Habillé aux parfums de Bretagne
Le chandail de ma grand-mère m’évoque des souvenirs. « Il fait frisquet, mets un chandail », me disait-elle. Cela doit évoquer des images pour certains, quand d’autres iront voir dans un dictionnaire, ou directement, via un moteur de recherche, sur l’Internet. Mais savez-vous d’où vient ce fameux chandail ? Pourquoi le portait-on ? Et surtout quelle est son histoire ? Tout comme la marinière célébrée par Jean-Paul Gaultier.
Remontons un siècle, voire deux en arrière, pour se replonger dans « un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », chantait Charles Aznavour. En effet, filons au XIXe siècle, dans un pays cher à Gwen, un ami journaliste, la Bretagne. Les maraîchers bretons qui vendaient l’ail aux Halles de Paris portaient de gros pulls tricotés en hiver. C’est donc de ces « marchands d’ail » que nous vient l’origine du terme de chandail.
Il est un vêtement de dessus en tricot de laine généralement épais, à col roulé et manches longues, qui s’enfile par la tête et s’arrête à la taille ou aux hanches, définit le centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL). Pour saisir l’origine du mot chandail, il faut se plonger dans la langue française et ses subtilités. Ainsi une aphérèse consiste à enlever une lettre ou une syllabe au commencement d’un mot. Emprunté du latin aphaeresis, du grec aphairesis, proprement « action d’enlever » explique l’Académie Française à travers son dictionnaire.
Ainsi, l’artiste peintre, sculpteur et architecte Giotto, a subi l’aphérèse de son prénom Ambrogiotto, tout comme Lino Ventura (1919-1987) dont le prénom était Angiolino. Acteur incontournable et père d’une enfant pas comme les autres, il est à l’origine de la fondation perce-neige. Donc l’aphérèse appliquée au marchand d’ail, donnera « chand-ail », d’où le nom porté par le pull tricoté, qui gratte un peu, après l’avoir revêtu, pour la première fois. « J’ai l’impression qu’on vit comme quand grand-mère tricotait, une maille après l’autre, et ce n’est qu’après un long temps qu’on se rend compte que c’est un chandail », ajustait André Brink dans son œuvre « Le Mur de la peste »
Du chandail à la marinière
La marinière est indissociable de la vie des mousses et de la Marine Nationale. C’est aujourd’hui, il y a 163 ans, le 27 mars 1858 que le bulletin officiel détaillait la liste des uniformes des matelots. « Les marins français sont fiers d’être reconnus du premier coup d’œil par leurs frères d’armes et leurs concitoyens, voire par les marins étrangers. […] Aussi, bien que pouvant être jugés d’un autre temps, le sabre, le veston croisé, la vareuse et son col bleu, le tricot rayé et le bonnet à houppette rouge ont encore un bel avenir devant eux », détaille Éric Schérer dans « Le marin et son uniforme. Une identité à affirmer ».
Incontournable, cette pièce qui officiait en tant que sous-vêtement devait compter un nombre de lignes bien précises est devenue un classique de la mode. Soumise à des codes et dimensions strictes : « 21 raies blanches larges de 20 mm et 20 ou 21 raies bleues larges de 10mm. Pour les manches, le tricot doit comporter 15 raies blanches et 14 ou 15 raies bleues ». Elle était à manches trois quarts pour ne pas dépasser de la vareuse. « À bord d’un bateau, il faut éviter tout ce qui est coutures, boutons, pour éviter de se prendre dans les cordages. Comme le tricot descend jusqu’aux débuts des cuisses, c’est long, donc il y a plus de rayures, c’est tout », souligne Delphine Allanic.
Deux femmes changeront, à tout jamais, le statut de la marinière. Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette (1873-1951), écrivaine et présidente de l’Académie Goncourt de 1949 à 1954, et, Gabrielle Chanel, dite Coco Chanel (1883-1971), créatrice de mode, modiste et grande couturière française. La première porte régulièrement la tunique dans les bals masqués à Paris vers la fin du XIXe siècle relate Le Point. Cependant, il faut attendre XXe siècle pour que le tricot rayé passe à la forme que nous connaissons. Dans les années 1916-1917, Coco Chanel, va le vulgariser et le rendre plus fluide, à base de soie. Un grand pari pour l’époque, car elle propose aux femmes bourgeoises de porter un vêtement de travail… masculin !
La Nouvelle Vague
Le tricot rayé connaît une reconnaissance internationale à travers 7e art et la Nouvelle Vague française, le tout au travers d’un film culte : « Le Mépris » de Jean-Luc Godard. « Quand j’y réfléchis bien, outre l’histoire psychologique d’une femme qui méprise son mari, Le Mépris m’apparaît comme l’histoire de naufragés du monde occidental, des rescapés du naufrage de la modernité, qui abordent un jour, à l’image des héros de Verne et de Stevenson, sur une île déserte et mystérieuse, dont le mystère est inexorablement l’absence de mystère, c’est-à-dire la vérité », décrit le cinéaste.
Mais c’est une autre icône de la mode, grand couturier au demeurant et idole d’une amie Élodie, qui fera de la marinière une création mythique, un certain Jean-Paul Gaultier. « J’aime voir les choses sous un angle inhabituel, et remettre en question l’attendu ». Le toucher de l’artiste se découvre jusqu’aux flacons des parfums de sa marque en marinière, la boucle est bouclée…