Il y a cent ans… la réhabilitation attendue d’un innocent
Un grand nombre d’habitants de la commune varoise était persuadé de l’innocence de Benjamin Reynier dit « Min ». Mais pas un ne souffla mot devant le poids de la Justice qui de par ses us et coutumes impressionne tout un chacun. Les paysans parlent peu, se méfient de la maréchaussée, et ont le respect envers la justice comme le moineau l’a pour l’épouvantail. La vérité viendra huit années plus tard, quand le fossoyeur, par un testament, soulagera sa conscience. Il indiquera avoir aperçu une robe et un chapeau d’enfant dans une cabane.
Ce n’est pas le fait de les avoir remarqués, qui fera la différence, mais qu’ils aient été retrouvés, le 8 octobre, soit 19 jours après l’arrestation de Benjamin Reynier et sa mise en détention préventive. Les vêtements avaient été retrouvés par des douaniers. Détail troublant, qui plus est quand le fossoyeur affirmait avoir entrevu lesdits vêtements dans un endroit fréquenté par Joachim Guis et quelques personnalités « honorables » de la commune. Là où le bât blesse, les vêtements furent récupérés à une place où ils auraient certainement été découverts, s’ils s’y trouvaient bien avant… sur le lieu de découverte du corps de Joséphine.
Le procès à charge débuta. Le juge de paix de Beausset déclara à la barre qu’il avait ouïe au café que Reynier était coupable, le maire Paul-Louis Ramel affirma que « quelqu’un qu’il ne nomme pas désigna Reynier comme coupable au juge d’instruction ». L’identité du soi-disant témoin ne fut jamais révélé. Le secrétaire de mairie vociféra que « si j’étais un juré, je le condamnerai sans hésiter. C’est un républicain. Il a proféré des menaces contre le maire », raconte le journal Le Détective dans son no 134. L’expert ne put déterminer si la tâche relevée sur les vêtements de l’accusé était de l’argile ou bien du sang. Dans son rapport, le praticien nota que son corps était d’une propreté « extraordinaire pour un travailleur ».
Malgré la déposition de Célestin Pons, Antoine Don, Gustave Barrère, Alice André et Victorine Don certifiant avoir observé « Min » dans sa vigne alors que deux heures sonnaient au clocher à Saint-Cyr-sur-Mer. Onze témoins jurèrent l’avoir vue œuvrer de deux à six heures… Le jury de Draguignan le reconnut coupable, avec des circonstances atténuantes. Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Les journaux de l’époque rapportent les dires de Reynier lors d’une entrevue :
On m’enferma dans la cellule des condamnés à mort… Le lendemain, le président des assises m’adressa la parole à travers le guichet, « M. Reynier, vous êtes innocent, nous le savons, mais il faut avoir du courage ». J’ai fait un bond pour lui saisir la gorge à travers les barreaux.
Quelques jours après, je reçus la visite du Préfet Paul Laugier-Mathieu. « Je suis convaincu de votre innocence, me répéta-t-il. Nous ferons tout ce qui sera possible pour la prouver. »
Quelques jours après, M. Laugier-Mathieu était déplacé et muté dans le Nord. Et Reynier fut envoyé au dépôt de Saint-Martin-de-Ré. Il monta à bord de La Loire avec 599 autres forçats. La traversée dura 127 jours avant d’atteindre la Nouvelle-Calédonie, et Nou.
En 1892, après huit années de bagne, une lettre arriva au père de Benjamin : le testament du fossoyeur Mestre. Il fut publié dans le journal parisien L’Éclair en ce 17 février 1891, les patronymes des personnes ayant été effacés au préalable. L’original nommait deux habitants de la commune. Joachim Guis attenta un procès en diffamation contre Clovis Hugues et Gérard Richard, et le paternel de Benjamin Reynier, le 23 mars 1892. Les polémiques enflaient au sujet des sieurs Joachim Guis, du maire Paul-Louis Ramel et d’un certain Monge. Les journaux de Nouvelle-Calédonie réclamaient sa grâce. En 1894, sa peine passe de perpétuité à 20 ans de bagne. Deux ans s’écoulaient quand il fut déclaré libre. Émile Loubet signa la grâce présidentielle le 14 juillet 1899. « Les manifestations organisées en son honneur étaient si bruyantes, si enthousiastes que le gouverneur craignit une émeute »
À son arrivée à Marseille, 20 000 personnes l’acclamèrent. « Je suis gracié, mais cela n’efface pas le verdict infamant de la cour d’assises ». Un projet de modification de l’article 443 du Code pénal, ouvrant la voie aux procès en réhabilitation, état déposé sous la troisième république. Malgré le travail acharné de ses avocats, Me Marcel Ricard, du barreau de Marseille et de Me Arnaud de Toulon, l’homme attendu en vain. La cour d’Aix, après la plaidoirie de Me Louis Martin, sénateur du Var, le réhabilita enfin. Le ou les coupables ne furent jamais appréhendés. Tous les protagonistes présumés de l’histoire, l’évêque de Fréjus qui déplaça le curé de Saint-Cyr, le prêtre en question, Joachim Guis, Monge… tous morts et enterrés, si bien que seuls les soupçons, les ragots de café restaient, car plus un seul témoin n’était.