec, il a choisi le premier spot de bivouac. Le lieu est composé d’une couche d’argile orangée. Autant dire qu’avec la quantité de pluie qui est tombée, l’ensemble de la tente et surtout le footprint sont sales. Il faudra nettoyer ça au retour.

Cela fait juste cinq petites minutes que Flavien marche. « Cinq minutes qui auront suffi à tremper mes semelles et les chaussettes sèches que j’avais enfilées. » Mais c’est à cet instant que le découragement pointe son nez. « Je tombe sur un site de bivouac à l’abri sous deux grands Nothofagus, le seum… »

Avant d’attaquer la montée du Valdivia, point culminant du trek, à tout juste 500 m plus haut, « je fais le plein d’eau ». La suite du chemin est introuvable sans le GPS. Il doit le sortir sous une pluie ininterrompue. La journée est compliquée. « J’arrive bientôt (~600 m) dans la zone minérale altoandine, à la limite des forêts ».

Flavien est exténué par cette montée, durant laquelle il réussit à s’énerver lui-même. C’est l’instant de l’introspection. « Il y a des jours où l’on se demande ce que l’on fait là… » L’aventurier se pose un instant sur un rocher. Les souvenirs s’en mêlent. « Le fess m’avait dit que les souvenirs qui restent sont ceux où on en chie. La patate lui, alors que nous étions entre potes devant une cheminée, m’avait dit de repenser à ce moment au sec quand je serais sous la flotte. Là je crois que j’y suis… » Une barre chocolatée et un tube de lait concentré et c’est reparti. (Crédits : Flavien Saboureau)

Désormais tout se passe dans le brouillard, sur des milieux dénudés. Le climat qui règne ici ne permet qu’à peu de plantes de pousser. Un véritable cauchemar, en temps de paix pour un civil. Le voici bientôt au col du Virginia, à une altitude de 850 m. Au menu de la neige qui alterne avec de la pluie verglaçante, l’ensemble saupoudre cette fin de matinée. Cerise sur le gâteau, « aucune visibilité à plus de 20 m là-haut, heureusement que les cairns sont rapprochés pour pouvoir s’orienter sans avoir à sortir la boussole ou le GPS ».

Une journée à oublier

La bonne nouvelle, il y a peu de vent pour la région précise-t-il. Ce qui rend la température ressentie supportable, malgré que la neige et la pluie verglaçante abaissent la température. « J’attaque la descente dans la dernière vallée du trek, celle qui se jette dans le Beagle que j’imagine derrière le brouillard. » Quelques énormes névés semblent suspendus dans le vide sous la croupe, dans ce qui pourrait s’apparenter à des combes à neige.

« Je passe à l’Est, où c’est déneigé depuis quelque temps. Avec cette météo, les rochers glissent à souhait. Je reste très attentif sur ces pentes au très fort pourcentage. »

C’est pour Flavien la plus dangereuse et la plus engagée des parties du trek, glisse-t-il entre les lignes. Vient ensuite la descente de 200 m de négatif dans les éboulis. « Les chevilles raides et les talons vissés dans la pente je descends en courant, quelle sensation agréable ». Les guêtres empêchent aux cailloux de rentrer dans les chaussures.

Les souvenirs, eux, sont restés accrochés durant cette journée. « Ça me fait penser à la descente du Monte Cintu, sommet de Corse, à la roche qui plus est très semblable, ou encore celle du Carlit dans les Pyrénées-Orientales. » La seule différence est l’absence d’autres humains échappe-t-il lors d’un soupir. (Crédits : Flavien Saboureau)

Arrivé au lac des Guanacos, le chemin s’aplanit et devient marqué. « Qu’est-ce que c’est agréable », marque Flavien. Moins enthousiasmant, la pluie qui lie l’épisode précédent à celui-ci. « Est-ce que c’est bien opportun de manger sous cette météo ? Je me fais des pâtes, que je renverse. Je n’ai plus qu’à recommencer, quelle galère. J’ai hâte que cette journée se finisse. »

Une douche chaude à l’horizon

Il ne doit pas relâcher ses efforts, malgré tout. « Je ne traîne pas. Il paraît que la dernière partie peut encore prendre quatre heures au lieu de deux si je ne prends pas la bonne trace. » La multitude de cairns rend illisible le chemin, Flavien garde son GPS à la main toute la matinée. Grâce auquel il réussit à éviter les impénétrables forêts dans laquelle la plupart des randonneurs s’échinent.

À 16 h pile, il retrouve enfin à la piste. « Je mange les quelques graines qu’il me reste et reprends mon chemin pour les sept kilomètres jusqu’à la ville. » Un voyage en voiture lui ferait le plus grand bien. « J’espère faire du stop, mais pas une seule voiture à l’horizon. »

Ce n’est que près d’une demi-heure plus tard qu’il aperçoit un pick-up. C’est enfin la chance qui lui sourit. « Je jette mon sac à l’arrière et c’est parti. Je pense à la douche chaude qui m’attend au camping et à laquelle je n’osais pas penser jusqu’à maintenant. »

Durant le trajet, Flavien apprend de nouvelles choses. « En passant devant la place de la Vierge, les passagers de la voiture font leur signe de croix ». Déposé en centre-ville, il lui reste une dernière formalité, aller chez les Carabineros pour les informer de son retour sain et sauf.

(Crédits : Flavien Saboureau)

« Arrivé au camping, j’étends toutes mes affaires au-dessus du poêle, et je file vers cette fameuse douche chaude et salvatrice… Il le faut plus d’une heure pour faire ma lessive. » À 19 h Cécilia a prévu une mega bouffe alors je ne me préoccupe pas du repas. Je rejoins les Angevins à 21 h au café pour prendre le dessert avec eux. « À minuit je n’ai toujours pas la foi de remonter ma tente, alors je passe la nuit sur le canapé du camping, au SEC ! »

Enfin, une journée de repos

En ce samedi 6 janvier, Flavien accroche le mot d’ordre : « Aujourd’hui repos ! » Bien que réveillé à 8 h, il prolonge jusqu’à 10 h. À midi, avec les Angevins direction l’escape game crée par Isabelle, la Française. « Mes chaussures sont très loin d’être sèches alors j’ai englouti plusieurs kilomètres avec mes huaraches… » Ils terminent très rapidement. Aux alentours de 14 h, ses acolytes prennent le bateau du retour. « Comme bêta-testeur, on lui a dit ce qui n’allait pas. » Ils connaissent désormais un peu plus la ville et son histoire.


Un martin-pêcheur à ventre roux de Patagonie (Megaceryle torquata subsp. stellata) s’est posé sur le mât d’un voilier.
Le photographe saisit son appareil pour immortaliser son portrait. (Crédits : Flavien Saboureau)

Seul, il profite de la fin d’après-midi pour trainer avec son téléobjectif sur la côte à la recherche opportuniste de « piafs ». La chance lui sourit. Un martin-pêcheur à ventre roux se pose à 3 m, sur le mât d’un voilier. « J’ai le temps de lui tirer portrait, comme pour les brassemers et autres vanneaux. » Sur le port Flavien rencontre la personne qui effectue les aller-retour entre Puerto Williams et Ushuaïa, en voilier. « Celle que j’avais tant cherchée dans la ville Argentine. » Il passe la soirée non loin du poêle à trouver la meilleure position pour que ses chaussures puissent enfin sécher. Comme il n’a pas pu finir de se reposer, il continue dimanche, car la pluie est de retour. À suivre…

Romuald Pena

Journaliste et curieux de nature, j’aime les mots et ce qu’ils chantent aux oreilles qui les entendent. « La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité », assurait Pablo Neruda. Ainsi j’apporte des faits, des faits, encore et toujours des faits, car : « Nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges. » (Le Testament d’Orphée, de Jean Cocteau)

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